Le Sahel est une bombe démographique

La démographie, c’est une géographie humaine et les chiffres sont là. En Afrique, au Sahel en particulier, nous assistons à un changement d’échelle vertigineux. En 1950, il y avait 2.5 milliards d’êtres humains sur terre dont 229 millions en Afrique. Aujourd’hui, nous sommes 7,7 milliards d’habitants dont 1,3 milliard en Afrique. Dans 30 ans, nous serons environ 10 milliards dont 2,5 milliards en Afrique en 2050.

Les pays du G 5 Sahel (Mali, Niger, Burkina Faso, Mauritanie, Tchad) vont passer de 83,7 millions d’habitants en 2019, dont environ 50% de moins de 15 ans, à 196 millions en 2050. Il y a une véritable urgence à en tirer les conséquences pour éviter ce qui se passe toujours dans l’histoire en cas de surpopulation selon le démographe Michel Garenne : départs, guerres, famines, épidémies, car « il n’y aura pas assez de place et de ressources pour tout le monde » précise t-il.

La mission de Défis Humanitaires, c’est d’alerter pour agir et construire des réponses à la hauteur des risques. La gouvernance de ces pays doit assumer toutes ses responsabilités, le développement doit impérativement intégrer la démographie, enfin il est indispensable d’associer étroitement les populations à une réduction des naissances dans une perspective d’amélioration durable des conditions de vie.

L’Afrique : un habitant sur quatre de la population mondiale à l’horizon 2050

Part de la population africaine (en milliards et pourcentage) sur la population mondiale. Graphiques réalisés à partir des chiffres prévisionnels des Nations-Unis.

L’Afrique fut longtemps présentée comme un continent sous-peuplé du fait de ses caractéristiques géographiques et de la faible connaissance que l’on avait du continent. Depuis les années 70, des campagnes de recensement sont initiées afin de permettre aux gouvernements de mesurer les enjeux démographiques à venir. Par la suite, la conférence internationale sur la population de Mexico en 1984 officialise l’importance de la démographie et la prise de conscience des dirigeants africains à ce sujet. Les efforts de coopération aboutissent au Programme d’Action de Kilimandjaro composé de recommandations non contraignantes. L’objectif était de doter les Etats de véritable politique démographique. Les décennies se sont écoulées et la démographie africaine, régulièrement au centre des discussions lors des sommets internationaux, est maintenant présentée comme la bombe à retardement du XXIème siècle.

Le Nigéria est de loin l’exemple le plus éloquent : d’ici 2050 le pays comptera 401 millions d’habitants, soit le troisième pays le plus peuplé du monde derrière l’Inde et la Chine. Sous-jacent à cette démographie exponentielle, les nombreux défis de développement inquiètent. La seconde caractéristique de la démographie nigérienne est la jeunesse de sa population : 50 % ont moins de 15 ans en 2017. C’est à la fois perçue comme une force économique et comme un danger compte-tenu du déficit structurel des services publics et des troubes sécuritaires.

Il est réducteur de dresser un seul et unique tableau pour l’ensemble du continent mais il s’est avéré que l’Afrique a remis en cause les certitudes et schémas d’évolution démographique. C’est le continent qui a nuancé l’universalité prétendue du modèle de transition démographique crée à partir du phénomène européen au XIXème siècle. Jusqu’à présent, le modèle de référence était le suivant : une baisse importante de la mortalité grâce à une amélioration des conditions de vie, de santé et d’éducation, doit mécaniquement engendrer une baisse importante des natalités. Les démographes estimaient également qu’une soixantaine d’années étaient nécessaires pour parvenir à une maîtrise de la fécondité. Les logiques sociologiques propres à certaines régions africaines nuancent le schéma traditionnel. In fine, la baisse du taux de fécondité ne répond pas seulement à une mécanique et ne se révèle pas aussi proportionnelle à la baisse de la mortalité que ce que prévoyaient les démographes. L’ONU a d’ailleurs dû revoir ses prévisions à la hausse en ralentissant la baisse du taux de fécondité par femme.

Les tendances démographiques dans la région du Sahel

Graphiques réalisés à partir des chiffres prévisionnels des Nations-Unis.

