
Depuis le 12 décembre 2023, le président azéri, Ilham Aliev, a coupé la seule route d’accès, le corridor de Latchine, qui relie l’Arménie et le territoire du Haut-Karabagh ou Artsakh ou vivent 120.000 arméniens complètement isolés.
Cette terre, grande comme un département français, est arménienne depuis toujours et, du temps de L’Union Soviétique, Staline en avait fait en 1923 un Oblast autonome de la République Soviétique Socialiste de l’Azerbaïdjan. A la fin de l’URSS, selon le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, un référendum a décidé le 10 décembre 1991, à la quasi-totalité de sa population, de son indépendance qui a perduré jusqu’à présent avec une constitution, un président, un gouvernement et une assemblée.
Les 120.000 habitants du Haut-Karabagh sont aujourd’hui directement menacés par ce blocus car ils dépendent pour l’essentiel de l’approvisionnement venant d’Arménie, qu’il soit alimentaire, médical (médicaments, équipements, évacuation sanitaire) et en énergie (gaz et électricité).

Aujourd’hui des milliers de tonnes de ravitaillement sont bloquées et le gaz et l’électricité régulièrement coupées, les magasins se vident inexorablement et le gouvernement a institué des tickets de rationnement pour gérer la pénurie qui ne fait que s’aggraver, de jour en jour, en plein hiver dans un pays de montagne enneigé ou l’altitude moyenne est de 1100 m.
De plus, les écoles sont toutes fermées et de nombreux habitants ont perdu leur emploi. « On ne fait pas la queue pour visiter quelques sites touristiques, comme ailleurs dans le monde, mais pour acheter avec des tickets de rationnement quelques œufs, 500 gr de farine de sarrasin, du sucre, des pâtes et une bouteille d’huile pour un mois » selon la lettre que nous avons reçue d’une habitante.
C’est une population entière qui est ainsi prise en otage et menacé par la faim et le froid, un blocus comme arme de guerre !

Au mois de février 2021, j’avais eu l’occasion avec Bernard Kouchner et Patrice Franceschi d’aller sur place et j’avais alors publié un reportage (Au secours des Arméniens – Défis Humanitaires (defishumanitaires.com) et gardé le contact avec nos interlocuteurs. Grâce à Nelly, arménienne professeur de français à Stepanakert, capitale de l’Artsakh, j’ai reçu des témoignages poignants de jeunes élèves vivants sur place dont voilà des extraits.
Gayané Aghabekian, 13 ans nous écrit « Aujourd’hui 120.000 personnes sont victimes de ce blocus car la seule route qui nous relie au monde est fermée, nous n’avons pas de nourriture, de gaz et d’électricité. Je vous demande (…) de briser ce silence et de lutter pour nos droits et notre vie, pour notre liberté ».
« Je suis Mané, j’ai 13 ans. J’apprends le français depuis trois ans, j’apprends aussi le russe et l’anglais. J’aime la danse. Ça fait 44 jours que nous sommes coupés du monde extérieur et nous sommes bloqués dans notre propre pays. Je suis une petite fille qui vous demande d’aider à rétablir nos droits à la vie et à être libre ».

