L’AFD face aux crises

La Coordination Humanitaire et Développement (CHD) s’est réunie pour son Assemblée Générale annuelle le jeudi 24 mai au Centre International du Crédit Mutuel à Paris. A cette occasion, Alain Boinet et Xavier Boutin, co-président de la CHD, ont invité Nelly Reliat de l’Agence Française de Développement (AFD), à présenter la nouvelle stratégie de l’AFD « Paix et résilience » et la Cellule Crise et Conflit chargée de la mettre en œuvre avec les directions opérationnelles de l’agence.

Crédits réservés. Assemblée générale de la CHD, avec les quatre membres du bureau : Alain Boinet, Xavier Boutin, Anne Patel et Thierry Mauricet. 

 

INTRODUCTION D’ALAIN BOINET, président de séance.

Nous remercions Nelly Reliat d’être avec nous aujourd’hui pour nous présenter la stratégie Paix et Résilience de l’AFD et sa Cellule Crise et Conflit dirigée par Charles Tellier, qui est en charge de sa mise en œuvre avec les diverses directions de l’agence.

Nelly Reliat est à l’Agence Française de Développement (AFD), au sein de la cellule prévention des crises et relèvement post-conflits qu’on appelle généralement la « CCC » pour « Cellule Crises et Conflits ». Nous nous sommes rencontrés récemment, lors d’une réunion avec Charles Tellier, Benjamin Neumann, qui sont en charge à la fois de cette cellule et des zones géographiques où elle intervient.

Nelly Reliat est rentrée à l’AFD fin 2016. Elle a une longue carrière, expérience du terrain puisqu’elle a passé 7 ans en Afrique Centrale dans les situations de conflits et de fragilités ; elle a passé 6 ans au sein des Nations-Unies avec OCHA, puis à la Coopération allemande, ainsi qu’à la Mission Permanente de la France auprès des Nations Unies à New York. Elle est donc très engagée sur les questions d’aide humanitaire, de protection des civils, les problématiques de résilience et de relèvement  post-crises.

Cette question du « nexus », du lien urgence et développement – voire urgence/reconstruction/développement car pour nous il y a une phase intermédiaire entre l’urgence et le développement qu’est la reconstruction et qui vise à stabiliser la situation – est au cœur de la Coordination Humanitaire et Développement.

Je remercie donc Nelly et la CCC d’être avec nous aujourd’hui pour nous présenter leur raison d’être et ce qu’elle réalise concrètement.

 

PRÉSENTATION DE NELLY RELIAT

Crédits réservés. Nelly Reliat.

Merci beaucoup à vous pour l’invitation. Effectivement je travaille au sein de la cellule crises et conflits de l’AFD depuis fin 2016. Je suis plus particulièrement les zones Afrique Centrale, région des Grands Lacs, et dans une moindre mesure le Sahel.

 Il m’a été demandé aujourd’hui de vous faire une présentation générale de notre cellule, sur ce qu’essaie de faire l’AFD sur ces contextes de crises et conflits, avec un focus plus particulier sur le Fonds paix et résilience, mis en place récemment et qui sera officiellement lancé le 13 juin (que vous connaissiez peut-être précédemment sous le nom de « la Facilité d’Atténuation des Vulnérabilités »).

LA CELLULE CRISES ET CONFLITS

 Pour recadrer le contexte, 2017 a été une année importante pour l’AFD : l’Agence a officiellement pris acte de l’ampleur des changements nécessaires à réaliser dans les modes opératoires de l’agence pour être en mesure de faire face à ces contextes de crises, de conflits, de fragilités, qui se sont multipliés dans nos zones d’intervention.

