NUTRITION. Entretien avec Claire Fehrenbach du groupe Nutriset

Seid, deux ans, mange de la pâte d’arachide à haute teneur en nutriments fournie par un agent de vulgarisation sanitaire de Save the Children. @Nutriset

Défis Humanitaires : Bonjour Claire Fehrenbach et merci de nous accorder cet entretien pour Défis humanitaires. Tu travailles actuellement au sein du Groupe Nutriset. Antérieurement tu as occupé de nombreuses responsabilités humanitaires durant une longue période. Tu reviens du Congrès International pour la Nutrition qui s’est tenu récemment à Tokyo du 6 au 11 décembre 2022. Le monde connaît une grave crise alimentaire amplifiée par la pandémie de la Covid. 19, le dérèglement climatique et la guerre en Ukraine. Quels sont les liens et les conséquences entre crise alimentaire et nutrition ou malnutrition ?

Claire Fehrenbach : Bonjour Alain Boinet, merci pour cet échange sur la nutrition. En effet, s’est tenu à Tokyo le Congrès International pour la Nutrition où plusieurs sujets ont été abordés, notamment la crise alimentaire actuelle. L’impact des trois C dont il a beaucoup été question (les crises, le changement climatique et les conflits) ont eu un fort impact sur la situation actuelle de millions de personnes, notamment d’un point de vue alimentaire. Quand on parle de sécurité nutritionnelle, on se concentre plus précisément sur le fait d’être correctement nourri. C’est une étape supplémentaire, qui va au-delà de l’accès à la nourriture, qui finalement ne suffit pas. Il faut d’une part avoir la capacité de se procurer des aliments, et d’autre part, il faut faire le choix de se procurer, et de consommer les aliments dont la valeur nutritive est de qualité et en adéquation avec les besoins de la personne. Si l’on peut facilement apporter des moyens supplémentaires aux personnes qui en ont besoin pour améliorer l’accès aux aliments (cash/espèces, voucher/reçu, distribution alimentaire), il est plus difficile de s’assurer de ce que celles-ci consomment, ainsi que de la valeur nutritionnelle de leur alimentation. C’est quelque chose de plus complexe, de plus fin et qui va requérir des interventions multisectorielles pour parvenir à la situation souhaitée. Il peut s’agir par exemple d’accompagnement, de conseils, d’éducation pour davantage expliquer et faire prendre conscience aux personnes de ce degré de finesse. Il ne s’agit pas uniquement de manger, mais il s’agit de consommer les bons produits, de bonne qualité nutritionnelle, dans les bonnes quantités, en tenant compte de la situation de la personne. Est-ce un enfant ? Une femme enceinte ? C’est un niveau de finesse qui va relativement loin quand on cherche à comprendre les effets de la crise alimentaire.

Défis Humanitaires : Avons-nous une bonne vision de la dynamique entre la crise alimentaire et la malnutrition ? Peut-on dire que la crise alimentaire a un impact sur la nutrition – notamment celle des enfants en bas âge ainsi que des femmes enceintes  ?

Claire Fehrenbach : Les chiffres de la malnutrition ont explosé. Ces derniers mois, le Groupe Nutriset a beaucoup travaillé avec les principaux acteurs de la réponse humanitaire responsables de la prise en charge des enfants, dont l’UNICEF, le Programme Alimentaire Mondial (PAM) et USAID. Le nombre d’enfants pris en charge en 2022 a augmenté par rapport à l’année dernière et nous envisageons également une hausse en 2023. Par rapport à la production de Plumpy’Nut® qui est la solution nutritionnelle que Nutriset produit pour traiter la malnutrition aiguë sévère, ainsi que les solutions pour la malnutrition aigüe modérée, ces trois acteurs clés ont parlé, au regard des financements qu’ils ont pu recevoir, d’une augmentation de la demande de 60 % en 2022 et encore de 60 % en 2023. La crise alimentaire est prise en compte et la réponse s’organise. Des fonds conséquents ont été débloqués pour répondre aux besoins les plus urgents des enfants. Malheureusement, même si les budgets ont augmenté, la totalité des enfants dans le besoin ne se seront pas couverts. En général, moins de la moitié des enfants dans le besoin sont pris en charge.

