Epidémie de choléra en Haiti : quelles responsabilités pour l’ONU ?

Janvier 2010, le choléra dévaste Haïti et fait des milliers de morts. Le médecin spécialiste Renaud Piarroux, mandaté par l’ambassadeur de France en Haïti pour aider le ministère de la Santé haïtien à lutter contre cette épidémie, y part en novembre de cette même année. Mais, en remontant aux sources et causes du choléra, le Dr Piarroux va faire une bien surprenante -et scandaleuse- découverte. Car les Nations Unis, mis en cause, vont tout faire pour masquer la vérité et décrédibiliser ses conclusions.

C’est le récit chronologique des événements qui ont précédé, puis suivi cette découverte qu’il narre étape par étape dans son ouvrage « Choléra. Haïti 2010-2018, histoire d’un désastre ». Une véritable enquête policière qui va révéler un scandale humanitaire, scientifique et politique.

Haïti, une épidémie sans précédents : phase 1, L’enquête

Rappelons en préambule que le choléra se caractérise par une déshydratation intense et fulgurante, par diarrhées et vomissements, qui conduit à une hausse mortelle de la viscosité du sang qui prend une coloration bleutée, d’où son surnom de « mort bleue ».

Le Dr Piarroux note immédiatement la rapidité exceptionnelle d’expansion de l’épidémie dans un pays où elle n’était encore jamais apparue.

Sa première démarche sera de rechercher sur le terrain, où sont survenus les premiers cas pour retracer le cheminement de l’épidémie. Très vite ceux-ci sont localisés près de la rivière Meille, au nord-est de Port-au-Prince, rivière près de laquelle plus de 10 000 cas suspects sont apparus en une semaine.

Rivière… située près d’un camp de Casques bleus népalais dont, constate le Dr Piarroux, « les sanitaires sont gérés au mépris des règles d’hygiène de base et au mépris de la population avoisinante » avec notamment un déversement non contrôlé des contenus de fosses septiques.
(NB : les Casques bleus étant présents depuis 2004 dans le souci de contribuer à la stabilité politique du pays et non pas seulement depuis le tremblement de terre).

La conclusion qui s’impose est celle donc de l’accumulation du Vibrio cholerae dans ces fosses, ce qui pré-suppose l’existence d’une épidémie parmi ces Casques bleus. Car il faut un très grand nombre de microbes pour provoquer une telle flambée.

Le Dr. Piarroux se met immédiatement en rapport avec Edmond Mulet, chef de la Minustah en tant que représentant spécial du secrétaire général de l’ONU, puis avec le Président René Préval.

Haïti, une épidémie sans précédents : phase 2, refus de l’évidence et désinformation

Novembre 2010, pleine période électorale…Accusations de fraude, barrages, l’aide humanitaire ne peut plus atteindre Port-au-Prince, les morts s’accumulent.

Et ce n’est qu’à son retour à Paris que le Dr Piarroux découvrira l’existence d’une mission d’enquête menée avant son arrivée par un département sanitaire haïtien assisté par épidémiologistes, datant le début de l’épidémie au 14 octobre et mentionnant « une fosse à ciel ouvert » près du camp ainsi que des tuyaux de déversement que, remarqueront des journalistes le 27 octobre,  les soldats s’affairent à remplacer.

Ce n’est que plus tard encore que le Dr Piarroux acquiert la conviction que les informations délivrées au public ont été sciemment tronquées ou biaisées, voire falsifiées :

Les registres médicaux du camp ne mentionnent pas la plus petite diarrhée, pas le moindre problème digestif… Alors que plus de 400 soldats sont arrivés après 10 jours de permission passés dans un Népal frappé par le choléra ! Mais le Dr Piarroux n’a pu interroger les soldats de la Minustah. Et aucune autorisation d’entrée dans le camp n’a été délivrée ni aux épidémiologistes, ni aux journalistes. La présence de cas dans le camp ne pourra donc jamais être prouvée…ni démentie.

La question des travaux de terrassement si promptement exécutés par les soldats se pose également.

De plus, dans un communiqué du 22 octobre, la Minustah situe les premiers cas apparus, bien loin de camp, de la rivière et du fleuve qu’elle rejoint. Et les premiers cas, justement signalés sur la carte de l’OPS (Organisation Panaméricaine de Santé) du 22 octobre, disparaitront des cartes suivantes, aussi bien celles de l’OPS que celles de l’OCHA. La date de survenance de l’épidémie est par ailleurs décalée.

Suivront toute une série de thèses pour expliquer l’origine de ce Vibrio cholerae car il a bien été identifié comme étant de souche asiatique : réchauffement climatique conjugué au tremblement de terre, courants marins, réservoir aquatique mêlant eaux marines et fluviales,  introduction par l’eau contenue dans des ballasts de bateaux provenant d’Asie…

L’une d’entre elles étant justement soutenue par les experts du « panel indépendant » choisi par l’ONU pour faire la lumière sur cette épidémie après les réactions suscitées, dans certains media et chez MSF notamment, par le rapport du Dr Piarroux.

