Les Arméniens nous appellent au secours

Les intellectuels français en soutien à l’Arménie et au Haut-Karabagh au Sénat.

De gauche à droite : Hovhannès Guévorkian, François Pupponi, Anne-Laurence Pétel, Hasmik Tolmajian, Gilbert-Luc Devinaz, Bernard Kouchner, Erik Orsenna, Emmanuel Ruben, Olivier Weber, Pascal Bruckner.

Le 16 mars, sous le haut-patronage du président du Sénat, Gérard Larcher, et de la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, en présence de l’ambassadrice de l’Arménie en France, Madame Hasmik Tolmajian, et du Représentant du Haut-Karabagh, monsieur Hovhannès Guevorkian, la grande salle du pavillon de l’Orangerie est comble pour écouter les personnalités d’opinion diverse réunies pour soutenir les 120.000 Arméniens de l’enclave du Haut-Karabagh ou Artsakh victimes depuis le 12 décembre d’un blocus du corridor de Latchine par l’Azerbaïdjan.

Le corridor de Latchine est la seule voie d’accès entre le Haut-Karabagh, grand comme un département français, avec l’Arménie et le reste du monde par lequel transite produits alimentaires, médicaments, électricité et gaz régulièrement coupés cet hiver. La route est donc fermée à tout ravitaillement depuis plus de 100 jours et seuls quelques convois du Comité International de la Croix Rouge (CICR) apportent des médicaments et réalise des évacuations sanitaires. De son côté, le contingent Russe de maintien de la paix chargé du corridor de Latchine transporte quelques produits alimentaires.

La réalité c’est que la population est prise en otage par ce blocus qui dure malgré de nombreuses condamnations internationales et que l’avenir est très incertain, très menaçant pour la population.

Nous restituons ci-dessous des extraits des propos tenus par les intellectuels et les élus, sénateurs et députés, durant cette conférence coordonnée par Valérie Toranian, journaliste et écrivaine et directrice de la rédaction du magazine Le point.

C’est le président du groupe d’information internationale sur le Haut-Karabagh du Sénat, Bruno Retailleau, qui introduit d’emblée le sujet : ce qui se joue là-bas c’est quelque chose qui nous concerne nous, ceux qui se joue là-bas c’est ce que Milan Kundera avait appelé un jour « l’avenir de ces petites nations »

« Aujourd’hui l’Arménie nous attend. Aujourd’hui la situation est dramatique. On doit absolument se mobiliser. »

« On ne lutte pas contre une épuration ethnique uniquement avec des postures d’indignation, des postures de contestations, il faut des sanctions (…), il faut une force d’interposition si on veut être efficace. »

Bernard Kouchner lors de la Conférence.

Bernard Kouchner, ancien ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, propose une approche détonante, humanitaire et diplomatique, susceptible d’ouvrir la route « Il faut aider ses arméniens qui sont une partie de nous-mêmes par leur combat, leurs décisions, leur ténacité, leur courage.  Si nous arrivions à ce que l’Europe organise des camions avec des drapeaux, je pense que ce premier convoi européen humanitaire ne serait pas rejeté. Ce serait un événement historique. Il faut pour ça qu’un pays ou deux se chargent de le faire. » Et Bernard Kouchner conclu avec raison « Il n’y a de solution que politique ». En l’écoutant, je redoute en moi-même que le retour de la guerre ne signe l’échec de la politique tant cela dépend de l’Azerbaïdjan !

Philosophe, romancier, essayiste, Pascal Bruckner, revient sur la réunion en janvier à l’Elysée avec le président de la République, Emmanuel Macron, et une délégation d’intellectuels et journalistes venue plaider l’urgence d’agir pour protéger les Arméniens du Haut-Karabagh en danger.

« C’est un président très décidé que nous avions trouvé ce jour-là. Nous lui avons suggéré de se rendre directement en Arménie et d’avoir un geste symbolique pour proclamer l’amitié franco-arménienne et le scandale que constituait le blocus de l’Artsakh. Nous sommes partis avec un certain espoir, c’était il y a deux mois, aujourd’hui l’Elysée est muet. (…) Nous le regrettons infiniment. »

« Il suffirait que le président de la République aille à Erevan pour s’occuper de ce dossier brulant, mais en attendant qu’Emmanuel Macron accepte de s’engager, notre rôle à nous est d’harceler les médias et l’opinion pour sensibiliser les gens et prévenir qu’une épuration ethnique dans le Haut Karabagh serait insupportable et que les autorités françaises y porteraient une très grosse responsabilité. »

L’écrivain, géographe, alpiniste à la recherche des hauteurs humaines, Sylvain Tesson, nous révèle son étonnement de ce qui fait l’unité diverse des soutiens à l’Arménie et pourquoi la politique doit se hisser à la hauteur de l’histoire.