Des milliers d’enfants sont hospitalisés chaque année à l’hôpital de district de Madarounfa, dans la région de Maradi, que ce soit pour le paludisme, la malnutrition aiguë sévère ou d’autres maladies. Hôpital de district de Madarounfa, Niger. 2019.MSF/Ainhoa Larrea

Défis Humanitaires : Le Programme Alimentaire Mondial (PAM) explique que les prix des produits alimentaires ont augmenté, tout comme les coûts des transports et qu’une grande partie de la hausse des budgets va être absorbée par l’augmentation des prix.

Claire Fehrenbach : Tout a augmenté. On le voit chez nous, mais également partout dans le monde. Effectivement, les personnes les plus vulnérables qui ont le moins de ressources et une plus faible résilience aux chocs subissent de plein fouet cette augmentation globale des prix, que ce soit en raison de la hausse des prix des matières premières mais également de tout ce qui permet de produire ces matières premières (les fertilisants, l’énergie, etc.). Tout a augmenté, y compris le prix des solutions nutritionnelles que nous produisons.

Défis Humanitaires : Tu reviens de ce Congrès International pour la Nutrition qui s’est tenu à Tokyo où tu représentais le Groupe Nutriset. Quelles étaient les raisons de votre présence ? Et que retiens-tu de ce congrès ?

Claire Fehrenbach : C’est un congrès de référence qui traite véritablement des questions internationales en matière de nutrition. Ce type de congrès existe également au niveau français et au niveau européen, mais ceux-ci couvrent en général des questions plus locales. Ce qui mobilise principalement le Groupe Nutriset, ce sont surtout les questions de malnutrition dans les pays du Sud. Pour cette raison, nous avons participé à ce congrès international afin de nous informer et de débattre des sujets qui nous mobilisent. Le congrès dure une semaine, il y a une multitude de salles où de multiples sessions ont lieu simultanément. On ne peut pas participer à tout le programme, toutefois cette richesse des interventions nous permet de d’appréhender les différents sujets abordés, de mieux comprendre certains mécanismes, d’échanger avec des chercheurs du Nord et du Sud, et aussi d’entretenir le réseau qui a été un peu mis à mal avec le Covid. Cela permet aussi de rencontrer les personnalités qui jouent un rôle impactant sur les questions de nutrition. Par exemple, les responsables nutrition de la Banque mondiale, de la FAO, la coordinatrice du SCALE UP Nutrition, Mouvement étaient également présentes à Tokyo. Ce sont des personnes et des institutions incontournables dès lors que l’on parle nutrition.

Je retiens de ce congrès que la nutrition est partout. C’est une composante des systèmes alimentaires qui est indissociable de la réflexion actuelle sur leur indispensable transformation. On parle de nutrition quand on parle de prévention et de traitement de nombreuses pathologies ; on s’aperçoit que les maladies non transmissibles sont bien souvent liées à la transformation des habitudes alimentaires et à l’appauvrissement des apports nutritionnels de qualité au détriment d’aliments inadaptés aux besoins. C’est également une composante indissociable de plusieurs Objectifs du Développement Durable (ODD) à savoir l’ODD 2 visant à éliminer la malnutrition, mais aussi l’ODD 1 sur les questions de protection, ou encore de santé rassemblée sous l’ODD 3.  A la fois, la nutrition relève de la chimie tout en étant un sujet très large avec des points d’entrée géographiques, économiques, sociologiques… On retrouve la nutrition à de multiples niveaux.

22e Congrès international de nutrition de l’IUNS à Tokyo. @IUNS

Défis Humanitaires : La nutrition peut agir aussi bien par une action curative que par une action préventive. Comment coordonner au mieux ces deux phases dans des crises humanitaires et dans des actions de développement ? Comment peut-on coordonner ces deux leviers de la nutrition ?

