Allo… les Talibans…vous nous entendez ?

Martin Griffiths, Secrétaire général adjoint des Nations-Unies en charge de l’humanitaire (OCHA), lors d’une réunion à Kaboul avec la direction des Talibans

Cet article constitue la seconde partie de l’éditorial précédent « L’Afghanistan des Talibans et nous ». Ce dernier mettait en exergue certains des motifs de l’échec occidental dans ce pays, sanctionné par la victoire des Talibans.

Cet éditorial invitait également à anticiper les défis communs à l’Afghanistan des Talibans comme à la communauté des Etats Nations à l’ONU : défis humanitaire et économique, défis des droits humains et de la représentativité, défis du terrorisme, défis de la drogue et défis géopolitique.

Aujourd’hui, il s’agit d’interpeler les Talibans. Que voulez-vous vraiment ? Votre représentant à Doha, Suhail Shaheen, a récemment déclaré « Personne n’a intérêt à affaiblir l’Afghanistan «. Mais les Talibans auraient-ils intérêt à s’isoler eux-mêmes, tant vis-à-vis de la diversité afghane que sur la scène internationale ?

Il y a peu encore, les trois-quarts des ressources du gouvernement afghan précédant provenaient de l’aide internationale. Celle-ci a brusquement cessée avec le gel des avoirs et l’interruption de toute aide au développement dans un pays pauvre affecté par la sécheresse et les conséquences d’un conflit de plus de 40 ans ! Comment les Talibans comptent-ils faire pour faire face à cette crise majeure et assumer politiquement les responsabilités qu’ils ont prises par les armes.

L’Afghanistan sur la pente d’un effondrement économique et d’une catastrophe humanitaire.

L’Afghanistan est engagé sur la pente d’un effondrement économique annoncé et d’une catastrophe humanitaire qui menace au point qu’il parait indécent de parler de ce pays en oubliant ce drame qui touche toute la population et particulièrement, selon les Nations-Unies, 18 millions d’hommes, de femmes et d’enfants, de familles, qui ne mangent pas à leur faim et qui sont menacés de famine alors que l’hiver toujours rigoureux approche.

Une famille prend un repas chez elle à Mazar, en Afghanistan, le 15 septembre 2021. Le Programme alimentaire mondial aide les personnes déplacées et les familles vulnérables avec de la nourriture et de l’argent. @WFP/Arete

Le système sanitaire est au bord de l’effondrement. Déjà 2000 structures de soins ont fermé par manque de salaires pour 23.000 agents de santé dont 7000 femmes, selon Alexander Matheou de la FICR.

Selon Richard Trenchaut de la FAO, la sécheresse menace les moyens d’existence de 7 millions d’agriculteurs et d’éleveurs qui constituent l’épine dorsale de l’économie de ce pays. La distribution de semences est d’une extrême urgence en octobre pour permettre la récolte du blé d’hiver.

 Selon le PAM et l’UNICEF, la situation des enfants est spécialement critique pour la moitié des moins de 5 ans, soit 3, 2 millions de filles et garçons qui risquent d’être rapidement victimes de malnutrition sévère.

C’est ainsi, lors de la récente réunion à Doha entre les Talibans, les Etats-Unis, l’Union Européenne et plusieurs Etats-membres dont la France, la Grande-Bretagne et l’Allemagne, Ursula Von der Leyen, présidente de la Commission Européenne, a annoncé une aide de 1 milliard d’euros pour « éviter une catastrophe humanitaires » et « un effondrement des services de base ». La France, par la voix de Jean-Yves Le Drian, avait déjà annoncée une aide de 100 millions d’euros dès le 13 septembre. C’est bien car l’aide humanitaire n’est jamais négociable au nom du principe d’humanité.

Encore faut-il que les Talibans au pouvoir permettent et facilitent l’accès de cette aide dans la durée partout dans le pays, sans restriction, et qu’ils en assurent la sécurité dans le respect des principes humanitaires dont l’impartialité des secours et la liberté d’évaluer, de secourir et d’en rendre compte.

Toute aide humanitaire entraine des évaluations avec les populations pour secourir les plus vulnérables en priorité. @Solidarités International

Les Talibans devraient prendre des engagements officiels clairs à ce sujet et les faire connaître. La crise humanitaire et économique pourrait provoquer l’exil forcé d’innombrables afghans.

Sur le plan de l’aide au développement, celle-ci sera certainement assujetties à des considérations politiques et à l’existence de services publics compétents. En attendant, je suggèrerai que l’on amplifie immédiatement et à grande échelle les programmes humanitaires de type Nexus Urgence-Développement qui permettraient d’engager un soutien massif à l’agriculture, à l’élevage et aux services de base dans tous les domaines partout dans le pays.

La pierre angulaire des droits humains et de la représentativité.

