Droit d’accès à l’eau potable et à l’assainissement en France en 2023 : des retards persistants

Cloture de la conférence ONU de New York sur l’Eau mars 2023

Les droits humains à l’eau potable et à l’assainissement ont été reconnus par la Résolution du 28 juillet 2010 (résolution 64/292) de l’Assemblée Générale des Nations Unies dans laquelle il est reconnu que « le droit à l’eau potable et à l’assainissement est un droit de l’homme, essentiel à la pleine jouissance de la vie et à l’exercice de tous les droits de l’homme » et demandé aux États et aux organisations internationales « d’apporter des ressources financières, de renforcer les capacités et de procéder à des transferts de technologies, grâce à l’aide et à la coopération internationales, en particulier en faveur des pays en développement, afin d’intensifier les efforts faits pour fournir une eau potable et des services d’assainissement qui soient accessibles et abordables pour tous ».

Malgré cette reconnaissance internationale, appuyée par la France, le droit humain à l’eau et à l’assainissement n’est toujours pas traduit dans son intégralité dans la législation française. Si la Loi sur l’Eau et les Milieux Aquatiques (LEMA de 2006) prévoit que « chaque personne physique, pour son alimentation et son hygiène, a le droit d’accéder à l’eau potable, dans des conditions économiquement acceptables par tous » (article L 210-1), l’article ne répond pas à l’ambition de tous les critères du droit à l’eau et à l’assainissement tel que reconnu par les Nations Unies. Malgré une promesse de transformation « Ne laisser personne derrière », qui est au cœur de l’Agenda 2030 et des discours, les enjeux d’accès à l’eau reflètent des inégalités toujours aussi fortes, notamment vis-à-vis des groupes marginalisés et discriminés.

Alors que les changements climatiques ont des conséquences fortes et rapides sur la disponibilité de la ressource hydrique, les droits à l’eau et l’assainissement doivent être protégés, respectés et mis en œuvre sans discrimination. Selon les critères droits à l’eau et l’assainissement, les services en eau et assainissement doivent être « suffisants et constamment disponibles, salubres et de qualité acceptables, accessibles physiquement, financièrement et sans danger ». Chaque Etat porte la responsabilité première de garantir l’application de ces droits sur son territoire. Dans les pays développés comme la France, l’enjeu est de mettre en œuvre ces droits pour toutes et tous, y compris pour les personnes en situation de précarité ou d’exclusion.
Pour cela la France doit traduire les droits humains à l’eau et à l’assainissement dans sa législation nationale. Ils doivent être opposables, afin de pouvoir faire l’objet de recours juridiques.

Un manque d’accès à l’eau pour les personnes précaires

Si 99% de la population a accès à un réseau d’alimentation en eau et que 99,7% des Français ont des toilettes à domicile (Insee), l’accès à l’eau potable et à l’assainissement en France demeure problématique pour les populations en situation précaire.

En effet, on compte aujourd’hui en France métropolitaine 330 000 personnes sans domicile et 100 000 vivants en habitats de fortune (28 ème rapport de la FAP), qui par définition dépendent de points d’approvisionnement en eau extérieurs à leurs lieux de vie (fontaines publiques, bornes incendies, puisage dans les eaux de surface, etc.).

Selon la Fondation Abbé Pierre, dans son 28e rapport sur le Mal Logement :

  • 330 000 personnes sont sans domicile
  • 100 000 personnes vivent dans des habitats de fortune, dont environ 20 000 personnes vivent dans des bidonvilles (chiffres DIHAL) [1].
  • 208 000 « gens du voyage » subissent de mauvaises conditions d’habitat ou sans accès à une place dans les aires d’accueil aménagées [2]
  • 2090 000 personnes vivent dans des conditions de logement très difficiles avec privation de confort [3]

Grâce à l’ Observatoire des droits à l’eau et à l’assainissement (DHEA) il est possible d’observer d’importantes disparités géographiques sur l’ensemble du territoire français concernant l’accès à des infrastructures publiques EAH. Mais aussi une disparité quant au portage auprès des décideurs avec souvent une dépendance au bon vouloir des décideurs locaux, ainsi qu’à l’existence d’une interasso forte et cohérente (à l’image du Collectif Action Bord’Eaux à Bordeaux).