Claire Fehrenbach : Dès la conception de l’être humain, une bonne nutrition va permettre le développement d’une bonne cognition, un bon développement physique tel que la taille, le poids, la vision… Elle va permettre également de développer un système immunitaire robuste. La nutrition aura un impact sur la performance globale de l’individu au niveau de sa capacité d’apprentissage, de sa capacité à travailler, donc une meilleure capacité à prendre soin de soi, à prendre soin de sa famille également. Tout au long de la vie, la nutrition devrait être au cœur des actions de développement pour prévenir au maximum les risques et les limiter.

De fait, si on liste les populations dont les besoins nutritionnels sont les plus importants, les femmes enceintes et allaitantes arrivent en premier, pour le bon développement de leur enfant. On évoque ici les fameux 1000 premiers jours qui vont de la conception de l’enfant à ses deux ans environ, et au cours desquels la croissance de l’enfant sera la plus intense. Les enfants jusqu’à cinq ans ont également de très forts besoins nutritionnels. Les adolescents, ensuite car il s’agit d’une phase de croissance importante, d’autant plus pour les jeunes filles encore en croissance, surtout si elles sont enceintes car les besoins nutritionnels sont multipliés. Également, les personnes malades sont souvent les plus à risque de dénutrition, et les personnes âgées qu’on oublie souvent, même si maintenant, dans les pays du Nord, on commence à prendre de plus en plus en compte leur (dé)nutrition.

En termes d’actions de développement, la question de nutrition peut être abordée dans des programmes spécifiques ou connexes. Je pense à l’éducation par exemple, dans les projets EHA (eau, hygiène et assainissement) mais également dans les campagnes de sensibilisation qui sont développées en marge de ces programmes ou encore au sein des actions de santé. Quelle est l’information fournie sur la nutrition et l’importance de la nutrition dans le développement des individus ?

Dans un autre ordre d’idées, la spécificité des périodes peut également être prise en compte. Notamment, les périodes de soudure, que l’on arrive à prévoir assez facilement grâce à la connaissance des terrains ; les déplacements de populations, où l’on sait que les personnes vont avoir des difficultés pour se procurer une alimentation de qualité en quantité suffisante, ou encore les catastrophes climatiques (cyclones, inondations…). Certaines actions peuvent être mises en place dans le cadre de programmes de réduction des risques.

Ensuite, Les ONG d’urgence se mobilisent si ce qui a été mis en place a échoué ou s’est révélé insuffisant. Si malgré tout, des enfants se retrouvent en situation de malnutrition aiguë, cela sous-entend que les actions développées au préalable en lien avec le développement agricole, le développement des marchés, les systèmes de santé, les politiques publiques, etc… n’ont pas atteints les résultats escomptés. Dans ce cas, des actions d’urgence sont alors mises en place pour répondre aux besoins. Pour la malnutrition aigüe sévère, il existe des traitements, il existe des protocoles. Toutefois, la réponse reste délimitée à une population définie et le plus souvent à une zone géographique spécifique car c’est une réponse d’urgence. Dans tous les cas, il s’agit d’abord de prévenir les risques et de les limiter au maximum en amont.

Défis Humanitaires : Nous avons récemment présenté un livre sur la guerre et la famine au Biafra en 1968 où est né l’idée qui a conduit à la création de Médecins Sans Frontières puis de Médecins du Monde avec Bernard Kouchner, Max Récamier, Pierre Fyot, Patrick Aeberhard, Louis Schittly et d’autres encore. La description d’enfants squelettiques mourant en grand nombre est terrifiante.

Claire Fehrenbach : Au moment du Biafra, le traitement pour les enfants extrêmement dénutris n’étaient pas aussi efficaces qu’aujourd’hui. Ce n’est que dans les années 2000, donc finalement assez récemment qu’on a pu utiliser à grande échelle le Plumpy’Nut® pour répondre aux besoins.

