
Samedi 26 novembre, l’Ukraine a commémoré le 90ème anniversaire de l’Holodomor, l’extermination par la faim de 4 à 5 millions d’Ukrainiens sur ordre de Staline (« loi des épis ») en 1932 et 1933. A l’époque, les instances du PCUS (parti communiste de l’Union Soviétique) et de l’Etat, ont mené une campagne de réquisition des denrées alimentaires et de limitation des déplacements pour affamer la population. Alors que les Ukrainiens mourraient en grand nombre, l’URSS exportait 3,3 millions de tonnes de céréales en 1933. Détruire l’Ukraine et collectiviser les terres des paysans, tel était l’objectif de Staline dont on connait la sinistre maxime : « La mort d’un homme est une tragédie. La mort d’un million d’hommes est une statistique ».
Aujourd’hui, en Ukraine, la destruction systématique des infrastructures électriques, de gaz et d’eau s’attaque à la population ukrainienne au moment des premières chutes de neige et d’un froid glacial. Guerre qui a déjà chassé de leurs foyers 7,8 millions d’Ukrainiens réfugiés hors de leur pays et 6,5 millions de déplacés à l’intérieur sur une population de 44 millions d’habitants ! La guerre est une réalité, mais la guerre a des lois qui sont celles des conventions de Genève, du Droit International Humanitaire (DIH). Le 18 novembre à Dublin, 83 Etats ont adopté un accord international visant à mieux protéger les civils contre l’utilisation des armes explosives en zones peuplées à l’initiative de l’ONG Humanité et Inclusion (HI) dans le cadre du Réseau international sur les armes explosives (INEW).
Aujourd’hui, alors que nous commémorons les millions de morts de faim de l’Holodomor, soyons solidaires de leurs descendants qui vivent sous les bombes dans le froid et la neige. Mais, comme il ne faut pas tout confondre, il n’est pas interdit d’aimer la littérature, la musique, le cinéma, la peinture russe, Dostoïevsky, Kandinsky, Tolstoï, Eisenstein, Boulgakov, Soljenitsyne, Andreï Roublev, Rimsky Korsakov, Bondartchouk, Tchaikovsky parmi tellement d’autres.

D’hier à aujourd’hui.
En souvenir de l’Holodomor, le président Volodymyr Zelensky a lancé l’opération « Grain from Ukraine » qui prévoit l’envoi d’ici l’été de 60 bateaux ukrainiens chargés de céréales destinés à des pays comme le Yémen le Soudan ou la Somalie. Cela sera possible grâce au prolongement pour 120 jours de l’initiative de la Mer Noire, avec l’accord de la Russie. Accord qui a déjà permis d’exporter 15 millions de tonnes de céréales ukrainiennes, soit 70% des stocks. Initiative d’autant plus bienvenue que nous constatons dans de nombreux pays une dégradation dangereuse de l’alimentation des populations.
En ce début d’hiver rigoureux en Ukraine, face aux destructions qui s’amoncellent et alors qu’environ un quart de la population est actuellement sans électricité, plus que jamais l’aide humanitaire doit se déployer partout où elle est urgente et nécessaire. Si les débuts, il y 10 mois, ont été lents et poussifs avec une première phase de désorganisation due aux évacuations de personnels et alors que de grosses organisations m’étaient beaucoup de temps à agir, aujourd’hui le nombre d’acteurs engagés est significatif.
Selon OCHA1, au 10 novembre, il y a 414 ONG ukrainiennes, 111 ONG internationales, 50 gouvernements, 11 agences des Nations-Unies et 9 organisations internationales avec une coordination nationale à Kiev et une coordination opérationnelle à Dnipro à l’est. Et les financements humanitaires sont bien là. Ainsi, Thierry Mauricet, directeur général de PUI pilote un consortium de 68 millions de dollars avec des partenaires comme ACF, HI, TGH, SI.
Quand on prend connaissance du bilan de l’aide de la France2 organisée par le Centre de Crise et de Soutien du ministère de l’Europe et des Affaires Etrangères on prend mieux la mesure des diverses formes de soutien à l’Ukraine. Selon le FTS, (Financial Tracking Service) le budget pour la crise ukrainienne serait de 5 milliards de dollars cette année. C’est beaucoup mais c’est peu si l’on compare avec l’estimation des coûts de reconstruction des infrastructures et de l’habitat détruits.
La nouvelle positive, qui est à confirmer, c’est que la mobilisation des financements humanitaires pour l’Ukraine n’aurait pas diminué les financements pour les autres grandes crises (Yémen, Syrie, Afghanistan, …..). Cette année la Commission Européenne (523 ME) et les pays membres de l’Union Européenne ont mobilisés à eux seuls pour l’aide humanitaire près de 957 millions d’euros pour l’Ukraine (174 ME pour l’Afghanistan, 170 pour le Yémen, 150,7 pour la Syrie) et la Commission Européenne vient de proposer un plan de financement global à hauteur de 18 milliards en 2023.
En revanche, il y a un message fort à adresser aux institutions financières partenaires des organisations humanitaires, c’est comme le souligne François Grünewald dans sa récente évaluation3, l’importance des municipalités dans les secours et la faiblesse si ce n’est l’absence de mécanismes adaptés. C’est ce que préconise Emmanuel Rinck, directeur des missions de Solidarités International. Selon lui il est nécessaire d’adapter les cadres de partenariat des bailleurs pour permettre et faciliter la coopération sur le terrain avec les acteurs ukrainiens comme les municipalités, voire les groupes de volontaires.

N’oublions personne !
Alors que l’Ukraine est à la une de l’actualité depuis le 24 février, n’oublions aucune des crises qui menacent tant de populations en danger de par le monde. Cette année encore, dans Défis Humanitaires, nous vous avons informé sur l’Afghanistan, la Syrie, le Mali, Sahel, le Burkina Faso et bien sûr l’Ukraine tout en analysant des problématiques comme la sécurité alimentaire, l’accès à l’eau potable et à l’assainissement, la gestion des déchets de l’aide humanitaire, le nexus environnement-développement-humanitaire, le lien entre le dérèglement climatique et l’eau, la mutualisation des capacités logistiques.
Cette année, nous aurons publié douze éditions et 48 articles ou entretiens réalisés par autant d’auteurs que nous remercions pour leur implication et l’intérêt de leur analyse. Articles que vous pouvez retrouver archivés dans nos rubriques permanentes en page d’accueil.
Je souhaite ici à remercier les lectrices et lecteurs qui nous font confiance en suivant chaque mois nos publications et en les diffusant auprès de leurs collègues et amis. Je tiens aussi à remercier personnellement les donatrices et donateurs qui soutiennent généreusement (HelloAsso) l’existence et l’activité de Défis Humanitaires qui fêtera bientôt ces 5 ans d’activité et ces 71 éditions. Un grand merci à vous et bonnes fêtes de fin d’année.
Alain Boinet.
1Ukraine: présence opérationnelle.
2Guerre en Ukraine : opérations humanitaires de la France
3Rapport de l’évaluation en Ukraine par le groupe URD
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