Le Sahel, nouvel Afghanistan ?

Crédits : Tiecoura Ndaou. Réservoir d’eau de l’ONG Solidarités International à Goundam (Mali), 2016. 

Les Groupes djihadistes multiplient les coups d’éclat au Mali et étendent leurs actions dans le centre et le sud du pays, en plus de leur opération au nord. Des incidents graves se produisent régulièrement au Niger, au Burkina Faso, une région aux  frontières très poreuses…

Si l’intervention militaire française « Serval », en juin 2013, avait évité la prise de Bamako par les groupes djihadistes (Aqmi, Mujao), l’Opération Barkhane qui lui a succédé à l’été 2014 avec 4000 hommes, ainsi que la Mission des Nations-Unies au Mali (Minusma) qui compte 12000 hommes,  parviennent difficilement à contenir et résorber l’extension territoriale de la guérilla islamiste et ses attaques.

Des chiffres témoignent de cette adversité : avec 160 casques bleus tués, la mission de paix de l’ONU au Mali est celle qui compte le plus de pertes en vies humaines de toutes les missions des Nations-Unies.

Du G5 sahel à l’Alliance Sahel.

Dans ce contexte, l’Union Africaine et les pays de la région ont créé le G5 Sahel début 2014. L’objectif est de sécuriser 28 000 km de frontières communes avec une force de 5000 hommes, qui devrait être opérationnelle au premier semestre 2018.  Adossé au pilier sécurité, le G5 comporte également un volet développement.

L’organisation du G5 Sahel, présidée par Mahamadou Issouffou – président du Niger – regroupe son pays, le Mali, le Tchad, le Burkina Faso et la Mauritanie, soit un territoire de l’ordre de grandeur de l’Europe avec ses 5 millions de km2 dont une partie échappe à tout contrôle. Ces 5 pays – qui connaissent une forte progression démographique – comptent aujourd’hui 90 millions d’habitants, avec une majorité de moins de 20 ans dont beaucoup se sentent sans avenir.

En juillet 2017, lors du sommet du G5 auquel participaient Emmanuel Macron et Angela Merkel, la France avec l’Allemagne et l’Union Européenne ont ajouté au G5 un nouveau volet baptisé Alliance Sahel. Cette Alliance Sahel, soutenue par de très nombreux pays et bailleurs de fonds, recherche une plus grande efficacité de l’Aide Publique au Développement (APD), une concentration des efforts, une meilleure coordination des acteurs.

Une réponse sécurité – développement insuffisante.

Ce qui caractérise le G5 Sahel, c’est l’idée selon laquelle il n’y a pas de sécurité sans développement et pas de développement sans sécurité. Cette approche qui a émergé il y a plus d’une dizaine d’années est devenue la référence obligée et s’intitule : la Stratégie de Développement et de Sécurité (SDS). Mais, ce binôme sécurité-développement est à lui seul insuffisant, loin de toute solution miracle à une crise aussi complexe, profonde, durable.

De fait, cette approche se trouve aujourd’hui élargie, approfondie, renforcée par l’Alliance Sahel tant les risques terroristes, les trafics illicites, le dérèglement climatique, le risque de déstabilisation politique régionale et de déplacement de populations apparaissent comme dangereux, complexes et durables pour la sécurité de ses habitants, qui vont doubler de 100 à 200 millions d’ici 20 ans !

Face à la faiblesse des investissements, notamment dans le développement rural et l’agriculture qui fait vivre 70% de la population active au Mali, plus de 500 projets sont prévus entre 2018 et 2022 dans les zones les plus  fragiles pour un budget chiffré à 6 milliards d’euros. Ils ciblent en priorité 6 secteurs : emploi des jeunes, agriculture, énergie et climat, gouvernance, décentralisation des services de base.

C’est une véritable lutte de vitesse qui est engagée, entre détérioration et réponse d’urgence immédiate et efficace liée à des solutions de développement durable… Sans échafauder une usine à gaz déconnectée des sociétés et des populations locales, tant il n’y a pas de solution viable sans elles et dans la durée.

Nécessité d’une solution politique.

Alors, le Sahel, nouvel Afghanistan ou pas ? Il y a effectivement des éléments de comparaison sur le plan de la diversité ethnique, de la grande pauvreté, de la faiblesse de l’Etat et des services publics de base, de la démographie et du facteur religieux très prégnant.

Mais, à l’inverse, leur rapport à la colonisation, les ingérences des pays de la région et le poids de ceux-ci ne sont pas vraiment comparables, ni l’ampleur de la question de la drogue, ni l’échelle des forces en présence et les effectifs et l’influence des talibans afghans.

L’expérience enseigne que chaque situation est particulière. En revanche, la comparaison peut nous permettre une meilleure compréhension de chacune de ces situations tout en distinguant bien les divers groupes armés qui ne visent pas tous au terrorisme international.

Pour conclure, je dirais qu’au-delà de toutes les questions et besoins auxquels il faut répondre pour contribuer à résoudre la crise, l’expérience et la réflexion nous conduisent à penser que la réponse ne peut pas être seulement technique mais qu’elle est principalement politique et qu’elle reste à inventer. Cette solution politique, qui englobe toutes les autres, ne peut se faire et réussir qu’avec le soutien des populations de chacun des pays du Sahel, et au Mali particulièrement tant il semble bien être l’épicentre de la crise.

Alain Boinet.

Nous vous proposons ci-dessous des documents qui, sans engager Défis Humanitaires,  permettent de mieux comprendre la crise du Sahel :