Auparavant, on utilisait des laits thérapeutiques qui permettaient de traiter les enfants. Cependant, peu d’enfants arrivaient dans les hôpitaux avec la possibilité d’y rester sur une longue période, la guérison prenait beaucoup de temps avant qu’ils puissent recouvrir toutes leurs capacités, et les chances de succès étaient limitées car les laits thérapeutiques ne pouvaient être donné que dans les hôpitaux, avec de l’eau de bonne qualité, de l’eau potable. De fait, les prises en charge étaient restreintes et à très petite échelle.

Sachets de Plumpy’Nut®, aliment thérapeutique prêt à l’emploi utilisé pour traiter la malnutrition aiguë, comté de Turkana, nord du Kenya, 28 mars 2017.

Défis HumanitairesAujourd’hui, dans le monde, plus de 828 millions de personnes ont faim. Dans le même temps, il y a plus d’un milliard de personnes qui sont obèses et ce chiffre ne cesse d’augmenter. Cela semble paradoxal et nous interpelle sur des situations à l’opposé l’une de l’autre. Quelle réponse la nutrition peut-elle apporter pour faire reculer ces deux fléaux de santé publique ?

Claire FehrenbachCe sont des sujets qui ont été largement abordés au moment du congrès à Tokyo. D’une part, nous sommes en pleine crise alimentaire et il y a quasiment autant d’enfants en situation de malnutrition aiguë sévère que d’enfants obèses. Près 5 % des enfants de moins de cinq ans sont obèses et 7 % des enfants de moins de cinq ans en situation de malnutrition aiguë sévère. Ce sont des chiffres sidérants.

ATTEINDRE LES OBJECTIFS MONDIAUX EN MATIÈRE DE NUTRITION POUR 2030 NÉCESSITERA D’IMMENSES EFFORTS. SEULEMENT
L’ALLAITEMENT MATERNEL EXCLUSIF CHEZ LES NOURRISSONS DE MOINS DE SIX MOIS (37,1 À 43,8 %) ET LE RETARD DE CROISSANCE CHEZ LES ENFANTS DE MOINS DE CINQ ANS (26,2 À 22,0 %) ONT SENSIBLEMENT AUGMENTÉ.
LE RETARD DE CROISSANCE CHEZ LES ENFANTS DE MOINS DE CINQ ANS (26,2 À 22,0 %) SE SONT NOTABLEMENT
AMÉLIORÉS DEPUIS 2012, MAIS MÊME CES INDICATEURS DEVRONT PROGRESSER PLUS RAPIDEMENT POUR ATTEINDRE LES
LES OBJECTIFS DE 2030. @The State of Food Security and Nutrition in the World 2022

La première porte d’entrée pour effectivement réfléchir à cette question est celle de systèmes alimentaires défaillants. D’une part, on s’aperçoit que les gens meurent de faim ou tombent malades à cause de ce qu’ils mangent, de ce qu’ils consomment, de la façon dont ils s’alimentent (dénutrition, obésité, maladies non transmissibles). D’autre part, les petits producteurs agricoles font partie des plus pauvres. Toujours dans ce système alimentaire défaillant, l’agriculture actuelle, et surtout l’agriculture industrielle, a un impact énorme sur la biodiversité, principalement sur la perte de cette biodiversité par la dimension des cultures, la nature de ce qui est cultivé, les méthodes de production. Dans le même ordre d’idée, l’agriculture actuelle a une forte empreinte carbone. Enfin, c’est sans parler des tonnes d’aliments perdus ou gaspillés chaque année à toutes les étapes de la production et de la consommation. Concrètement, le système alimentaire couvre ce qui va de « la fourche à la bouche », voire-même de « la graine à la benne », et ce système dysfonctionne. Pour travailler sur cette question, un grand sommet s’est tenu en octobre 2021 sur les transformations proposées pour pallier ces déséquilibres. Cette question du dysfonctionnement du système alimentaire n’est pas nouvelle, et beaucoup d’ONG, de chercheurs, d’institutions travaillent sur cette problématique depuis longtemps.

