Bahr El Ghazal occidental. Sud Soudan 2017. Suite à des conflits entre forces gouvernementales et rebelles, la population de la ville a fui dans la brousse en abandonnant derrière elle les impotents (personnes âgées et handicapés) incapables de les suivre dans l’exil.
Des Dinkas pro-gouvernementaux sont envoyés dans certaines régions clés comme Raja pour peupler la zone abandonnée par ses habitants et rééquilibrer le jeu démocratique.
En face de Malakal, sur le bord du fleuve était installée la dernière enclave du peuple shiluk. Les enfants péchaient depuis les barges échouées. Un an plus tard la ville a été attaquée et incendiée. Les barges ont coulé et plus personne n’y pêche.
Les équipes de Solidarités International en pleine enquête sur les besoins en eau-hygiène et assainissement du ménage de Mustafa, ses quatre femmes et leurs enfants.
Ceux qui n’ont pas réussi à fuir jusqu’à Maiduguri sont restés bloqués à Monguno. La ville coupée du reste du monde à cause du groupe Djihadiste n’ayant plus accès à des quantités de vivres suffisantes, voit ses plus vulnérables touchés par la famine.
Dans sa retraite, l’Etat islamique a incendié les puits de pétrole qui ont brulé pendant des semaines répandant une suie épaisse sur les champs et le bétail.
Dans les camps de triage, les familles qui sortent de mossoul sont contrôlées et aiguillées vers des camps d’acceuil. Les hommes sont systématiquement isolés, interrogés à part et leur nom comparé à des listes de sympathisants au Califat.
Pendant l’offensive pour la recapture de Raqqa, l’ensemble des familles arabes qui fuient les combats sont retenues dans le camp et aucune ne peut remonter plus au nord vers les territoires kurdes. La journée, les températures montent à plus de cinquante degrés dans le camp.
Congo, Iraq, Nigéria, Syrie, Soudan du Sud, Yémen.
Déployé dans ces pays au cours des deux dernières années au sein de l’équipe d’urgences de Solidarités International, j’ai découvert in situ la réalité de ces crises parfois oubliées, souvent négligées car trop lointaines. Elles n’en sont pas moins violentes et les peuples qui les subissent n’en sont pas préservés par notre indifférence. Bien au contraire.
Nous, humanitaires, savons mal raconter leur quotidien dont nous sommes les témoins, échouons souvent à vulgariser leur histoire et à dépasser l’approche technique des rapports d’activité qui les relèguent au rang d’objectifs de bénéficiaires à atteindre.
Au fil des missions, j’ai essayé par mes photos de sortir ces individus de l’anonymat en donnant un visage à ces statistiques abstraites.
Des photos d’hommes, de femmes, d’enfants à la culture et aux vécus très différents les uns des autres mais qui ont pourtant ce point qui les lie : l’expérience de l’Exode.
Face au besoin d’échapper à leurs nations qui se heurtent et flétrissent dans la rancœur, ces peuples, ces familles optent parfois pour la fuite. La fuite proche pour ceux qui le peuvent ou lointaine pour ceux qui le doivent.
L’Exode comme ultime espoir quand sa couleur, son identité religieuse ou ethnique devient traquée, harcelée et chassée comme du gibier.
Au-delà de la barbarie froide que l’on confère souvent à ces pays lointains, j’ai tenté par mes photos de montrer l’humanité de ces exilés au parcours singulier car n’oublions pas qu’il y a 70 ans ce n’était pas en Afrique ni au Moyen-Orient que la guerre décimait les villages et labourait les vies ni qu’un génocide poussait les hordes sur les routes… mais dans notre chère Europe que l’instinct de mort à l’œuvre dans l’Histoire venait semer ses petits cailloux noirs…
Ces visages auraient pu être ceux de nos grands-parents qui ont grandi dans un monde effondré.
N’oublions pas qu’en négligeant la paix des peuples au profit de la peur et la haine, ces visages pourraient être un jour ceux de nos propres enfants…
Thomas Gruel.
Pour découvrir le travail de Thomas Gruel qui présente ici ses photos, nous vous invitons à visiter son site : https://www.thomasgruel.com/.
A propos de ce photographe humanitaire :
Sorti de Bioforce en 2010 en tant que logisticien, Thomas Gruel a commencé sa carrière d’humanitaire avec MDM et PU à l’époque. Se spécialisant au fil des ans sur les crises d’urgences aigues et les conflits armés, il intègre six ans plus tard le département urgences de Solidarités International qui l’envoie ouvrir bases et missions au Nigéria, Sud Soudan, Congo, Irak, Syrie et Yémen. En parallèle de ses missions, Thomas Gruel ressent assez tôt le besoin de témoigner des scènes dont il est témoin, de mettre des visages sur les statistiques de bénéficiaires et de vulgariser l’aide humanitaire au-delà de la technicité des rapports internes en prenant des photos au cours de mes déploiements. En 2018, il quitte les opérations pour se dédier à la photographie humanitaire tout en gardant un pied dans le monde des ONGs en tant que consultant en sécurité. Thomas Gruel poursuit son travail de photographe et d’humanitaire et il coopère régulièrement avec diverses organisations humanitaires. Contact : ici.
Une réflexion au sujet de « « L’humanitaire en photos » par Thomas Gruel. »
Vous devez vous connecter pour laisser un commentaire.