                Plus précisément, on observe :

  • La multiplication des conflits violents.
  • La prolongation de ces conflits – la durée moyenne d’un conflit armé est de 24 ans aujourd’hui. Le système multilatéral semble dépassé pour enrayer et mettre fin aux conflits en cours.
  • Des conflits qui touchent de plus en plus des pays à revenu intermédiaire et pas seulement les Pays les Moins Avancés (PMA). Selon les estimations de la Banque Mondiale, les cinq premières années de conflit coûtent en moyenne 8.5 points de croissance économique par an à un pays, avec des effets persistants.
  • D’ici 2030 – l’année cible pour les Objectifs du Développement Durable (ODD) –, on considère que plus de la moitié des plus pauvres de la planète vivront dans des situations de crises, conflits ou de fragilité extrême.
  • On a atteint un niveau record de déplacés forcés, puisqu’on comptabilise dans le monde plus de 68,5 millions de réfugiés, déplacés internes et demandeurs d’asile etc. C’est un contexte qui nous interpelle en tant que développeurs puisque la durée moyenne de déplacement forcé augmente, les réfugiés restent en moyenne 17 ans en situation d’exil. On ne parle donc plus de crises humanitaires seulement. Désormais, ces contextes doivent aussi mobiliser des développeurs comme l’AFD.
  • Les crises chroniques se sont également multipliées, e. des crises qui sont causées par des problématiques de sous-développement structurel mais qui génèrent par leur acuité des besoins de réponse immédiate. Par exemple : le choléra, les questions de sécurité alimentaire et autres.
  • Aujourd’hui les crises sont régionales. Il n’est plus possible de se limiter à des approches d’aide mono-pays, nous devons au contraire développer une réflexion sous-régionale dépassant les frontières.
  • Nous avons également fait le constat de la multi-dimensionnalité des crises (voir le graphique ci-dessous présentant le modèle analytique transversal de la crise). Parmi les déterminants des crises, nous pouvons distinguer les facteurs sociaux, économiques ou institutionnels. Ces éléments peuvent conduire à des crises économiques, sociales, politiques, sanitaires, environnementales avec des effets de contagion entre elles. La pression démographique et le changement climatique jouent le rôle d’accélérateurs de crise. En schématisant à l’extrême, l’action humanitaire se situe plutôt sur le traitement des symptômes d’une crise et les développeurs devraient plutôt agir sur les causes potentielles, leurs racines.
  • Dernier point : les analyses de facteurs de vulnérabilité multi-dimensionnelles ont mis en évidence dans de nombreux contexte une déconnexion réelle entre d’un côté les besoins et vulnérabilités des populations sur le terrain, et de l’autre les programmes de développement appuyés par les partenaires internationaux.

Ce constat a interpellé les acteurs du développement, nous poussant à redéfinir nos modalités d’action pour une aide plus cohérente et efficace. Les attentes sont fortes de la part de nos partenaires, du gouvernement, du public, et des bénéficiaires, quant à l’impact et la qualité de nos actions. Le devoir de redevabilité est accru. En parallèle, les autres bailleurs – la Banque Mondiale, le DFID britannique, l’Union européenne –  ont adapté rapidement leurs modes de faire dans ces contextes de crise. L’AFD s’est inscrit dans le cadre de cette rénovation des pratiques des agences de développement internationales.

Lors du Sommet Humanitaire Mondial de 2016, auquel l’AFD a participé, l’Agence a mieux pris conscience de son rôle dans la prévention et la gestion des crises chroniques et du besoin de mieux articuler nos interventions avec celles des humanitaires sur le terrain. Le souhait est d’engager de plus en plus des efforts de coordination, de concertation sur cette zone grise que constitue le nexus.

Le Grand Bargain – qui engage la France depuis l’année dernière – est également un élément que l’AFD doit prendre en compte ; désormais, nous contribuons au reporting annuel sur la manière dont la France contribue aux objectifs du Grand Bargain.

Le Rapport « Pathway for Peace – » de la Banque Mondiale et des Nations Unies[1] produit il y a quelques mois apporte une contribution importante sur la réflexion quant à la manière dont les partenaires au développement peuvent contribuer ou non à prévenir les conflits violents à travers leurs interventions. L’AFD a co-financé ce rapport et participé à son comité scientifique.  Les analyses mettent en évidence trois facteurs clés qui contribuent à ce que des pays ou des territoires parviennent à ne pas sombrer dans des situations de conflit violent : les gouvernements et leurs partenaires au développement doivent cibler de manière claire les facteurs de fragilités et les déterminants de la crise ;  les politiques doivent être inclusives et participatives, de manière à prendre en compte les revendications, besoins, et perceptions des différents groupes sociaux ; enfin, les actions de développement doivent s’envisager sur le long terme – quelques que soient les risques de rechute, la soutenabilité des interventions doit être pensée. Il s’agit donc d’agir à la fois i) en prévention, ii) pendant la crise, en restant engagé sur les territoires affectés, pour à traiter les symptômes de la crise tout en posant des jalons pour le relèvement et iii) rester dans la durée pour la stabilisation et le relèvement de long terme.