Henry Kabor, 41 ans, agriculteur, dans ses champs d’arachides, Lumbila (35 Km de Ouagadougou). @Nutriset

La malnutrition renvoie à une mauvaise nutrition, à des apports déséquilibrés par rapport aux besoins de l’organisme, que ce soit en trop ou en trop peu, ou en termes de qualité. La malnutrition, concerne aussi bien la dénutrition que la surnutrition. En changeant les habitudes alimentaires, en consommant des produits de meilleure qualité nutritionnelle, en adéquation avec les besoins, plus locaux, les chiffres de la malnutrition pourraient progressivement baisser si une multitude d’autres programmes étaient développés en parallèle au niveau de la santé, de l’accès à l’eau, de l’éducation. Et si bien sûr, l’impact des 3C reste gérable.

Une deuxième piste de réponse pour faire reculer ces fléaux est de mettre en avant la composante « nutrition » dans les différents secteurs du développement. Par exemple, l’intégration de la nutrition dans les services de santé, notamment via la couverture santé universelle. La nutrition est une composante clé de cette couverture santé universelle. Toutefois, on peut se demander si la nutrition, aujourd’hui, est correctement alignée avec les différents piliers de la santé qui sont : la gouvernance, le personnel et la formation du personnel sur les questions de la nutrition, les services proposés, l’accès aux produits de qualité, le financement et les systèmes d’information.  Pour répondre à ces questions de déséquilibre, à la fois des gens qui meurent de faim et du nombre croissant de personnes en surpoids et en obésité, la question de l’intégration de la nutrition dans la santé est primordiale. Je pense qu’il faut rattacher également les maladies non transmissibles (diabète, maladies cardiovasculaires) qui sont aussi liées au mode d’alimentation et sur lesquelles la nutrition tout au long de la vie peut avoir un véritable impact. Dans le même ordre d’idée, la composante nutrition peut également mieux être intégrée aux schémas de protection sociale.

Défis Humanitaires : Peux-tu  nous rappeler ce que fait le groupe Nutriset dans ce domaine de la nutrition.

Claire Fehrenbach : le Groupe Nutriset produit, conçoit et développe des solutions nutritionnelles pour lutter contre la malnutrition, à tous les âges de la vie. Le principal focus porte sur la malnutrition des enfants, dans un objectif de traitement ou de prévention. Je ne mentionnerai que quelques produits mis au point par notre équipe Recherche et Développement qui travaille en étroite collaboration avec des ONG, des universités et des institutions pour développer les produits, les tester, et pour qu’ils puissent enfin toucher le maximum de personnes.

Deux employées du groupe Nutriset travaillant sur des solutions nutritionnelles. @Nutriset

Notre produit phare est le Plumpy’Nut® qui a donné naissance aux ATPE (aliments thérapeutiques prêts à l’emploi / RUTF en anglais). En ce moment, notre usine en France fonctionne 7 jours sur 7 pour produire ces solutions nutritionnelles pour qu’elles soient distribuées au plus grand nombre, le plus rapidement possible.

Nous avons aussi développé toute une série de produits adaptés aux différentes étapes de la vie. Pour les 1000 premiers jours, un supplément nutritionnel peut être proposé aux femmes enceintes et allaitantes, puis aux enfants pour accompagner leur développement physique et cognitif au-delà de l’allaitement exclusif jusqu’à 6 mois. Ces aliments et suppléments se présentent sous forme de pâte. Nous proposons également une poudre à reconstituer pour la nutrition orale ou entérale des adultes hospitalisés qui a été mise au point en étroite collaboration avec MSF. Enfin, la dénutrition des personnes âgées en France nous interpelle et pour cela, nous avons conçu une nouvelle solution hypercalorique et hyper-protéinée répondant aux besoins spécifiques de cette tranche d’âge.

La nutrition des personnes vulnérables tout au long de leur vie, et la lutte contre la nutrition sont les moteurs du Groupe Nutriset, entreprise familiale, dirigée par Adeline Lescanne la fille du fondateur.