Slogan de Solidarités International, sur un véhicule servant aux actions de terrain pour l’accès à l’eau en France

Des situations encore critiques :

  1. La situation des droits humains à l’eau et à l’assainissement est critique pour les personnes résidant dans les DROMs (Guadeloupe, la Guyane, La Réunion, la Martinique et Mayotte) : l’eau n’y est pas toujours disponible ni accessible en continu, elle est chère et souvent impropre à la consommation. Un rapport de 2013 du CGEDD fait le constat que les Outremer ont « 40 ans de retard dans la mise en œuvre de la politique de l’eau et d’assainissement ». Avec des taux d’accès à l’eau et à l’assainissement bien inférieurs à ceux de la Métropole, certains territoires doivent faire face à des enjeux similaires à ceux des pays en développement. Dans certains départements ultramarins, une partie significative de la population, est victime de fréquentes coupures d’eau tout au long de l’année.
    • A Mayotte 31,5% des familles sont sans eau courante et 17% de leur budget est consacré au paiement des factures d’eau. 4 logements sur 10 sont en tôle.
    • A La Réunion 46% des usagers sont alimentés par des réseaux ne garantissant pas une sécurité sanitaire satisfaisante
    • La Martinique et la Guadeloupe connaissent de nombreuses restrictions et tours d’eau au quotidien, ainsi qu’un empoisonnement au chlordécone.
  2. La situation des personnes exilées présentes sur le littoral Nord de la France est la plus critique de la France hexagonale en matière de droits à l’eau et à l’assainissement. Cette zone côtière constitue l’un des principaux points de passage de la route migratoire, avec une présence de personnes en exil pour de courtes durées. Selon les associations locales, le nombre de personnes exilées au Nord oscille entre 1 000 et 3 000 chaque année et comprend des hommes seuls, des femmes, des familles et des mineurs non accompagnés. Bien que les conditions de vie extrêmement précaires de ces personnes soient largement connues des autorités et rapportées dans les médias depuis 2016, aucune mesure satisfaisante n’a été prise par les autorités pour garantir un accès à l’eau, à l’hygiène et à l’assainissement qui soit suffisamment digne ou répondant a minima aux standards internationaux humanitaires utilisés en situations de crise (standards SPHERE).

Des nouvelles normes en matière d’accès à l’eau depuis 2023
En janvier 2023, la directive européenne « Eau potable » 2020/2184, dont l’article 16 vient encadrer l’accès à l’eau potable des populations vulnérables et marginalisées, a été transposée en droit français avec la publication d’une ordonnance et d’un décret d’application. Celle-ci vise à « garantir l’accès de chacun à l’eau destinée à la consommation humaine, même en cas d’absence de raccordement au réseau public de distribution d’eau destinée à la consommation humaine, y compris des personnes en situation de vulnérabilité liée à des facteurs sociaux, économiques ou environnementaux ».
Ces nouveaux textes prennent désormais en compte les personnes et groupes de personnes n’ayant pas accès à l’eau potable, ou ayant un accès insuffisant, notamment celles et ceux en situation de sans-abrisme ou vivant dans des habitats précaires et informels (squats, bidonvilles, campements). [4]

De nombreux habitants de l’île de Mindanao, dans le sud des Philippines, n’ont pas facilement accès à l’eau potable chez eux. Le projet Mindanao Basic Urban Services Sector, financé par la Banque asiatique de développement, contribue à changer cette situation

Les attentes des ONG :

  • Une reconnaissance des droits à l’eau et à l’assainissement par la France
  • Une mise en œuvre ambitieuse de l’ordonnance n° 2022-1611 du 22 décembre 2022 relative à l’accès et à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine
  • Une définition normative de l’accès EAH visant à harmoniser les approches et avoir un standard commun et à la hauteur