« Je m’étonne beaucoup d’une chose à propos de l’Arménie c’est de l’extraordinaire unanimité qui règne dans la classe des hommes politiques dans ce pays sur la question arménienne.

« Si on réfléchit bien, c’est peut-être que parce que précisément cette petite anomalie territoriale, concentre, rassemble, attire, une foule de motif tout à fait différents et disparates dans lesquels tout le monde peut se reconnaitre pour des motifs spirituels, intellectuels, politiques, historiques. L’Arménie c’est l’anomalie des droits de l’Homme au milieu des autocrates. »

Discours de Sylvain Tesson, s’engageant en faveur des arméniens.

Les droits de l’Homme, La croix, les précédents historiques, la longue habitude du malheur et de la douleur que l’Arménie a montré au monde, cette espèce de championnat du martyr qui constitue une part de l’identité arménienne, la proximité culturelle, géographique, humaine, démographique avec l’Europe. Tous ces motifs culturels, politiques et spirituels constituent le chatoiement des raisons qui font que des gens très disparates, très opposés dans la sphère civile se porte au chevet de l’Arménie. C’est magnifique. Cela s’appelle la convergence des luttes spirituelles. C’est cela qu’il faut essayer d’exprimer pour que nous cessions de considérer ce pays avec le silence et l’indifférence. »

« On ne fait pas un bilan avec des intentions. Pour l’instant, il y a la raison d’Etat qui fait que l’on ne peut pas intervenir tout de suite, de ne pas agir tout de suite. Cela s’appelle la politique. La politique, c’est quand on essaie d’attendre le bon moment pour agir. L’Histoire c’est quand on agit malgré le fait que ce soit le mauvais moment. C’est une grande différence. Nous espérons que l’intention se transforme en action. »

Erik Orsenna, ce touche à tout génial et pédagogue hors pair et non sans humour, rebondit sur les propos de Sylvain Tesson « Nous sommes au fond au service des anomalies. Un écrivain, un artiste c’est donner la parole à ceux qui ne l’ont pas.  On va essayer de continuer de donner la parole, mais avec des actes. »

« Ce qui est extraordinaire est qu’il y a une sorte d’accord très particulier entre l’anomalie et l’essentiel. Ce lien là, ce que nous défendons en défendant des anomalies est que nous nous rappelons qu’il existe des essentiels. »

Olivier Weber, écrivain et grand reporter qui prépare un documentaire « Si je t’oublie Arménie » a organisé cette conférence avec la participation d’Annabelle Jacquemin Guillaume du cabinet FAMA.  Il va droit au cœur de la situation. « Ces violations du territoire arménien continuent. Cela s’appelle un déplacement déguisé de population et en Droit international Humanitaire, cela s’appelle un déplacement forcé de population, condamné par les Conventions de Genève et de l’ONU. Ce qui est incroyable est de voir cette négation de ce droit de la part de Bakou, des autorités de l’Azerbaïdjan de ce droit international humanitaire avec des infractions répétées sur les civils et militaires arméniens. Ce nettoyage ethnique est en cours. C’est une menace, non seulement pour le peuple arménien, non seulement pour les habitants du Haut-Karabagh mais aussi c’est une menace pour la stabilité et pour la paix dans toute la région. Qui menace le Haut-Karabagh menace l’Arménie et l’inverse ».

Olivier Weber.

« Il est urgent de dénoncer et aussi d’agir. Ce que nous demandons est que la France protège ce pays et porte une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU, dont elle est membre permanent afin de mettre fin à ce blocus inique du Haut-Karabagh. La France peut, et doit au nom de ses principes, effectuer une telle démarche, au nom de l’amitié séculaire avec le peuple arménien. »

Et comme pour traduire la réalité, le directeur de l’hôpital de Stepanakert témoigne à distance dans une vidéo « La vie des habitants de l’Artsakh est extrêmement difficile tous les jours. Cela concerne la nourriture, des produits de première nécessité, des produits en particulier pour les enfants. Il faut savoir qu’il y a des coupures d’électricités et de gaz permanentes. »

Blanche de Richemont, écrivaine, philosophe, journaliste nous entraine avec une grande humanité au cœur du drame qui se joue là-bas dans ces montagnes du Caucase du sud « C’est un peuple qui a connu plusieurs drames, et qui ne cessent de revenir sur ses terres. C’est une vie qui n’a pas peur. Pour eux, juste vivre est un courage. Ils aiment viscéralement leurs terres et ils savent que s’ils partent, elles tombent entre les mains des azéris. Alors, ils préfèrent mourir debout que de vivre en tournant le dos à leurs âmes, en tournant le dos à leurs terres. »