Concernant le modèle, Nutriset a développé un réseau de partenaires (PlumpyField® Network) qui regroupe 10 acteurs indépendants basés principalement dans les pays du Sud, là où les besoins sont les plus importants. Nos partenaires sont basés à Haïti, au nord du Nigéria, au Soudan, en Éthiopie, etc… Ces collaborateurs qui sont des ONG, des entreprises de l’ESS, des PME produisent des solutions qui vont répondre aux standards qualités de nos principaux clients (l’UNICEF, le Programme Alimentaire Mondial). Il s’agit d’un système de franchise dans lequel le Groupe Nutriset apporte une assistance technique à long terme pour ses partenaires locaux. Les sites de production, et ces produits, sont certifiés et disponibles sur le terrain.  C’est un modèle tout à fait spécifique qui permet de produire dans des conditions souvent difficiles : développer une industrie de qualité au nord du Nigéria ou au Soudan, en Ethiopie ou en Haïti, reste un défi de taille.

Usine Nutriset. @Nutriset

Défis Humanitaires : Le groupe Nutriset n’a pas choisi la facilité mais l’urgence de la réponse, adaptée aux contextes dans lesquels interviennent les acteurs humanitaires et de développement. Au sein de l’action humanitaire, nous connaissons l’importance qu’il y a entre la lutte contre la malnutrition et l’accès à l’eau potable, comment le groupe Nutriset aborde-t-il cette question ?

Claire Fehrenbach : En effet, la malnutrition nécessite une réponse globale. Il ne s’agit pas d’une maladie hydrique à proprement parler mais l’eau insalubre et de mauvaises conditions d’hygiène vont aggraver ou entrainer la malnutriton. De fait, même si on met à disposition des enfants un traitement pour la malnutrition, s’il évolue dans un environnement sans eau potable et sans services d’assainissement, le traitement sera compromis.

Dès lors, la question de l’accès à l’eau potable est importante comme vont pouvoir l’être d’autres programmes/services que j’ai déjà mentionnés tels que l’éducation, la santé, la protection sociale. C’est pour ces raisons que les questions liées à la nutrition sont relativement complexes parce qu’elles doivent être soutenues simultanément par toute une série de piliers.

Défis Humanitaires : La faim s’inscrit dans le cadre des Objectifs du Développement Durable, les fameux ODD. Ces objectifs (2015-2030) ont pour but d’éliminer la faim dans le monde d’ici 2030. Où en sommes-nous aujourd’hui, à mi-parcours de cette échéance ?

Claire FehrenbachBeaucoup de progrès et de résultats satisfaisants ont pu être enregistrés au cours de la décennie précédente. Toutefois, avec ce qu’il se passe actuellement (accélération du changement climatique et des impacts à tous les niveaux, conflits qui se multiplient – notamment internationaux avec le cas de la guerre en Ukraine, le Covid), les bons résultats de la lutte contre la faim ont tendance à s’inverser. Concernant la faim dans le monde au sens large, nous observons des reculs tous les ans. Chaque année en juillet, le SOFI – le rapport annuel sur l’Etat de la Sécurité Alimentaire et la Nutrition dans le monde – est publié et rapporte le nombre de personnes en situation d’insécurité alimentaire plus ou moins sévère. Même si des progrès sont enregistrés, les améliorations ne sont pas assez rapides pour atteindre les objectifs fixés pour 2030. Les données vont plutôt dans le sens d’une détérioration plutôt que dans celui d’une véritable amélioration.

Il est temps d’adopter une approche globale, systémique. Je fais notamment référence à l’ODD 1 qui traite de la protection sociale qui peut intégrer la nutrition, ou de l’ODD 3 qui traite de la santé, notamment de la couverture universelle de la santé. La nutrition doit être prise en compte de manière plus large, dans les différentes approches.