Plus spécifiquement pour l’AFD, l’adaptation des modes opératoires a été essentielle car les situations auxquelles l’Agence fait face sont éloignées du métier classique et de son expertise traditionnelle. Nos zones d’interventions sont marquées par des enjeux géopolitiques nouveaux. L’Agence intervient maintenant dans des contextes de violence, de terrorisme, de corruption à grande échelle qui interrogent nos modes de faire. L’Agence doit parler à des interlocuteurs inhabituels pour elle, i.e. faire du développement dans des zones où des groupes armés sont présents ; interagir avec des forces armées, des acteurs de la sécurité ; travailler de manière plus étroite avec des acteurs de l’urgence…

L’Agence s’est également positionnée sur des thématiques nouvelles, par exemple reconnaître la prise en compte des problématiques de déplacements forcés, réfugiés, déplacés internes qui ne peuvent plus être laissées qu’aux humanitaires, face à des situations de déplacements forcés prolongés. Nous nous interrogeons sur comment, en tant que bailleurs, nous pouvons appuyer des territoires qui accueillent des afflux massifs de déplacés de manière prolongée. Cela ne concerne pas que les zones affectées par la crise syrienne. Je reviens par exemple de la région Est du Cameroun, où plus de 250 000 centrafricains sont réfugiés, depuis plusieurs années, et qui ne vont certainement pas pouvoir rentrer rapidement en RCA. Ils sont accueillis dans les écoles locales, dans les centres de santé locaux, avec l’appui des partenaires, mais ce n’est pas aux humanitaires seuls d’agir sur des problématiques qui sont devenues prolongées ou chroniques ; ce sont les agences de développement qui doivent se mobiliser avec les autorités pour trouver des solutions qui dépassent les stades de l’urgence. Tout cela remet en cause l’approche « habituelle » du développeur. Traditionnellement, l’AFD a plus travaillé avec des maîtrises d’ouvrage publiques et des acteurs étatiques, sur la base d’une « demande locale » entendue uniquement comme la requête formelle des autorités publiques. Aujourd’hui, face à la complexité des situations, l’hétérogénéité des contextes, les positionnements des acteurs dans des contextes de conflits et de fragilités, l’approche a évolué. Nous devons aussi diversifier nos partenariats – travailler avec des ONG, le secteur privé, des acteurs locaux ou internationaux… – de manière à maintenir des actions indispensables d’aide publique au développement y compris en l’absence de maitrise d’ouvrage publique locale capable ou légitime, au bénéfice des populations vulnérables.

Il nous faut également travailler plus vite, être plus réactif, accepter de travailler dans l’urgence, dans des contextes volatils. Cela a remis en cause nos instruments et nos outils financiers. La question de la mesure de la performance à l’AFD se pose également. Il n’est un secret pour personne que chez beaucoup de grands bailleurs et agences de développement, les équipes opérationnelles sont confrontées au quotidien à des incitations fortes liées à la taille des projets, leurs montants, et le volume de décaissement. Cette approche du portefeuille est dépassée et inadéquate en situations de crises et conflits, où l’instruction de tout nouveau projet peut prendre beaucoup plus de temps, pour un volume de financement bien moindre, que dans une zone stable.

La notion de prise de risque est également centrale. Les grandes agences de développement sont traditionnellement adverses au risque. Or, en zone de conflits, le risque zéro n’existe pas ; dès lors, quel niveau de risque est-on prêt à accepter pour pouvoir y intervenir au bénéfice des populations vulnérables ? Car la question n’est plus de savoir si nous devons ou non mener des interventions en « zone rouge », mais plutôt comment y intervenir, selon quelles modalités ?