Problématique de l’abordabilité

Plus d’un million de ménages ont du mal à payer leurs factures d’eau : 1 210 000 locataires en impayés de loyers ou de charges (un consensus existe au niveau des pays de l’OCDE considérant que le prix de l’eau devient inabordable lorsque cette facture dépasse 3 % des revenus effectifs du ménage) (Enquête Nationale Logement 2013, calculs Fondation Abbé Pierre).
Le droit à l’eau implique que l’accès à une eau potable soit abordable pour tou.te.s. Un consensus existe en France et dans les pays de l’OCDE considérant que le prix de l’eau devient inabordable lorsque cette facture dépasse 3 % des revenus effectifs du ménage. Aujourd’hui en moyenne, la facture d’eau et d’assainissement représente 1,25% du revenu disponible moyen d’un ménage (environ 4€ le m3, soit 500€ pour une facture de 120 m3).
Les personnes qui voient leur facture d’eau dépasser ces 3% sont surtout des personnes sans emploi, des personnes seules, des retraités et des consommateurs usagers d’eau en milieu rural. Ces derniers peuvent aussi se trouver en difficulté pour financer la mise en conformité de leurs installations d’assainissement autonome soumis à la réglementation de l’Assainissement Non Collectif. Si l’assainissement collectif est conforme à 97,6 % en 2017, des efforts restent à fournir pour l’assainissement non collectif dont le niveau de conformité n’atteint que 58,4 % [5]. Cette mise en conformité (normes sanitaires et environnementales) reste à ce jour à la charge de chaque foyer (entre 5000€ à 15000€) et de nombreux ménages ne sont pas en mesure de la financer, alors même qu’ils payent déjà dans le cadre de leur facture d’eau une part concernant l’assainissement des eaux consommées.
En 2018 le gouvernement s’était engagé lors des Assises de l’eau à mettre en place un chèque eau national. Cette mesure n’a toujours pas été mise en œuvre. Jusqu’à 2019 et la loi Engagement et proximité, la doctrine était celle du prix unique de l’eau. Depuis les collectivités territoriales peuvent aider les ménages démunis à payer leurs factures d’eau et d’assainissement. L’article 15 donne la possibilité d’adopter et mettre en place des tarifs sociaux dans les règlements des services de l’eau. Cependant cela reste baser sur le bon vouloir de la collectivité et ses décideur.se.s.

C’est donc un progrès bien qu’il reste un certain nombre de blocages. S’il est possible de créer un tarif social de l’eau, une question est de savoir qui va s’occuper de la mise en œuvre de cette mesure au niveau local. En effet cela implique d’avoir accès à différentes informations. Or les différentes règles de confidentialité rendent difficiles l’accès aux bases de données qui permettent l’identification des bénéficiaires. L’administration et ses différents services se rejettent la responsabilité dans la diffusion de ces informations. Enfin il y a une exclusion a priori des personnes sans droits ni titres des mécanismes d’aide, c’est-à-dire que cela s’adresse aux personnes enregistrées dans les systèmes de distribution, et non pas à ceux étant « là où ils n’ont pas le droit d’être » (typiquement SDF ou personnes en habitats atypiques).

Le ministère de la transition écologique a publié une boîte à outils à destination des collectivités dans le déploiement de leurs politiques sociales de l’eau avec la rédaction de fiches techniques sur les principales mesures de la politique sociale de l’eau, les aides sociales existantes, etc.

Solidarités Intrenational a fait de l’accès à l’eau son combat principal en France et à l’étranger, comme ici à Kerson en Ukraine en 2022

Les attentes des ONG :

  • Un déploiement des aides préventives au paiement des factures d’eau sur tout le territoire français
  • Une définition de ce qu’est un « prix abordable » de l’eau et du pourcentage maximum à ne pas dépasser par rapport au revenu global d’un ménage.

Problématique du manque de données

La situation des personnes qui n’ont pas accès à l’eau et à l’assainissement est largement invisible et très méconnue du grand public. Il est difficile de chiffrer de manière précise les populations concernées par ce manque physique d’accès à l’eau et à l’assainissement car il n’existe aucune étude nationale permettant d’avoir des données sur la disponibilité des dispositifs publics d’accès à l’eau et à l’assainissement.
A ce jour, aucun indicateur français n’existe pour suivre ces deux cibles, pourtant essentielles à l’atteinte de l’ODD 6. Les outils statistiques existants ne permettent pas d’analyser les problématiques de pauvreté en eau et de non raccordement au réseau d’eau et d’assainissement de certaines populations (migrantes, sans domicile, vivant en habitats de fortune) ni les problématiques exacerbées d’accès à l’eau et à l’assainissement dans les Outre-Mer [6].

Cette absence de suivi ne permet pas d’apporter des réponses adaptées et laisse de côté une partie de la population. L’Etat français doit renforcer sa redevabilité en la matière en créant des indicateurs adaptés et en collectant des données régulières sur l’accès à l’eau et à l’assainissement de toutes les personnes présentes sur son territoire, y compris celles en situation de grande précarité [7].

Les attentes des ONG :

  • Accroitre la visibilité des problématiques d’accès EAH en France et avoir une meilleure connaissance des situations
  • Détecter et chiffrer les personnes qui ont un niveau d’accès insuffisant à l’EAH en France
  • La production de données quantitatives et qualitatives sur les situations de manque d’accès physique et/ou abordable à l’eau et à l’assainissement en France.
Photo issue du Bureau des Nations Unies pour les services d’appui aux projets UNOPS

 

Sandra Metayer et Edith Guiochon – (Coalition Eau)

Coalition Eau
La Coalition Eau est le collectif des ONG françaises engagées pour les droits humains à l’eau et à l’assainissement et pour l’eau bien commun : http://www.coalition-eau.org/

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