Editorial d’Alain Boinet.
Au moment même où nous célébrons le 11 novembre le 100ème anniversaire de la victoire et de la fin de la guerre de 14-18 dont la France fut le champ de bataille majeur, n’oublions pas que la première guerre mondiale, qui fut celle des empires, conduisit à la chute de l’Empire ottoman et de son hégémonie au Moyen-Orient.
Les accords Sykes-Picot sont bien loin alors que cette région est depuis des années le lieu de conflits qui redessinent les nouveaux rapports de force. Si la guerre et la paix restent encore à conclure en Syrie, la défaite de Daech en Irak, puis les élections et le nouveau gouvernement créent des conditions favorables à la reconstruction dans un pays qui a connu la guerre et ses destructions depuis des décennies.
Après avoir été un contributeur effectif de la guerre contre Daech, la diplomatie française a décidé de s’investir dans la paix et Jean-Yves Le Drian a créé dans cette voie un Comité pour la reconstruction de l’Irak qu’il préside et qui réunit des entreprises, des ONG et les grands opérateurs de l’État. La tâche est immense alors que Bagdad a évalué son coût à 88 milliards de dollars sur 10 ans.
Un comité de pilotage pour la reconstruction de l’Irak.
Lors d’une seconde réunion de ce comité de pilotage le 23 octobre, le ministre nous a informés que le président de la République se rendrait en Irak l’année prochaine pour y sceller un partenariat stratégique entre la France et l’Irak. L’enjeu est manifestement pour la France de contribuer à faire de ce pays souverain un point d’équilibre dans une région dangereusement conflictuelle.
Durant cette réunion, en présence du ministre et du secrétaire général, Maurice Gourdault-Montagne, l’ambassadeur de France en Irak, Gérard Aubert, a souligné que la stabilisation constituait l’enjeu déterminant pour le succès du processus alors que Daech s’adapte et se réorganise et que la stabilité est loin d’être acquise.
Alors que 4 millions d’irakiens sont rentrés chez eux et que 2 autres millions sont toujours déplacés, beaucoup est à faire dans le domaine des infrastructures, de l’énergie et des transports, de l’éducation, de l’agriculture, de l’accès à l’eau et à l’assainissement, des administrations publiques……Rien qu’à Mossoul, il y aurait 50 000 maisons détruites et le chiffre de 100 000 amputés a été cité alors que le déminage ne fait que commencer.
Aller plus vite et plus fort !
De fait, il reste des besoins humanitaires importants à couvrir et les ONG présentes s’engagent déjà dans des projets de reconstruction pour mieux répondre aux besoins de réinstallation des populations sinistrées. Mais, malheureusement, les ONG sont confrontées à de nombreuses difficultés, qu’il s’agisse de leur enregistrement auprès des autorités qui traînent sans fin, de l’insuffisance des moyens financier internationaux, de leur manque de prévisibilité et du rythme trop lent de leur mise en œuvre qui n’est pas à la hauteur des besoins immédiats et des attentes !

La France s’est récemment dotée d’une stratégie humanitaire avec son Centre de Crise et de Soutien (CDCS) au Quai d’Orsay dont le directeur, Eric Chevalier, se rendra prochainement en Irak. Elle a défini une stratégie vulnérabilités et résilience mise en œuvre par l’Agence Française de Développement (AFD) et ses partenaires, avec des ressources financières qui vont en augmentant chaque année d’ici 2022. Mais celles-ci ne sont actuellement pas suffisantes pour assumer sa part de la reconstruction de l’Irak, sans parler de la Syrie dont nous devons espérer à terme la reconstruction.
Dans ce contexte, les humanitaires vont poursuivre leur mission et assurer le lien avec la reconstruction qui constitue un énorme chantier préalable à la relance du développement. Les humanitaires vont être confrontés dans un contexte très politique à leurs principes d’indépendance au service de l’impartialité des secours basés sur la seule urgence des besoins sans considération religieuse, ethnique ou d’agenda politique
Cette reconstruction ne sera possible que si l’Irak se stabilise, à condition que la population dans sa diversité y adhère. Comme en d’autres lieux, les institutions discourent aujourd’hui beaucoup des fameuses règles des 3 R (retour, reconstruction, réconciliation) et de celle des 3 D (défense, diplomatie, développement). Si tout cela est fort utile, il n’empêche que ce n’est pas la seule technicité de chacun des R et D qui peut assurer la réussite de l’ensemble, mais d’abord la solution politique rendue possible grâce à la confiance retrouvée des populations.
Pas de paix durable sans solution politique nationale inclusive.
Un nouveau parlement a été élu au mois de mai. Le kurde Barham Saleh a été nommé président de la République et il a désigné Adel Abdel Mahdi, chiite et ancien opposant exilé en France, Premier ministre. Le gouvernement devrait être complété ces jours-ci à Bagdad. Un gouvernement de techniciens dont les compétences et la lutte contre la corruption seront indispensables à sa légitimité pour une population sceptique qui reste à convaincre dans les faits. Dans son malheur, l’Irak a au moins un atout majeur comme second producteur de pétrole de l’OPEP. Ça devrait aider !
Mais, par expérience, nous savons que la paix est fragile et que la communauté sunnite doit être associée pleinement à la solution, sous peine de graves déconvenues. L’exemple de l’Afghanistan est là pour en témoigner 17 ans après l’intervention de la communauté internationale. Et puis il y a la question kurde qui reste prégnante partout dans la région, sans parler du bras de fer entre les pays qui l’entourent, de la Russie et des Etats-Unis.
Comme le disait l’un des participants lors de la réunion du comité de pilotage de reconstruction de l’Irak, citant Churchill, « Ce n’est pas la fin. Ce n’est même pas le commencement de la fin. Mais, c’est peut-être la fin du commencement ».
Alain Boinet.
Une réflexion au sujet de « L’Irak entre guerre et paix face à l’enjeu de la reconstruction. »
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