« Où est notre courage à nous ? Nous qui sommes le pays des droits de l’Homme, nous qui vivons dans une société qui ne cesse de faire la morale, pourtant une population est en train d’être étranglée sous nos yeux et nous regardons ailleurs. Or, ce qui se joue actuellement est une lutte de valeurs : celle de la liberté contre la dictature. Si on laisse faire alors que la France accueille une grande communauté arménienne, cela signifie que nous acceptons que la liberté soit bafouée qu’une terre soit étranglé. »

Manifestation à Stepanakhert. @EdgarHarutyunyan

Des Artsakhois manifestant contre le blocus. @EdgarHarutyunyanLe géographe Emmanuel Ruben fera entendre sa propre voix « Cela ne m’intéresse pas de savoir qui est chrétien ou musulman. Ce qui m’intéresse c’est de savoir qui est l’agresseur et l’agressé, le plus fort et le plus faible ».

Grande érudite passionnante que Marina Dedeyan, petite fille de rescapés de la tragédie de Smyrne en 1922, nous rappelle à nos humanités « Je voudrais vous rappeler cette tradition littéraire qui unit depuis des siècles la France aux Arméniens car il n’est de plus grande unité entre deux peuples, de lien plus intime que celui des lettres et de la culture »

« L’Arménie évoquée par Alexandre Dumas, comme le berceau du monde où se situait le paradis terrestre.  Charles Péguy écrivant déjà que la cause de l’Arménie est universelle. Les Arméniens, une des plus anciennes civilisations du monde, qui au 12ème siècle ajoutèrent le f comme 37ème lettre de leur alphabet pour écrire le nom de France. »

Ensuite, ce sont des députés et sénateurs, socialiste, écologiste, renaissance, républicain qui dans une belle et rare unanimité qui vont témoigner, eux qui portent ici la représentation du Sénat et de l’Assemblée nationale.

C’est François Pupponi, ancien député maire et Président du Cercle d’Amitié France-Artsakh, qui s’exclame « La France ne peut pas accepter que 130 000 Aksariothes disparaissent. »

C’est Anne-Laurence Petel, députée et présidente du groupe d’amitié France-Arménie de l’Assemblée nationale qui déclare « La cause arménienne est une cause transpartisane. Nous sommes tous mobilisés que ce soit à l’Assemblée ou au Sénat en soutien aux arméniens d’Arménie et des Arméniens de l’Artsakh. Je rejoins ce que disais tout à l’heure Erik Orsenna : nous avons cette obligation, ce devoir de dire à tous les Français de dire ce qu’il se passe la bas, le danger et la menace existentielle que vive aujourd’hui les arméniens et qu’ils vivent depuis très longtemps cela nous concerne directement. »

 

Hovhannès Guévorkian, représentant du Hau-Karabagh en France, concluant cette conférence au Sénat

C’est Gilbert-Luc Devinaz, Sénateur, président du groupe d’amitié France-Arménie, qui analyse « L’intervention en début de semaine du premier ministre Nikol Pachinian en demandant aux forces d’interposition russes de jouer leur rôle dans le couloir de Latchine est un appel de détresse pour éviter que ne se produise l’inévitable, l’inévitable catastrophe humanitaire que nous craignons tous. Ce que nous craignons c’est que le couloir de Latchine ne devienne le couloir de la mort pour les populations arméniennes qui ont été prises au piège. C’est une guerre sournoise, silencieuse, sans arme mais terrible qui se joue au HK. »

« L’Azerbaïdjan doit rouvrir sans délai le corridor de Latchine, car on ne peut plus attendre. » L’Union Européenne doit avoir un message clair vis-à-vis de l’Azerbaïdjan et ne doit pas tenir un double discours. Nous devons unir nos voix au niveau de l’Union Européenne pour condamner l’attitude de l’Azerbaïdjan. Ce blocus est contraire au droit humanitaire, aux droits de l’Homme. Dès aujourd’hui, un convoi humanitaire doit pouvoir franchir le barrage et être acheminé auprès de populations. »

Il revient au Représentant en France du Haut-Karabagh, Hovhannès Guevorkian, de conclure en allant droit à l’essentiel « Présenter ce conflit comme un simple différend territorial revient à occulter les droits des 120.000 Arméniens d’Artsakh. Le dénis des droits, voilà ce que nous appelons le conflit du Haut-Karabagh. Et d’ajouter « Nous sommes prêts à mourir pour garder ce que nous avons de plus humain : notre liberté ».

Liberté, liberté chérie, tous réunis pour que la liberté ne succombe pas là-bas mais qu’elle vive pour ce petit peuple, parcelle menacée de notre humanité.

Reportage de Défis Humanitaires.

PS/ Nous vous signalons la Conférence sur « Le blocus dans le Haut-Karabagh (Artsakh), le jeudi 13 avril de 15h à 18h à ‘Université Panthéon-Sorbonne. Entrée uniquement sur inscription. 

 

 

 

 

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