Voilà une étude révélatrice de l’évolution de l’aide humanitaire dont nous vous présentons ici une synthèse. En effet, que nous apprennent les personnes touchées par les crises et comment mieux répondre à leurs besoins essentiels ? Nous vous laissons découvrir cette enquête tout en notant qu’elle pose la question de savoir quelle est la compréhension que les interviewés ont de ce qu’est l’aide humanitaire. Il semblerait que ce débat gagnerait à mieux distinguer l’humanitaire en temps de guerre du développement en temps de paix tout en recherchant la plus grande complémentarité dans les périodes de transition que l’on nomme reconstruction ou encore stabilisation. C’est tout l’enjeu du Nexus urgence–développement qui n’est pas encore parvenu à y répondre.
Cette étude est un projet commun de l’OCDE et de Ground Truth Solutions, financée par le UK Department for International Development. Ses auteurs, Cyprien Fabre et Ruigi Li ont une longue expérience de l’aide humanitaire. Deux séries d’enquête ont été réalisées dans plus de 7 pays auprès de plus de 1 2000 personnes. Plus précisément auprès de 8 666 destinataires de l’aide et de 3 471 humanitaires (ONG, agences des Nations Unies, ONG locales dont 71 % sur le terrain et 29 % en capitale). Cette enquête de 65 pages qui se conclut par des propositions de nouvelles approches est accessible sur le site de l’OCDE.
L’aide humanitaire améliore les conditions de vie mais ne couvre pas tous les besoins essentiels. Les enquêtes montrent clairement que l’aide humanitaire ne représente qu’une partie de ce dont les gens ont besoin pour répondre à leurs besoins les plus importants. La mesure dans laquelle l’aide humanitaire répond aux besoins des populations dépend du contexte, mais les personnes touchées doivent généralement trouver d’autres sources de revenus. L’enquête montre que la qualité de la réponse et la gestion de la crise par les autorités locales sont des éléments critiques pour la satisfaction des bénéficiaires de l’aide. Cela implique que la satisfaction de ces besoins ne dépend pas exclusivement des budgets humanitaires des donateurs.
L’aide humanitaire laisse derrière elle certains des plus vulnérables. Les enquêtes indiquent que l’aide n’est pas toujours perçue comme allant à ceux qui en ont le plus besoin et révèlent un contraste frappant entre la perception d’équité des personnes touchées et celle des travailleurs humanitaires. Dans l’ensemble des enquêtes, les personnes malades ou atteintes de maladies chroniques, les personnes âgées, les personnes sans lien social ou politique, les sans-papiers et les personnes éloignées ont le plus fort sentiment d’avoir été abandonnées. Dans le même temps, le personnel humanitaire interrogé est convaincu que l’aide va à ceux qui en ont le plus besoin. Cela donne à penser que le système cible les personnes qui en ont le plus besoin tant qu’elles entrent dans le cadre du mandat et des objectifs de programme des agences ou des ONG.
Soutenir l’autosuffisance nécessite un ensemble d’instruments d’aide. Si l’aide humanitaire ne suffit pas à répondre aux besoins les plus importants des populations touchées, elle est encore moins efficace pour atteindre l’autosuffisance économique. De manière persistante, les personnes interrogées mentionnent le manque d’opportunités économiques et de moyens de subsistance comme l’un de leurs principaux griefs. Dans les crises prolongées qui constituent la majeure partie des contextes humanitaires, les personnes affectées veulent être autonome et non des récipiendaires durables d’aide humanitaire.
Des progrès limités ont été réalisés en ce qui concerne les engagements du ‘Grand Bargain’. Les enquêtes révèlent de réelles améliorations dans la manière dont l’aide est fournie. L’appui à l’éducation dans les situations de crise s’accroît, ce qui montre que les donateurs peuvent surmonter les cloisonnements entre l’aide humanitaire et le développement. Certains des engagements pris dans le cadre du ‘Grand Bargain’, tels que les cadres pluriannuels de financement et les évaluations conjointes des besoins, commencent à initier des développements positifs qui doivent désormais être systématisés. Les transferts monétaires se généralisent, bien qu’ils restent sectoriels. De sérieux défis demeurent, néanmoins. La localisation de l’aide avance trop lentement, principalement parce que l’architecture administrative des donateurs ne l’encourage pas. La façon dont l’opinion des personnes affectées est prise en compte reste limitée et les gens ne savent pas très bien pourquoi ils sont admissibles ou non à l’aide, ce qu’ils reçoivent et pour combien de temps. Le système humanitaire reste construit sur l’offre d’aide, sur la base des mandats et des programmes des organisations internationales, plutôt que sur les personnes touchées au centre de la réponse humanitaire.
