Un pont aérien humanitaire face au coronavirus

©Pont aérien RHL, Lyon, 8 mai 2020, Solidarités International.

Dans Défis Humanitaires, le 25 mars, nous appelions à l’organisation d’un pont aérien et maritime pour secourir les populations les plus vulnérables, en Afrique particulièrement où l’OMS craignait jusqu’à 10% de victime du fait du coronavirus !  Un pont aérien vient de commencer et bien que la pandémie se propage lentement en Afrique, il importe d’être vigilant et mobilisé pour faire face à une crise économique, sociale, alimentaire, en un mot à une crise humanitaire, engendrée par la crise sanitaire mondiale qui n’est pas finie.

Le pont aérien a débuté vendredi 8 mai par l’envoi d’un 1er avion parti de Lyon en France. Il a été accueilli à Bangui en Centrafrique par le président Touadéra en présence de Janez Lanarcic, Commissaire européen en charge de l’aide humanitaire avec ECHO. Cet avion transportait 75 passagers, essentiellement les humanitaires de 15 ONG et de 12 nationalités ainsi que 8 tonnes de matériel (médicaments, matériel de protection…).

Ce pont aérien est véritablement une première qui fera date. Il a été demandé par les ONG, il a été appuyé et relayé par la France avec le Centre de Crise et de Soutien du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères et financé par l’Union Européenne (ECHO). Ce financement de 10 millions d’euros doit permettre une trentaine de vols dans les 3 à 6 mois.

Son organisation est aussi inédite car elle rassemble trois types d’acteurs et partenaires. L’Union Européenne qui a affrété l’avion et mobilisé ses services (ECHO), la France (CDCS) qui a obtenu les autorisations de vol, d’atterrissage et les visas, et la coordination des ONG du Réseau Logistique Humanitaire (RLH)1 qui a regroupé les passagers et le fret avec l’association Bioport à l’aéroport de Lyon Saint Exupéry et qui a assuré la coordination quotidienne avec ECHO à Bruxelles et le CDCS à Paris. Vous trouverez dans cette édition l’interview de Marie Houel de Solidarités International qui a coordonné ce premier vol dans le cadre du Réseau Logistique Humanitaire.

Ce vol est immédiatement suivi de deux autres pour Bangui avec 32 tonnes de fret les 12 et 13 mai.  Quatre autres vols sont prévus dans les 3 semaines suivantes, à destination à priori de la RDC, du Soudan et du Soudan du Sud et du Burkina Faso. D’autres Etats membres de l’Union Européenne vont participer à l’opération et la coordination opérationnelle des ONG se renforce. Ce pont aérien vient en complément du dispositif mis en place par le Programme Alimentaire Mondial.

Mais à quoi bon pourrait-on se dire puisque le Coronavirus affecte aussi peu l’Afrique. En date du 12 mai les chiffres semblent rassurants. En Afrique, il y a 66 373 cas officiellement identifiés, 21 821 personnes hospitalisées et 2336 décès soit moins de 1% des décès du total mondial alors que l’Afrique représente 17% de la population mondiale.

Il importe pourtant de rester particulièrement vigilant et mobilisé car le nombre des cas est aujourd’hui en augmentation de 51 % chaque semaine en Afrique de l’Ouest et de 58 % en Afrique centrale ! C’est aussi le cas tant en Afrique du nord que dans le sud du continent. Nous avons aussi des signaux préoccupants qui nous viennent des missions humanitaires.

Cette crise sanitaire en entraîne d’autres dans une spirale dangereuse. Ainsi l’Organisation Internationale du Travail (OIT) a publié le 29 avril un nouveau rapport indiquant que 76% des 2 milliards de travailleurs de l’économie informelle dans le monde, soit 1,6 milliards de personnes, sont « fortement affectées » par la crise. Les pertes de revenus devraient atteindre 60% à l’échelle mondiale et pourraient même s’élever jusqu’à 81% en Afrique et en Amérique Latine. « Cette catastrophe deviendra un drame humanitaire » selon Guy Rider, le directeur général de l’OIT.

Dans le domaine de l’alimentation, le Programme Alimentaire Mondial (PAM) nous alerte en soulignant que le coronavirus augmente considérablement le nombre de personnes affectées par l’insécurité alimentaire et que celui-ci va passer de 135 millions en 2019 à 265 millions cette année. Parmi ceux-ci, 30 millions pourraient être menacés de famine, en particulier dans 10 pays dont le Soudan du Sud, le Yémen, la RCA, l’Afghanistan, la Syrie, Haïti. C’est dire l’urgence. Le PAM évoque maintenant une pandémie de la faim et son directeur général, David Beasley, a « tiré la sonnette d’alarme » devant le Conseil des Sécurité de l’ONU en précisant « Nous n’avons pas le temps de notre côté ».

Même son de cloche du côté de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), qui déclare que le nombre de personnes en crise alimentaire et nutritionnelle en Afrique de l’Ouest pourrait passer de 17 à 50 millions entre juin et août 2020 ! De même, dans un communiqué de presse, 8 organisations humanitaires régionales et internationales appellent les gouvernements à la mobilisation générale pour prendre toutes les mesures qui s’imposent (contrôle des prix, approvisionnement des marchés, filets sociaux, …) et les inciter à encourager « la production et la consommation locale ». Au Sahel, « Nous sommes face à 3 crises interdépendantes : la crise sanitaire, la crise sécuritaire et la crise alimentaire dont les effets peuvent être additionnés » déclare Sabrina Regent de Solidarités International au Mali.