Enfin, le point des attentes envers l’aide publique au développement est crucial. La pression pour démontrer des impacts rapides s’est accrue. Elle est légitime face aux enjeux, tout en présentant également certains risques – celui de vouloir aller trop vite et de « nuire » se faisant, et celui de se transformer en acteur humanitaire, alors que l’AFD n’en n’a ni l’expertise, ni le mandat, ni les moyens. Il faut certes être de plus en plus rapides et agiles, tout en demeurant focalisé sur des enjeux de développement, en traitant sur le long terme des causes et des déterminants des crises.

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Crédits réservés. Avec Nelly Reliat.

Sur ces constats, l’AFD a adopté en 2017 un nouveau cadre d’intervention transversal (CIT) « vulnérabilité aux crises et résilience », pour 5 ans (jusqu’en 2021). Cette nouvelle stratégie a été assortie de ressources additionnelles, avec la mise en place du Fonds MINKA, le fonds paix et résilience, qui sera doté d’au moins 200 millions EUR par an (100 M EUR par an en 2017 et 2018, au moins 200 M à partir de 2020). Le CIT est articulé avec la stratégie Fragilité du Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères (MEAE), les critères d’interventions prioritaires sont similaires. La nouvelle Stratégie Humanitaire française, adoptée lors de la 4ème Conférence Nationale Humanitaire, précise par ailleurs que l’AFD et le Quai d’Orsay ont initié un travail conjoint pour une meilleure articulation humanitaire-développement, y compris par l’articulation de leurs appels à projet.

A titre de comparaison, la Banque Mondiale a doublé ses financements sur les pays en crises et conflits, en passant de 7 à 14 milliards de dollars pour ces pays, avec une fenêtre spéciale pour les réfugiés de 2 milliards de dollars. La Banque met aussi en place une fenêtre spécifique « secteur privé dans les contextes de crises et conflits » de 2.5 milliards de dollars.

Au niveau de l’AFD, le CIT (cadre d’intervention stratégique) propose 3 axes d’intervention :

  • Premièrement, être désormais dans une posture de prévention beaucoup plus systématique. Cela signifie s’attaquer à ces questions de marginalisation, d’inégalité, tous ces vecteurs dynamiques de violence. Cela implique également de renforcer la veille et l’alerte précoce. C’est là où le dialogue avec vous – les ONGs humanitaires et de développement – est très important. Nous allons aussi approfondir nos actions sur la réduction des risques de catastrophes.
  • Le second axe de réforme pour l’AFD est d’appliquer plus systématiquement les méthodologies sensibles aux conflits dans nos interventions – de la pré-identification du projet à son montage en passant par le suivi-évaluation – et de déployer des interventions multi-pays, pluriannuelles, et pluri-acteurs. Des outils ont été développés pour disposer d’une palette d’instruments mieux adaptés aux contextes de crises et conflits, et pour une gestion plus dynamique des risques.
  • Enfin, l’AFD souhaite renforcer la coordination et les partenariats. Opérer dans ces contextes exige des partenariats très étroits, mobilisant une articulation humanitaire-développement évidemment, mais aussi diplomatie-développement et sécurité-développement (approche « 3D ») ; nous travaillons aussi beaucoup plus avec les autres bailleurs, et nous approfondissons nos  relations avec le monde de la recherche pour mettre en place des volets analytiques dans nos interventions.

LE FONDS « MINKA » PAIX ET RESILIENCE

Le fonds « paix et résilience » –  le fonds « MINKA » –  a été mis en place l’an dernier, pour une dotation initiale de 100 millions d’euros par an, issus de la taxe sur les transactions financières (TTF). Ses ressources sont en réalité en augmentation et il sera doté d’au moins 200 millions € à partir de 2020, suite à la décision du CICID (Comité Interministériel pour la Coopération Internationale et le Développement) de février dernier.

Ce fonds est dédié à ces contextes de crises et conflits. Pour qu’une zone géographique soit éligible, elle doit répondre à 4 critères cumulatifs :

  • forte exposition à des chocs;
  • absence de capacité à y faire face sans aide externe;
  • existence d’un risque de propagation, de contagion sous régionale;
  • la France via l’AFD a un avantage comparatif à intervenir sur cette zone.