Le premier préalable avant d’étudier la démographie au Sahel est la définition même de cet espace. Géographiquement, le Sahel s’étend de part et d’autre du continent, bordé au Nord par le Sahara. Les pays qu’il recouvre sont la Mauritanie, le Mali, le Niger, le Tchad, le Soudan, et l’Érythrée. Le Sahel ne se limite pas à des frontières nationales : c’est une zone qui tend à s’élargir en cette période de dérèglement climatique et de désertification. Son avenir ne concerne plus uniquement les six pays cités : le plan d’investissement sur le réchauffement climatique pour les pays du Sahel (2019-2030) englobe 17 pays, le Comité inter-Etat de lutte contre la sécheresse au Sahel comprend lui 13 Etats. A l’inverse, on parle du G5 Sahel uniquement pour le Mali, la Mauritanie, le Niger, le Tchad et le Burkina Faso. Dans une perspective régionale et transfrontalière, le G5 Sahel, créé en 2014, a pour mandat de rétablir un climat de sécurité propice au développement de la région. Des caractéristiques communes lient ces pays les uns aux autres par des paramètres climatiques (aride ou semi-aride), météorologiques (alternance entre saison des pluies et saison sèche), géographiques (enclavement des pays et faible densité de population avec une moyenne de 15 hab/km2), sociales (transhumances et ethnies transfrontalières) et économiques (système agropastoral).

À l’échelle du continent, le poids démographique du Sahel reste relativement stable. La population sahélienne représente 8,4% de la population africaine en 2020, 9,6% en 2050 puis 11% à l’horizon 2100. Avec des volumes différents, chaque pays suit une évolution semblable, à l’exception du Niger. En 2019, ce pays compte 21,48 millions de nigériens, enregistre la plus forte croissance africaine (3,8% selon la Banque Mondiale) et un taux de fécondité le plus élevé avec une moyenne de 6,5 enfants par femme selon les données onusiennes.

Graphiques réalisés à partir des chiffres prévisionnels des Nations-Unis.

Au-delà du constat démographique : les défis pour les pays du G5 Sahel.

Au Mali, depuis 2012, la crise sécuritaire ne cesse de s’intensifier et de se propager dans la région. La zone des trois frontières, à l’intersection du Niger, du Burkina Faso et du Mali, apparaît comme l’épicentre de la crise. Dans cette guerre asymétrique, l’enlisement des combats depuis août 2014 face à la myriade de groupes djihadistes1 reflète les difficultés du G5 Sahel. Mais quels liens peut-on véritablement établir entre cette dégradation sécuritaire et l’explosion démographique ? Pour cette crise, le paramètre démographique est à concevoir comme un élément amplificateur qui agit tant sur les racines du conflit que sur ses conséquences. Les pays du G5 Sahel connaissaient des fragilités structurelles et sécuritaires préexistantes à l’explosion démographique, le phénomène ne fait que renforcer les perturbations et dysfonctionnements du système.

Synthèse de l’impact du facteur démographique sur les différents secteurs.

**Le dividende démographique correspond à la situation suivant la baisse rapide d’une fécondité élevée. La part des personnes en âge de travailler est favorable : il y a peu de personnes âgés et peu d’enfants à charge. C’est une période de forte stimulation économique qui a énormément profité aux émergents asiatiques. Dans le cas présent, la validité du phénomène est questionnée. La baisse de la fécondité est trop lente et les perspectives d’emplois sont faibles.

Et les besoins humanitaires ?

Le contexte sécuritaire se détériore, le dérèglement climatique s’accélère, l’empreinte territoriale des Etats est faible et la pression démographique s’intensifie : l’équation rend les besoins humanitaires nombreux et croissant. Comment garantir un accès à l’eau et une sécurité alimentaire pour les prochaines décennies dans un contexte si fragile ? La question se pose pour les 10 milliards d’êtres humains sur terre en 2050 mais les réponses sont d’autant plus incertaines au Sahel. Les derniers chiffres de l’OCHA parus ce novembre dresse le bilan des besoins humanitaires :

  • Déplacés : victimes des violences, ce sont 4,1 millions de déplacés au Sahel en 2019 avec une multiplication par dix en une année seulement pour la zone des trois frontières, soit 860 000 personnes dont 486 000 burkinabés. D’après USAID, les régions accueillant le plus de réfugiés sont la partie sahélienne du Burkina Faso, la région de Mopti au Mali et de Tillabéri au Niger. Le phénomène de déplacements est double : temporaires ou définitifs, internes ou externes, ils peuvent être déclenchés par l’instabilité sécuritaire et par la détérioration de l’environnement (stress hydrique et inondations). Les migrations climatiques sont d’ailleurs annoncées comme la « bombe migratoire » pour les prochaines décennies.
  • Urgence: La perte des moyens d’existence à la suite des déplacements exacerbe les tensions et augmente les besoins alimentaires. 6,1 millions de personnes ont besoin d’une aide d’urgence dont 3,9 millions au Mali, 1,5 au Burkina Faso et 700 000 à l’ouest du Niger (OCHA). Selon le PAM, 2,4 millions de personnes ont besoin d’aide alimentaire dans le Sahel central, dont 1,8 millions de personnes concernées et 400 000 enfants en cas de malnutrition dans la région des trois frontières. Dans une région où l’eau est également source de tensions, l’ONG Solidarités International agit. Grâce à l’installation de Systèmes Hydrauliques Pastoraux Améliorés, de distribution de kits d’eau potable et à des campagnes de sensibilisation, l’ONG se mobilise pour offrir un meilleur accès à l’eau, à l’hygiène et à l’assainissement au Mali (Kidal), et au nord du Burkina Faso.
  • Besoins : Pour répondre aux besoins urgents de 4,7 millions de personnes dans la zone des trois frontières 717 millions de dollars seraient nécessaires. Selon les derniers chiffres, moins de la moitié des fonds ont été reçus. USAID dans son rapport de juillet 2019 alerte, sur les difficultés d’accessibilité aux populations dont les besoins sont les plus grands qui empêche une estimation des besoins et une distribution de l’aide.

