
La Première Ministre, Elisabeth Borne, peut prendre cette décision lors du prochain Conseil Interministériel de la Coopération Internationale et du Développement.
L’aide Publique au Développement (APD) et à l’Humanitaire du second quinquennat d’Emmanuel Macron sera-t-elle à la hauteur des défis du monde actuel ou va-t-elle faire du sur place, voire reculer. C’est tout l’enjeu du prochain Conseil Interministériel pour la Coopération International et le Développement (CICID) présidé par la première ministre, Elisabeth Borne.
Lors du précédent CICID, le 8 février 2018, nous avions eu de bonnes nouvelles comparativement à la période précédente. En effet, l’APD n’avait pas cessé de diminuer entre 2011 et 2017 ou elle représentait 0,37 % de notre revenu national brut (RNB). Elle a progressivement augmenté jusqu’à 0,56% en 2022 pour un montant de 15,9 milliards de dollars US contre 10,9 en 2019, soit une augmentation de 5 milliards faisant de notre pays le 4ème contributeur mondial. Et l’aide humanitaire longtemps délaissée a commencé à augmenter de 150 millions à 500 millions d’euros. Ce qui est encore très loin de la moyenne de 15% de l’APD parmi les 30 pays membres de l’OCDE.
Entre temps, la Loi du 4 août 2021 de programmation relative au développement solidaire (LOP-DSIM), adopté par l’Assemblée nationale et le Sénat et promulgué par le Président de la République, stipule que la France « …s’efforcera d’atteindre 0,7% du revenu national brut en 2025 ». C’est tout l’enjeu du prochain CICID sous la responsabilité de la première ministre.
Le monde a beaucoup changé en peu de temps.
Après la longue pandémie de la Covid-19 et ses funestes conséquences, notamment pour l’Afrique, la guerre en Ukraine a ouvert une nouvelle ère géopolitique, celle d’une fragmentation internationale, d’une prise de conscience de la perte d’influence du monde occidental, d’une affirmation des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) et de l’éloignement d’un nouveau continent appelé le Sud global.

Le nombre de conflits a plus que doublé au cours de la décennie 2010-2020, le nombre de catastrophes liés au climat a augmenté chaque année depuis 2018, les crises se prolongent de plus en plus, la pollution de l’eau et l’augmentation exponentielle de sa consommation génère des tensions grandissantes et menace les ressources, le nombre des réfugiés et déplacés par les conflits a doublé en 10 ans pour atteindre plus de 100 millions d’êtres humains et l’insécurité alimentaire a augmenté de 35% ces cinq dernières années. La démographie en Afrique va passer de 1.427 milliards d’habitants en 2022 à 2.5 milliards en 2050. Comment l’Afrique va-t-elle faire.
Nous avons basculé dans une autre époque en une poignée d’années et surtout changé d’échelle et de rythme face à ces immenses défis. Allons-nous assumer nos responsabilités internationales.
La France sera-t-elle au rendez-vous.
C’est cette question qui a conduit le Président de la République, Emmanuel Macron, à organiser le récent « Sommet pour un nouveau pacte financier mondial » les 22 et 23 juin à Paris, mais sans beaucoup de décisions concrètes finalement. La Loi du 4 août 2021 a déjà modélisé l’ambition et la trajectoire d’une APD de 0,56% du revenu national brut (RNB) en 2022, à 0,61% en 2023, 0, 66% en 2024 et, enfin 0,70 % en 2025, ce qui représenterait environ 20 milliards d’euros.
Dans cette APD, il y a une anomalie criante qui nécessite d’être enfin considérée et enfin réparée. C’est celle de la part d’APD affectée par la France à son aide humanitaire. Selon l’OCDE, en 2021, pour une APD de 12.247 milliards dollars US, la France a consacré 88,86 millions à l’humanitaire, c’est-à-dire 0,73% de l’APD totale contre une moyenne de 15% pour les autres pays.

La France se distingue en se classant parmi les 30 pays membres du Comité d’Aide au Développement des pays les plus développés comme le dernier de la classe là ou des pays comme l’Angleterre consacre 10% de son APD à l’humanitaire comme l’Allemagne, la Belgique 13%, l’Irlande 24% et les Etats-Unis jusqu’à 31%.
Pourquoi cette anomalie, quel est le problème, quelles en sont les raisons, quelqu’un en voudrait-il à l’humanitaire dans notre pays dont les ONG ont tant fait pour réformer l’aide humanitaire internationale au nom du devoir d’accès des secours aux populations en danger. Ce CICID fera-t-il enfin justice à l’humanitaire en France une bonne fois pour toute en passant de moins de 1% pour rejoindre progressivement d’ici 2027 la moyenne de 15% des pays membres de l’OCDE.
Certes, comme le concédait le Président de la République lors de la 4ème Conférence Nationale Humanitaire en décembre 2020, nous sommes dans un rattrapage. Entre 2018 et 2022, l’aide humanitaire de la France est passée de 150 à 500 millions d’euros. En 2023, elle pourrait être de l’ordre de 900 millions d’euros dont 250 à 300 millions d’euros pour le Fonds d’Urgence Humanitaire et le reste allant à d’autres mécanismes (organisations internationales et aide alimentaire).
Je suis conscient que dans cet article cela fait beaucoup de chiffres arides qui semblent loin de la souffrance des populations en danger du Soudan à l’Ukraine, de la République Démocratique du Congo à la Syrie. Pourtant, il n’y a guère d’aide humanitaire sans argent et la proportion de celle-ci dans le budget de l’Etat est l’expression d’une stratégie ou de sa faiblesse, voire de son absence.

La France doit enfin consacrer 15% de son APD à l’aide humanitaire.
Or, la France s’est dotée d’une « Stratégie Humanitaire de la République Française » qui sera actualisée et présentée lors de la 5ème Conférence Nationale Humanitaire qui aura lieu cet automne en présence du Président de la République. Ce sera l’heure de vérité. Le Centre de Crise et de Soutien du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères a fait la preuve de ses capacités avec ses partenaires à mettre en œuvre une aide humanitaire efficace et exigeante.
Il s’agit ici de se hisser à la hauteur des défis humanitaires auxquels nous sommes confrontés dans le monde. Ne pas secourir les victimes des conflits, catastrophes et pandémies est une faute et une erreur. Faute morale et erreur politique tant celle-ci engendre un effet de propagation et provoque l’exode de populations toujours plus nombreuses au risque de déstabiliser les pays voisins.
En 2023, selon les Nations-Unies, le nombre de personnes en danger dans le monde est de 339 millions et les moyens pour les secourir sont évalués à 51,5 milliards de dollars US. Or, en 2022, seuls 55% des besoins urgents constatés ont été financés. Nous craignons qu’il manque 23 milliards de dollars US cette année pour secourir les populations en danger. Faudrait-il les abandonner à leur triste sort ou diviser les rations de survie par deux.

Madame la première ministre, lors de ce CICID, vous pouvez décider de consacrer 15% de l’APD de la France à l’aide humanitaire selon une trajectoire progressive. La France pourrait également prendre l’initiative avec d’autres pays de se mobiliser pour enfin réunir au niveau mondial les 51,5 milliards de dollars US nécessaires cette année. Sur un PIB mondial de 96.000 milliards de USD en 2021, cela doit être possible.
Cet automne, l’OCDE procèdera à l’examen par les pairs de l’Aide Publique au Développement et à l’Humanitaire de la France et ce sont les décisions du CICID présidé par la première ministre, qui seront alors pris en compte et évalué par nos partenaires concernant la solidarité internationale de la France.
Alain Boinet
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