Traduire les enquêtes : un appel pour de nouvelles approches
Le changement de paradigme demandé lors du Sommet humanitaire mondial n’a pas encore eu lieu. Certains changements donnent des résultats positifs, mais ils reflètent surtout des améliorations entamées avant le sommet apportées au système humanitaire actuel, plutôt qu’un changement systémique dans la façon dont les crises sont comprises et traitées. Poursuivre sur la voie des réformes implique les actions suivantes :
Aller au-delà de l’intervention humanitaire. Nous apprenons des personnes touchées que tous leurs besoins en temps de crise ne sont pas de nature humanitaire et qu’une intervention humanitaire n’est pas par défaut le meilleur instrument pour répondre aux besoins des personnes. Répondre à ces besoins exige un regard neuf sur ce que sont les crises. Ce sont des crises politiques et des catastrophes qui créent des besoins humanitaires et qui devraient donc être désignées comme telles et non comme des ” crises humanitaires ” afin que les membres du CAD désireux d’intervenir puissent mobiliser toute une gamme d’instruments – notamment, mais pas exclusivement – l’aide humanitaire. L’aide humanitaire joue un rôle, mais dans les crises prolongées, comme le montrent les enquêtes, d’autres instruments – notamment le dialogue politique, les instruments de paix et les fonds de coopération au développement – devraient également être mobilisés.
Mettre en œuvre le lien entre l’humanitaire, le développement et la paix. Déterminer l’instrument et le canal qui conviennent le mieux pour répondre aux besoins des populations exige collaboration, cohérence et complémentarité entre les instruments d’assistance, conformément à la Recommandation du CAD sur le lien entre l’aide humanitaire, le développement et la paix. Entreprendre une analyse conjointe aidera à comprendre le contexte dans lequel des besoins urgents et à long terme des populations se font jour, et comment répondre à ces besoins peut également renforcer les capacités et les économies locales.
Combler les lacunes et créer des possibilités. Le système humanitaire actuel repose sur les mandats spécifiques des organisations, chacune étant conçue pour combler des lacunes sectorielles. Ce système est mal équipé pour tirer parti des possibilités politiques et économiques existantes afin de créer des moyens de subsistance à long terme pour les populations et les pays touchés par les crises. Comme l’aide humanitaire n’est pas conçue pour mettre fin aux besoins et ne permet pas l’autosuffisance, elle doit être complétée par d’autres instruments susceptibles de créer des moyens de subsistance durables, en tenant compte des aspirations des populations et en mettant à profit leur potentiel pour reconstruire leur vie ou se préparer au retour, au transfert ou à une intégration réussie.
Passer d’une approche basée sur l’offre à une approche axée sur le client pour répondre aux besoins. Dans les situations prolongées qui représentent aujourd’hui la majorité des interventions humanitaires, une approche de l’aide axée sur le client représenterait une véritable révolution de la participation, lorsqu’elle serait fondée sur l’économie des ménages et les analyses de vulnérabilité. Parce qu’ils touchent tous les secteurs, les transferts monétaires polyvalents, combinés à l’utilisation des données et des technologies de l’information dans l’aide humanitaire et la coopération au développement, peuvent contribuer à la révolution de la participation en individualisant l’aide humanitaire.
Changer les paradigmes pour protéger l’aide humanitaire. L’aide humanitaire a été jugée pertinente et a été largement perçue positivement par les personnes interrogées. Les contextes les plus difficiles n’offrent guère d’alternative à l’aide humanitaire. Pourtant, mobiliser d’énormes quantités d’aide humanitaire pendant des années ou des décennies dans des contextes offrant peu de perspectives de résolution politique est insoutenable et peut décourager la mobilisation d’autres instruments politiques, de paix ou d’assistance. L’évolution des paradigmes, en commençant par la mise en œuvre de la recommandation du CAD sur le lien entre l’aide humanitaire, le développement et la paix, et en examinant comment chaque instrument peut aider au mieux à concevoir une réponse cohérente à une crise donnée, permettra à l’instrument humanitaire de remplir son mandat initial de protection et d’assistance lorsque les autres instruments ne peuvent être mobilisés.

Synthèse établie par Alicia Piveteau