Le constat humanitaire est alarmant alors que le contexte sécuritaire continue de se détériorer et la population de croître. L’explosion démographique est en cours et si le phénomène ne peut être diminué significativement à court et moyen terme, l’accélération de la transition démographique peut être permise grâce à d’immenses efforts de développement tout en associant les populations à ces politiques. Les Etats semblent prendre progressivement les mesures qui s’imposent face au défi démographique. Le plus concerné, le Niger s’est doté d’une Politique Nationale de population depuis août 2019. Gouvernements, ONG et institutions devront travailler de concert pour combler les besoins et relever les défis dans cette période de transition démographique.

Alicia Piveteau

 

1 – Pour une meilleure compréhension de l’implantation des GAT, le centre de recherche « European council on foreign relations » propose une cartographie des acteurs : https://www.ecfr.eu/mena/sahel_mapping#

2 – United Nations, Department of Economic and Social Affairs, Population Division (2013). Update for the MDG Database: Contraceptive Prevalence & Unmet Need for Family Planning. http://www.un.org/en/development/desa/population/theme/mdg/index.shtml.

 

Pour aller plus loin :

  • DUMONT Gérard-François, Géographie des populations, Paris, Armand Colin, 2018.
  • GARENNE Michel, « Le Sahel est une bombe démographique », Le Monde, 2017. https://www.lemonde.fr/afrique/article/2017/01/16/le-sahel-est-une-bombe-demographique_5063147_3212.html
  • GUENGANT Jean-Pierre, F. May John, “Les défis démographiques des pays Sahéliens”, Etudes, 2014.
  • PISON Gilles, Atlas de la population mondiale, Paris, Autrement, 2019.
  • SMITH Stephen, La Ruée vers l’Europe. La jeune Afrique en route pour le Vieux Continent, Grasset, Paris, 2018.
  • Rapport d’étude n°6, Prospective Sahel, Observatoire Défense et Climat, 2018.
  • Alternatives Humanitaires, “Démographie : des chiffres et des maux”, n°12, 2019. https://fr.calameo.com/read/0046558297aa86eda98e8

L’Afghanistan dans la tourmente, le Haut-Karabagh en danger, et après !

L’Afghanistan est revenu à la une des médias depuis la déclaration du Président américain Joe Biden de retirer définitivement ses troupes d’ici le 11 septembre. Cela était attendu. Ce qui a le plus surpris les commentateurs qui suivent cela de très loin avec néanmoins beaucoup d’assurance, c’est l’offensive des Talibans qui ont pris rapidement le contrôle de nombreuses districts et postes frontières.

Quand on regarde une carte, ce qui apparaît, c’est que les zones qui leur échappent se trouvent autour de la ville d’Hérat, de la région centrale du Hazaradjat, de la vallée du Panshir et bien sûr de la capitale Kaboul avec d’autres poches ici et là. Dans les médias, on trouve beaucoup de clichés, de partis pris, de méconnaissance des réalités afghanes, mais heureusement aussi des informations utiles.

On est tenté de se dire, après 20 ans de présence américaine, de l’OTAN, de l’ONU et de guerre, « tout cela pour ça » avec les Talibans désormais à nouveau aux portes du pouvoir à Kaboul. Où se cachent les erreurs collectives qui ont dominé durant 20 ans ?

Dans l’immédiat, quelle va être la suite des événements cet été ? Si la solution militaire semble actuellement l’emporter sur la négociation politique, l’expérience passée nous enseigne qu’une guerre frontale à Kaboul serait dévastatrice pour les habitants et les infrastructures et causerait beaucoup de pertes de part et d’autre ainsi que des déplacements de population. Que vont faire les talibans ? Y aura-t’-il des pourparlers pour éviter le pire et à quelles conditions politiques ? Dans tous les cas, on peut penser que les Talibans chercheront à régler cela avant l’hiver.

