Humanitaire jusqu’au bout !

Il y a 40 ans, en décembre 1980, quand nous franchissions clandestinement la frontière afghane pour secourir les victimes d’une guerre cruelle qui leur était imposée, je n’imaginais pas écrire 40 ans plus tard la préface du livre « Aider plus loin » de Pierre Brunet et Tugdual de Dieuleveult. Cet ouvrage – publié aux Éditions Autrement, avec le soutien d’Edouard Lagourgue, de Frédéric Bos et d’autres amis et en librairie le 30 septembre – raconte de manière vivante l’action humanitaire de Solidarités International.

Nous n’avions alors pas choisi la facilité. Franchir sans visa la frontière, agir au risque de la guerre et n’avoir aucun financement institutionnel durant près de 10 ans, alors que ceux-ci étaient massivement disponibles au Pakistan pour les réfugiés. Il n’y avait personne de l’autre côté de la frontière ! Il fallait y aller, les aider. Ce fut l’acte fondateur.

Convoi de l’armée rouge en Afghanistan.

L’accès aux populations en danger est la priorité de Solidarités International et est toujours sa boussole aujourd’hui. Aider plus loin illustre le lien continu entre passé, présent et avenir. Il est un témoin de cet engagement toujours d’actualité.

Le choix éditorial des auteurs est un miroir de l’identité de l’association. C’est l’esprit de mission incarné par des femmes et des hommes engagés sur le terrain, crise après crise. Témoignages, analyses et mises en perspective se complètent. C’est l’action humanitaire qui a construit l’organisation Solidarités International, dont la communication est au service de sa mission.

Population déplacée à l’est de la République Démocratique du Congo, 2015. ©Solidarités International

Un livre passionnant composé de témoignages et de photos.

On ne s’ennuie pas en feuilletant ce livre où alternent photos et témoignages du terrain. C’est du vécu, humain, rythmé, authentique au plus près des personnes et communautés en péril. Il montre l’incroyable capacité d’adaptation des humanitaires et des populations à chaque situation : qu’il s’agisse des afghans en résistance ou des orphelins roumains à l’abandon, du génocide rwandais ou de Sarajevo encerclé et bombardé, du tremblement de terre en Haïti ou de l’épidémie d’Ebola, de la Syrie, du Yémen ou du Sahel parmi 46 pays d’intervention.

Les auteurs ont structuré le livre en 4 décennies, depuis l’acte de naissance en 1980 jusqu’à cette année 2020. Ces 4 étapes recoupent des périodes géopolitiques et humanitaires avec leur lot de conflits et de catastrophes qui nécessitent des secours spécifiques à chaque pays.

Destruction du World Trade Center à New York le 11 septembre 2001.

Que l’on pense à la guerre froide Est-Ouest des années 1980 et à la chute du Mur de Berlin et la fin de l’URSS. Qu’il s’agisse de l’Agenda pour la paix du Secrétaire Général des Nations-Unies, Boutros Ghali, à la dislocation du bloc de l’Est avec ses 10 ans de guerre dans les Balkans assortis de drames tel le génocide des Tutsis au Rwanda. Que ce soit la disruption majeure de la destruction du World Trade Center le 11 septembre 2001 avec de nouvelles guerres en Afghanistan et en Irak. Que ce soit les printemps arabes pleins d’espoir et de malheur dont la Syrie, le Yémen ou la Libye sont des exemples douloureux.

Ces humanitaires, acteurs des secours, sont de fait aussi des lanceurs d’alerte face aux défis qui s’amplifient dans de larges proportions et à un rythme effréné.  Ils rendent le monde plus imprévisible et plus dangereux et provoquent, année après année, un nombre toujours plus élevé de déplacés internes et de réfugiés.

L’humanitaire face aux crises qui viennent.

Les crises qui viennent sont nombreuses. Le dérèglement climatique et la destruction de l’environnement et de la biodiversité. La raréfaction et la pollution de l’eau, les épidémies telles que le choléra, Ebola ou la Covid-19. Le terrorisme et la guerre qui reviennent comme des outils politiques. L’isolationnisme ou les tensions provoquées par des chefs d’Etat comme Donald Trump, Xi Jinping, Vladimir Poutine ou Recep Tayyip Erdogan. La remise en cause du multilatéralisme engendrée aussi par les excès du mondialisme. La démographie et l’urbanisation galopantes.

Site de traitement de l’épidémie Ebola en Sierra Leone, 2015. ©Solidarités International

Dans ces contextes, la politisation de l’aide risque à coup sûr de réduire l’espace d’accès aux populations en danger et d’accroître l’insécurité pour les humanitaires. Plus que jamais, pour remplir une mission difficile dans la durée, les principes humanitaires de neutralité, d’impartialité, d’indépendance et d’humanité sont les plus fidèles alliés. Ce qui n’empêche pas d’être lucide sur les causes des crises et leur logique d’exacerbation.

Cette histoire de 40 ans n’était pas écrite d’avance. Elle s’est construite sur l’audace dans la durée avec un grand sens de l’adaptation et la nécessité constante de faire plus et mieux. Aujourd’hui, c’est le virus de la Covid-19 et ses conséquences que nous devons combattre en innovant, comme au printemps avec le pont aérien humanitaire pour suppléer à l’interruption du transport aérien.

D’autres risques émergent comme celui de l’affrontement pour l’accès aux ressources ou comme la menace de délitement interne de sociétés minées par l’égoïsme, le mercantilisme, le consumérisme, le manque d’unité des peuples et des nations.

Je vous encourage à lire ce livre, à l’offrir pour les fêtes et à en parler autour de vous. C’est une grande et magnifique histoire qui montre comment la solidarité peut être la première réponse à la souffrance tout en portant l’espérance de vivre. Car ce livre est d’abord un message d’espoir.

Alain Boinet