Ce blocus est contraire à la « Déclaration de cessez-le-feu du 10 novembre 2020 entre la Russie, l’Azerbaïdjan et l’Arménie. Celui-ci a fait suite à la guerre de 44 jours entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan et stipule notamment que « les forces russes garantissent pour une période de 5 ans renouvelable la libre circulation entre l’Arménie et le Haut-Karabagh via le corridor de Latchine ». Il s’agit d’une force militaire russe de maintien de la paix de plus de 2000 hommes !
C’est ainsi que le Parlement Européen a demandé « la levée du blocus et la mise en place d’une enquête de l’ONU ou de l’OSCE et dénonce l’inaction des forces russes du maintien de la paix ».
Les condamnations (Blocus du Haut-Karabagh de 2022-2023) n’ont pas manqué depuis le 12 décembre venant de pays comme la France, la Grande Bretagne, le Pape François, la Chine, mais également Human Rights Watch, 200 personnalités signataires d’une tribune dans Le Figaro et bien d’autres (lien avec le site Blocus du Haut-Karabagh de 2022-2023).
Dès le 20 décembre 2022, Nathalie Broadhurst, représentante permanente adjointe de la France auprès des Nations-Unies déclarait : « La France appelle au rétablissement sans conditions de la circulation le long du corridor et des approvisionnements au Haut-Karabagh dans le respect des populations qui y vivent ».
Trois jours plus tard, le président de la République, Emmanuel Macron, téléphonait au président Alliev qui lui a dit « son intention de veiller à la libre circulation dans le corridor ». Mais le corridor est toujours fermé de force par l’Azerbaïdjan, et la population est de plus en plus démunie. Je peux témoigner aussi de la désillusion et de la peine de nombreux arméniens du Haut-Karabagh face à ce trop grand silence et cette impuissance internationale qu’ils ne comprennent pas ni n’acceptent. Les Arméniens ont toujours en eux le souvenir du génocide turc de 1915 et craignent plus que tout qu’il se répète.
Comme d’autres, je peux témoigner qu’en France l’attention et la mobilisation pour l’Arménie et la population du Haut-Karabagh est forte, de la part d’intellectuels, de nombreux médias, de la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, comme du président du Sénat, Gérard Larcher et de bien d’autres encore.
Mais cela ne suffit pas pour mettre fin au blocus et permettre la réouverture du corridor de Latchine. Il faut maintenant aller plus loin et surtout plus vite. Les humanitaires attachés comme moi aux principes de neutralité, d’impartialité et d’indépendance le sont tout autant du Droit International Humanitaire (DIH) et ne peuvent que refuser ce blocus d’une population entière et réclamer un droit d’accès libre à l’aide humanitaire.

Le président de la République, Emmanuel Macron, a récemment reçu plusieurs intellectuels et personnalités avec Sylvain Tesson (https://defishumanitaires.com/2023/01/30/la-lettre-de-sylvain-tesson-a-emmanuel-macron-monsieur-le-president-les-armeniens-vous-appellent/), Jean Christophe Buisson accompagnés de Youri Djorkaeff, Pascal Bruckner, Olivier Weber. Selon nos informations, Emmanuel Macron a déclaré qu’il allait prendre l’initiative d’organiser prochainement à Paris une conférence internationale avec des organisations humanitaires dans le but de préparer un convoi d’aide humanitaire pour la population du Haut-Karabagh.
Ce blocus ne peut pas durer. Dans le cas contraire, il aura des conséquences humanitaires graves pour les 120.000 habitants du Haut-Karabagh. Il pourrait provoquer des incidents armés qui risqueraient de relancer la guerre dans cette région du Caucase du sud hautement inflammable. Certains craignent même une « épuration ethnique » par le transfert forcé d’une population entière. L’objectif serait-il de vider le Haut-Karabagh de sa population arménienne ?
Le blocus d’une population est un dangereux précédent pour la crédibilité même du Droit Humanitaire International, des instances internationales comme pour le risque que ce blocus donne des idées à d’autres de le reproduire ailleurs.
Il y a des signes d’espoir quand le CICR peut transférer des malades ou des enfants du Haut-Karabagh en Arménie et vice-versa, de même que la circulation régulière de convois militaires russe de maintien de la paix dans le corridor.
Parmi les propositions qui ont été faîtes et qui peuvent contribuer à une solution, il y a celle d’une mission d’enquête de l’ONU ou de l’OSCE sur le blocus du corridor. La Mission de l’Union Européenne en Arménie (EUMA), validée tant par l’Arménie que par l’Azerbaïdjan, est un bon exemple de ce qui peut se faire.
Il y a aussi et d’abord celle de l’organisation rapide d’une conférence internationale pour l’ouverture d’un corridor humanitaire entre l’Arménie et le Haut-Karabagh.
Le temps presse, c’est une question de principe et une urgente nécessité humanitaire.
Alain Boinet.
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