Ce sont tous ces axes que l’on doit pouvoir regrouper et au sein desquels la nutrition devrait être intégrée. Nous travaillons trop en silos et ça ne fonctionne pas bien. Toutefois, c’est toujours plus compliqué d’aligner et d’être en mesure de prendre ces différents axes de manière simultanée. Seul, on va plus vite, ensemble, on va plus loin…

Défis Humanitaires : Quel est l’agenda international de la recherche sur la nutrition ? Et quelles sont les prochaines échéances internationales et quelle pourrait être la place des acteurs humanitaires et de développement qui agissent dans ce domaine ?

Claire Fehrenbach : Nous sommes actuellement dans la Décennie d’action des Nations Unies pour la nutrition « United Nations Decade of Action on Nutrition (2016 – 2025) » et il reste quelques années pour promouvoir la nutrition à l’échelle internationale. En 2021, Le Japon a joué un rôle prépondérant avec l’organisation du Nutrition for Growth Summit qui s’est tenu en décembre 2022 où une grande partie des chercheurs impliqués dans le domaine de la nutrition se sont réunis à Tokyo dans le cadre de ce Congrès international. L’idée est vraiment de positionner la nutrition comme un levier essentiel pour le développement durable dans le but de remplir l’objectif suivant : sécuriser de nouvelles politiques ou des engagements financiers pour agir contre la malnutrition. Tous les types de malnutrition !

La France s’est beaucoup mobilisée dans le cadre de l’alimentation scolaire et notamment dans le cadre de la Coalition pour l’alimentation scolaire, dont la première réunion se tiendra en 2023. C’est une première échéance où la question de la nutrition pourra être abordée.

En octobre 2023 également, mais aux Pays-Bas cette fois-ci se tiendra le Micronutriments forum. Les micronutriments ont également de gros impacts sur le développement des enfants. Puis, En 2024 et en 2025, de nouveau en France, se tiendra la prochaine édition de Nutrition for Growth, qui est une « pledging » conférence au cours de laquelle les différents acteurs souvent catégorisés en États, secteurs privés, société civile, bailleurs vont prendre des engagements et sécuriser des fonds avec un objectif nutrition spécifique. Ce prochain Nutrition for Growth aura lieu en 2024 en France, en marge des Jeux olympiques.  Nous attendons la date retenue et les grandes lignes qui vont être données par la France. En 2025, le prochain Congrès international de la nutrition, tel que celui qui vient d’avoir lieu au Japon, se tiendra en France fin août. Le congrès est davantage en lien avec la recherche alors que le Nutrition for Growth est plus tourné sur les questions politiques et de financement.

Ce sont des moments forts pour mettre la nutrition sur le devant de la scène, communiquer sur cette composante indispensable du développement durable qui doit être précisée.  Souvent, les recommandations locales indiquent qu’il est nécessaire d’« inclure la nutrition dans… » et, ça reste très flou. Il y a vraiment besoin de précisions notamment d’un point de vue opérationnel et de fonds directement affectés.

Défis Humanitaires : Dans ce contexte, quel est selon toi le rôle des acteurs humanitaires et de développement ?

Claire Fehrenbach : Certaines ONG médicales, notamment Action contre la Faim ou Médecins sans Frontières,  ont les capacités et l’expertise nécessaires pour traiter la malnutrition aiguë. Ce sont des acteurs clé en matière de nutrition. Ce qui me semble important est que la question de la nutrition doit être davantage vulgarisée pour qu’un plus grand nombre d’ONG, d’acteurs de développement et humanitaire s’approprient cette question et puissent progressivement l’intégrer à leurs actions, dans un objectif plus large de prévention. Ces acteurs sont au contact des populations et couvrent une multitude de secteurs. On a parlé d’éducation et de sensibilisation. Est-ce que les messages liés à une bonne nutrition sont souvent proposés sur le terrain ? On travaille beaucoup sur les questions, par exemple de Cash ou de mise à disposition de Voucher pour les populations. On sait que les personnes peuvent avoir accès à davantage d’aliments, mais décident-t-elles d’acheter de meilleurs aliments avec une qualité nutritionnelle supérieure ? Tout ça est possible mais il manque encore des maillons pour relier l’ensemble. Selon moi, ces conférences doivent aussi donner de la visibilité à la nutrition, et la rendre plus accessible pour que les différents acteurs du terrain humanitaire et de développement intègrent davantage cette composante dans leurs programmes à tous les niveaux.