Les talibans aux portes de Kaboul en septembre 1996, © Robert Nickelsberg

Par conséquent, la situation humanitaire va certainement se dégrader dans ce pays de 40 millions d’habitants dont la moitié est touchée par l’insécurité alimentaire. En effet, 80% de la population vit ou survit d’une agriculture de petits producteurs, gravement affectée par la sécheresse en cours, avec pour conséquence un enfant de 5 ans sur deux qui souffre de malnutrition ! Pour que les secours ne soient pas interrompus, les organisations humanitaires demandent aux belligérants de ne pas entraver l’accès de l’aide aux populations vulnérables et de ne pas menacer la neutralité et l’impartialité de ces organisations.

Le Haut-Karabagh en danger !

Les médias parlent beaucoup moins de l’Arménie, du Haut Karabakh et de l’Azerbaïdjan et pourtant il ne se passe pas un jour depuis des mois sans qu’il y ait des escarmouches aux frontières. L’un des incidents les plus importants s’est produit le 12 mai quand des centaines de soldats azerbaidjanais sont entrés en territoire arménien dans les régions de Guegharkounik et dans le Siounik. Depuis, tous les jours ou presque, on compte des incidents et des blessés.

Le président de l’Azerbaïdjan, Ilham Aliyev, maintient une menace permanente pour pousser son avantage après sa victoire militaire à l’issue de la guerre des 44 jours qui s’est terminée le 9 novembre dernier après la défaite de l’Arménie qui a provoqué un véritable traumatisme dans sa population. Ce qui est en question, c’est le sort du Haut-Karabakh, appelé aussi Artsakh, enclavé et peuplé de plus de 100.000 arméniens.

La tension est encore montée d’un cran le 22 juillet quand le président Aliyev a déclaré à la télévision azerbaidjanaise qu’il n’y avait pas de Haut-Karabakh arménien ni de statut administratif spécial pour ce territoire qu’il appelle le Zanguezour oriental azéri. Ces déclarations sont inquiétantes en cela qu’elles pourraient être suivies d’initiatives militaires dangereuses. L’activité diplomatique est tout autant intense et implique surtout la Russie qui joue un rôle majeur avec 2400 soldats de la paix stationnés au Haut-Karabakh et qui dispose de bases militaires en Arménie dans le cadre d’un accord de défense. La France est aussi très présente avec les Etats-Unis qui suivent la situation de près ainsi que l’Union Européenne.

Visite de Recep Tayyip Erdoğan à Aliyev en Azerbaijan, 2020, ©Bureau présidentiel de presse et d’information d’Azerbaïdjan

Jeudi 29 juillet, après la mort de 3 soldats arméniens près du village de Sotk, le premier ministre arménien, Nikol Pachinian, a affirmé jeudi qu’il allait demander le déploiement de « gardes-frontières russes » le long de la frontière avec l’Azerbaïdjan et le déploiement d’une mission d’observateurs de l’Organisation du traité de sécurité collective (Russie et cinq autres anciennes républiques soviétiques, dont l’Arménie).

Des organisations humanitaires et des fondations sont actives tant en Arménie qu’au Haut-Karabakh ou Artsakh pour répondre aux besoins des déplacés, des invalides dans les domaines de la santé, de l’éducation, de la culture, du déminage et de la reconstruction notamment.

Le mois d’août avec Défis Humanitaires.

Dans cette édition, je vous propose trois articles sélectionnés pour leur grand intérêt parmi ceux que nous avons déjà publié. Il y a un article de Pierre Brunet, écrivain et humanitaire, « L’humanitaire est-il encore en mission » que je vous conseille et qui distingue l’humanitaire et l’entreprise en matière de finalité et de management. Alicia Piveteau, jeune journaliste, a publié un article très intéressant, « Le Sahel est une bombe démographique », qui alerte sur les enjeux urgents à anticiper relatifs à l’augmentation quotidienne d’une population jeune ayant besoin d’éducation et d’emploi. Enfin, Gilles Dorronsoro, universitaire et chercheur spécialiste notamment de l’Afghanistan, dresse un tableau de la situation dans un entretien décapant qui ouvre les yeux sur « Une si prévisible défaite ».

Enfin pour conclure.

Si ces articles vous intéressent et vous apportent une information et une réflexion utiles, je vous suggère de les partager avec vos amis, vos collègues, vos relations en leur adressant via le lien qui se trouve en-dessous de chaque article avec une petite icône qui représente une lettre.

Vous pouvez également partager ces articles sur les réseaux sociaux. Cela nous encouragera à poursuivre et à améliorer encore Défis Humanitaires pour ses lectrices et ses lecteurs et je vous en remercie par avance chaleureusement.

La prochaine édition vous attend le mardi 31 août.

Pour aller plus loin, vous pouvez écouter l’émission de RFI sur l’Afghanistan.

Alain Boinet.