©Distribution alimentaire au Mali, Solidarités International.

Cette pandémie universelle qui paralyse le monde perturbe gravement l’action humanitaire d’urgence et les programmes en cours sont retardés, voire entravés, au moment même où la situation générale se détériore pour les populations avec le Coronavirus.

Le pont aérien est d’autant plus utile qu’il va permettre de renforcer les missions en cours. Aujourd’hui même, près de 900 humanitaires d’ONG sont d’ores et déjà prêts à partir.  C’est tout l’intérêt de ces prochains vols directs alors que ceux du PAM pourront se concentrer sur l’acheminent du fret nécessaire aux équipes de secours.

Alors quelles sont les premières leçons que nous pouvons tirer de cette crise qui n’est pas finie ?

Au niveau global la leçon structurelle est double. D’abord, à l’évidence, c’est celle de la nécessaire autonomie des capacités de chaque pays à pouvoir faire face à une crise quelle qu’en soit la nature. Chaque pays est par définition responsable de sa population. Ce qui est vrai en France pour les masques, les tests et le confinement/déconfinement, l’est à fortiori pour les pays moins en mesure de faire face et, en particulier, ceux qui sont le lieu d’un conflit ou d’une catastrophe. Il est même de notre devoir de les y aider afin qu’ils gagnent en capacités et en autonomie et par conséquent en souveraineté responsable. C’est d’ailleurs la raison d’être des Objectifs de Développement Durables (ODD).

Il n’y a pas aujourd’hui de Nations-Unies sans Etat-Nation dont la première responsabilité est de protéger les populations en assurant la réponse sanitaire, économique, sociale, alimentaire, sécuritaire pour tous. Les humanitaires le savent bien par expérience des crises. La première solidarité, les premiers secours viennent d’abord des acteurs locaux et nationaux par l’entraide de proximité. Les renforcer est une priorité absolue et je dirai même un devoir humanitaire pour nous tous.

La seconde leçon est justement celle de la solidarité internationale. Si elle doit valoir entre les personnes, elle doit tout autant s’appliquer entre les peuples, les états et les nations. C’est précisément celle dont nous avons grand besoin en ce moment et qui doit être à la hauteur du défi planétaire, d’autant plus que le malheur des uns pourrait bien faire le malheur des autres et finalement le malheur de tous !

Alors que le confinement est devenu partout la règle de protection des personnes, un pays peut légitimement fermer ses frontières pour retarder et maîtriser l’avancée du virus, tout en décidant d’ouvrir ses frontières aux secours et aux produits et services essentiels à la vie économique et sociales de chacun de ses voisins.

©Préparation des kits d’hygiène pour lutter contre le covid, avril 2020, Paris, Solidarités International.

Il est aussi une leçon plus grave à méditer. Celle du retard d’un mois entre la fin décembre et la fin janvier, un mois de perdu, avant que l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) et la République Populaire de Chine reconnaissent l’existence de ce virus Covid-19 transmissible à l’homme et le risque de pandémie mondiale qui a pu se répandre partout dans le monde entre temps ! Quels sont les mécanismes d’alerte précoce et les règles dans les relations internationales que cette pandémie doit nous conduire à prévoir à l’avenir, avant que cela ne puisse se reproduire !

En attendant, la pandémie n’est pas finie et elle va encore faire des victimes. Et nous sommes assurés qu’une crise économique et sociale va s’en suivre, elle est déjà latente. Dans les pays les plus fragiles, il y a même des risques de famine à anticiper au plus vite pour les juguler. Le devoir humanitaire est simple et clair, éviter le pire autant qu’il est en notre solidarité de pouvoir le faire !

Dans cette édition, je vous recommande vivement la lecture de l’interview de Marie Houel sur les coulisses du pont aérien qui vient de commencer et qui constitue une première tant par sa genèse que dans son organisation qui met bien en exergue la valeur ajoutée de la mutualisation des volontés et des capacités, chacun dans son rôle.

Lisez aussi la tribune de Pierre Brunet, écrivain et humanitaire, et le Tract publié aux éditions Gallimard par Patrice Franceschi, écrivain, qui battent en brèche au nom de la liberté tant le « précautionnisme » que le traçage généralisé dans le style meilleur des mondes cher à Monsieur Orwell.

Pour cette 40ème édition, Défis Humanitaires publie une édition tous les 15 jours en moyenne, au lieu d’une par mois, pour contribuer à sa manière à la lutte contre la pandémie tout autant qu’à l’aggiornamento humanitaire que ce virus pourrait entraîner.

Enfin, je vous invite à vous abonner et à partager autour de vous Défis Humanitaires et ses articles, analyses, interviews. Merci.

Alain Boinet.

 

1Le RLH regroupe les ONG suivantes : ACTED, Action Contre la Faim, Handicap International/Humanité et Inclusion, Médecins du Monde, Plan International, Première Urgence Internationale, Solidarités International.

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