Médecin de MSF oeuvrant sur le terrain pour lutter contre la sous-nutrition. © @Markus Boening/MSF

Défis Humanitaires : Comment souhaite-tu conclure ?

Claire Fehrenbach : investir dans la nutrition, est l’une des meilleures opportunités pour développer le capital humain, la santé, les compétences, les savoir-faire. C’est ce qui va permettre d’avoir des sociétés et, on l’espère, des économies en bonne santé. Une bonne nutrition dès les premiers jours, va permettre d’améliorer le développement physique et cognitif des individus, de réduire les risques liés à la santé par un système immunitaire plus fort et donc permettra aux personnes d’être plus productives, d’avoir de meilleurs revenus, de mieux prendre soin d’elles et de leur famille.

C’est un aspect fondamental dès lors que l’on parle de développement au sens large. Surtout maintenant qu’une bonne nutrition devient un défi dans de plus en plus de communautés, notamment lorsque l’on voit les chiffres lies à l’obésité et aux maladies non transmissibles.

Enfin, il y a une phrase qui revient souvent dans le monde de la nutrition : « more money for nutrition, and more nutrition for the money ». Cette composante fondamentale doit être mieux prise en compte et mieux financée. La nutrition est souvent « ballotée » entre l’agriculture et la santé. Dans les ministères, sa place n’est pas toujours clairement établie. C’est pourtant une composante essentielle pour les questions de développement.

Retranscrit et mis en forme par Inès Legendre

Claire Fehrenbach.

Groupe nutriset

C’est au sein des plus grosses ONG françaises et internationales que Claire Fehrenbach s’est investie pendant une vingtaine d’années avant de rejoindre une entreprise privée qui développe ses actions en étroite collaboration avec le monde de la recherche, les ONG médicales et agences des Nations Unies.  

Après des études en Sciences Politiques, Claire Fehrenbach a commencé son parcours Villa Souchet, au siège de Solidarités International.

Plus tard, après un passage au sein de l’AFD, elle s’oriente vers la recherche de financements institutionnels au siège de Médecins du Monde où elle découvre le monde des bailleurs.

Mais la première organisation avec laquelle elle s’investit dans un plus grand nombre de programmes est Handicap International : En marge de la guerre du Kosovo en Albanie (Atlas Logistique), au Gabon en appui aux réfugiés du Congo Brazzaville, puis en Angola où elle dirige l’équipe sur des actions liées aux mines antipersonnel. Au Canada, elle promeut l’association, développe des partenariats avec les institutions québécoises et lève des fonds auprès du grand public.

Avec Oxfam plus tard, elle prend la direction de l’affilié France qui concentre ses efforts sur des actions de plaidoyer (changement climatique, inégalités, APD) puis rejoint les équipes internationales dédiées à la levée de fonds institutionnels. Elle travaillera principalement avec le Niger et l’Afrique de l’Ouest.

Entre ces deux ONG, une mission de 1 an au sein de Total à Paris pour découvrir le secteur privé et la prise en compte des questions sociétales de l’entreprise.

Désormais en Normandie, elle dirige le pôle « Engagement, Impact & Communication » du Groupe Nutriset, l’entreprise qui a mis sur pied PlumpyNut®, le célèbre sachet rouge et blanc permettant de traiter la malnutrition aigüe sévère chez les enfants de moins de 5 ans. Le Groupe, basé en France, s’appuie sur un réseau de partenaires indépendants basés où les besoins sont les plus grands (Burkina Faso, nord su Nigeria, Soudan…) et collabore avec MSF, ACF, Alima….

C’est une autre façon de poursuivre son engagement auprès des plus vulnérables.

A lire également :

Nutriset : le combat d’une entreprise contre la malnutrition – Christian Troubé : https://defishumanitaires.com/2020/02/10/nutriset-le-combat-dune-entreprise-contre-la-malnutrition/