Ce n’est qu’en 2011 que le code génétique d’isolats collectés en Haïti pourra être comparé à celui des isolats népalais : le résultat est sans appel, les souches sont identiques.

Indigné qu’aucune responsabilité ne soit mise en cause, le Dr Piarroux relate dans son livre toutes les démarches menées pour qu’une action en justice soit entreprise. La plainte déposée contre l’ONU devant un tribunal de New York sera déboutée. Aucune compensation ne sera versée aux familles des victimes.

Des centres spécifiques doivent être mis en place contre l’épidémie : les centres de traitement du choléra (CTC), 2017, Haïti © Solidarités International

Haïti, une épidémie sans précédents : phase 3, d’espoirs en désillusions

Hélas, fin 2012, le choléra est maintenant passé au stade endémique. L’ONU affirme en 2013 entreprendre des « investissements considérables » en Haïti, en matière d’infrastructures, pour lutter contre le choléra. Investissements qui ne se concrétiseront pas alors.

En 2015, l’épidémie reprend de la vigueur. Puis, après le passage de l’ouragan Matthew de 2016, la Fondation Melina et Bill et Melinda Gates finance une importante campagne de vaccination. L’épidémie sera heureusement jugulée mais le Dr Piarroux déplore que cette campagne ait revêtu des aspects expérimentaux très contestables. Il continue de s’atteler à lutter le plus efficacement possible.

Entre 2010 et 2016, « près de 800.000 personnes ont été touchées et plus de 9.000 Haïtiens en ont péri ». Ces chiffres figurent dans le premier mea culpa enfin prononcé par Ban Ki-moon en décembre 2016, avec l’annonce d’un véritable plan d’action. L’espoir naît enfin d’une lutte efficace. Hélas déception encore, en 2018, seuls 5% des 400 millions promis ont été collectés, plusieurs pays ne sont pas au RV, ainsi Trump se défausse-t-il en arguant de la responsabilité de l’ONU.

En repensant à ces 8 années passées, ce qui le frappe le plus le Dr Piarroux, c’est « le non-respect de la dignité de chacun » ; celui des soldats népalais vis-à-vis de la population environnante, celui de tous ceux auxquels on a menti, celui des victimes qui réclament justice et celui d’une population à laquelle le secours promis n’est pas apporté.

Combien de morts auraient pu être évitées si la vérité avait été dévoilée immédiatement ?

C’est en hommage aux victimes que Dr Piarroux avait tout d’abord décidé de « desserrer les dents ». Mais il combat toujours pour que ONU et grandes puissances n’abandonnent pas la lutte avant que tout risque d’épidémie de choléra ne soit éradiqué d’Haïti.

Retrouvez le résumé du livre de Renaud Piarroux : ici.

Par Sylvie Rosset


Qu’est-ce que le choléra et comment lutter contre lui ?

Le choléra est une infection diarrhéique aiguë provoquée par l’ingestion d’aliments ou d’eau contaminés par le bacille Vibrio cholerae. Le choléra reste à l’échelle mondiale une menace pour la santé publique et un indicateur de l’absence d’équité et de l’insuffisance du développement social. Selon les estimations, il y a chaque année 3 à 4 millions de cas de choléra, et 21 000 à 143 000 décès dus à la maladie dans le monde.

Formation au lavage de mains dans une école par l’ONG Solidarités International ©Solidarités International

C’est une maladie facile à traiter. On peut guérir la majorité des sujets atteints en leur administrant rapidement les sels de réhydratation orale (SRO). Le sachet standard de SRO OMS/UNICEF est à dissoudre dans 1 litre (l) d’eau potable. Jusqu’à 6 litres de SRO peuvent être nécessaires pour traiter une déshydratation modérée chez un patient adulte le premier jour.  Les personnes affectées doivent se rendre centre de traitement du choléra (CTC) pour être lentement réhydrater. Ce centre est composé d’une « zone de triage » où le niveau de gravité des symptômes est évalué. Puis il faut passer par le point de désinfection que tout centre possède où la personne doit se laver les mains et les pieds avec une solution chlorée à 0,5%. Dans le centre, les patients font des tests médicaux pour vérifier qu’il s’agisse bien d’un cas de choléra. Le danger est de ne pas être pris en charge à temps puisque la maladie entraîne une déshydratation fulgurante, parfois en seulement en quelques heures.

Il faut ensuite chlorer les maisons des patients malades et dont on suspecte qu’ils sont atteints du choléra. Les maisons alentours doivent être également assainies que la maladie ne les atteignent pas. Bien souvent l’enjeu majeur est enfin de réhabiliter les réseaux d’eau car souvent la propagation de l’épidémie a été favorisée par  une absence totale de maintenance sur le réseau et le système de gestion de l’eau d’une ville.

Pour en apprendre plus sur le traitement du choléra en Haïti, regardez la saison 3 de la web série de Solidarités International « De vos propres yeux » : https://devospropresyeux.org/

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