Pour contrer les manifestations de femmes à Kaboul, les Talibans ont eu l’idée d’organiser une parodie de contre-manifestation de femmes Talibans dans un amphithéâtre où elles étaient toutes habillées de la même burqa d’un gris sinistre tel un uniforme. Comme me l’a confié un ami afghan, on n’avait jamais vu ce type de vêtements féminins en Afghanistan. C’était une comédie sinistre et inquiétante.

Voilà une question pour les Talibans. Dans votre pays, les femmes ne sont-elles pas afghanes, musulmanes, mères de vos enfants. Les femmes n’ont-elles pas aussi subi les effets dévastateurs de la guerre depuis plus de 40 ans, de multiples privations tout en nourrissant des enfants nombreux. Beaucoup d’entre elles ont perdu leur mari à la guerre et ont dû faire face à l’adversité.

Elles ont droit au respect et à la considération. Et l’Afghanistan a un grand besoin de femmes pour soigner des femmes particulièrement. L’Afghanistan a un grand besoin d’elles pour l’éducation des filles afin de participer activement au développement indispensable d’un pays parmi les plus pauvres au monde.

Les Talibans ont fait beaucoup de déclarations et de promesses qu’il s’agit maintenant de tenir pour être crédibles. Soyons aussi réalistes. Dans un pays majoritairement rural, le travail des femmes, comme des hommes, s’exercent d’abord dans les champs pour produire le pain quotidien.

Enfin, malgré les divisions profondes inhérentes à la guerre, les Talibans veulent-ils rechercher l’unité nationale et par conséquent assurer une représentativité de la diversité notamment ethnique.  N’est-ce-pas la condition d’une paix civile durable.

La guerre contre le terrorisme et contre la drogue.

Les attentats de Daech ou Etat Islamique au Khorassan le 30 aout à l’aéroport de Kaboul, puis le 8 octobre à Kunduz et le 15 à Kandahar contre des mosquées chiites à l’heure de la prière remettent en cause la capacité des Talibans à tenir leur principale promesse, celle de la sécurité. D’autres attentats pourraient encore avoir lieu.

Afghanistan, Attentat de kamikazes revendiqué par Daech contre la mosquée chiite Fatemieh à Kandahar à l’heure de la prière le 15 octobre faisant plus de 40 morts et de 70 blessés. @UPI / Alamy Banque D’Images

Si les Talibans combattent bien Daech en Afghanistan, en revanche, il ne semble pas y avoir de condamnation forte et sans équivoque à l’encontre de ce terrorisme qui a déjà tué 600 Afghans. Si les experts considèrent que les Talibans n’ont jamais eu d’agenda terroriste international, cette position assumée et affirmée aurait un fort retentissement, alors pourquoi attendre ? De même, la neutralisation d’Al-Qaida qui a fait le malheur de l’Afghanistan après la destruction du World Trade Center, relève du simple réalisme politique et de l’intérêt du pays.

En 2020, la production d’opium a été de 6300 tonnes en Afghanistan. @Davrik

De même qu’une déclaration de la décision d’éradiquer la production de pavot, d’opium et d’héroïne en faisant appel à un vaste programme de soutien international pour des cultures de substitution, aurait un réel impact. Cela pourrait traduire l’intention, malgré les difficultés, de mettre en place un Etat vertueux, représentatif, responsable et crédible.

Conclusion provisoire.   

Que veulent les Talibans ? Que peuvent les Talibans ?  Il faut certainement du temps dans ce pays, mais c’est dès le début qu’une direction est donnée et décide pour beaucoup de l’avenir.

Les 6 défis sont bien là pour illustrer les responsabilités des Talibans :

  • Faciliter l’accès et la sécurité des secours humanitaires partout où cela est urgent dans le pays et soutenir l’agriculture et l’élevage et les services publics essentiels.
  • Remettre en place une administration à même de faire face à la crise économique avec des cadres et experts compétents et intègres.
  • Mobiliser les femmes notamment pour la santé, l’éducation, la crise humanitaire et économique et concrétiser une politique de réconciliation nationale.
  • Condamner sans équivoque et lutter contre le terrorisme.
  • Engager l’éradication du pavot et mobiliser des productions de substitution avec une aide internationale.
  • Ne pas s’isoler sur le plan géopolitique et, pourquoi pas, redevenir un pays « libre, neutre et non aligné », un Etat tampon indépendant et stable pour ses voisins.
Antonio Guterres, Secrétaire Général de l’ONU.

Concluons en citant le Secrétaire Général de l’ONU, M. Antonio Guterres : « Le monde entier paiera un lourd tribut s’il n’aide pas les Afghans à surmonter cette crise. Sans nourriture, sans emploi, sans protection de leurs droits, nous verrons de plus en plus d’Afghans fuir leurs foyers à la recherche d’une vie meilleure. Le flux de drogues illicites, de réseaux criminels et terroristes augmentera également probablement. Cela affectera non seulement gravement l’Afghanistan, mais aussi la région et le reste du monde ».

 

Alain Boinet.

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