Le fonds fonctionne selon 10 principes d’action :

  • Le fonds finance des Initiatives sous régionales, e. une stratégie d’intervention sur un bassin de crise (pas de projets individuels en dehors de ce cadre). Il s’agit de se concentrer plus amplement sur une zone, en apportant des financements additionnels, pour essayer d’avoir un effet transformateur.
  • Promouvoir des approches plus inclusives et participatives, pour remettre les populations locales au centre des interventions.
  • Travailler, non pas seulement sur les symptômes de la crise, mais sur leurs causes et déterminants pour agir en amont sur les fragilités.
  • Mettre toujours en place un socle analytique dans le cadre de chacune de ces Initiatives. Cela signifie établir des partenariats avec le monde de la recherche pour bien connaître le contexte, savoir où on met les pieds, comprendre le conflit, les parties prenantes et autres.
  • Aborder les interventions selon une approche spatiale régionale. Ne pas s’éparpiller.
  • Adopter une approche pluriannuelle, avec des financements additionnels aux ressources classiques de l’AFD.
  • Recourir aux outils et modes opératoires permettant à l’Agence d’être plus flexible, plus réactive dans ces contextes de crises qui sont très volatils. Monter des projets avec des lignes budgétaires rigides, sans possibilité de réaffectation des composantes etc, n’est plus adéquat.
  • Rechercher des partenariats avec d’autres bailleurs et partenaires dans le cadre du dispositif français mais aussi au-delà : conduire des analyses conjointes de conflit, développer des stratégies communes, s’accorder sur des co-financements, des délégations de fonds.
  • Porter une attention particulière aux jeunes et à la situation des femmes et des filles.
  • Et enfin, déployer des dispositifs de suivi renforcé, pour un suivi continu et d’évaluation du projet et du contexte. Un suivi « renforcé » dans ces contextes comprend quatre éléments : 1) il s’agit de suivre les éléments de contexte / conflits, pour comprendre de quelle manière le projet influence le contexte et inversement (et non pas les seuls indicateurs de résultats et d’effets techniques liés aux activités du projet) – car toute intervention a des impacts sur le contexte qui vont toujours au-delà des effets sectoriels immédiats visés ; 2) mettre en place des éléments de suivi externes et indépendants, pour des remontées d’information plus objectives, en dehors des opérateurs du projet eux-mêmes ; 3) recourir au suivi participatif, pour permettre aux communautés locales, aux bénéficiaires finaux (et non bénéficiaires), et différentes parties prenantes de faire part de leur expérience et perception par rapport au projet ; 4) s’assurer que ce suivi lui-même est sensible au conflit et ne met pas en danger les personnes qui procurent des informations.

L’AFD présente un bilan annuel au Conseil d’Administration sur l’avancée des initiatives.

Aujourd’hui, 4 Initiatives ont été lancées dans le cadre de ce fonds paix et résilience :

  • Une Initiative Moyen-Orient pour les pays affectés par les crises syrienne et irakienne (Initiative SAWA)
  • Une Initiative Bassin du Lac Tchad pour les pays affectés par la crise sécuritaire Boko Haram (Initiative KOURI).
  • Une Initiative Sahel, qui inclut le Burkina Faso, le Mali, la Mauritanie, le Niger et le Tchad (Initiative TIWARA).
  • Une Initiative République Centrafricaine, pour appréhender les conséquences transfrontalières de la crise centrafricaine (Initiative Ga Songo).

L’Initiative SAWA – pour le Moyen-Orient – comporte 3 axes : le renforcement de l’accès aux services essentiels ; l’inclusion économique, sociale et politique des jeunes et des femmes ; et le relèvement des territoires libérés.  Pour illustrer le type de projets financés, le projet eau « IRBID » en Jordanie (152 millions d’euros), en partenariat avec l’Allemagne et l’Union européenne, finance à la fois la Water Authority of Jordan et Action Contre la Faim pour assurer l’accès à l’eau aux ménages les plus vulnérables, dont plusieurs dizaines de milliers de réfugiés. Il s’agit d’un projet important pour nous, qui illustre le dialogue tissé entre une maîtrise d’ouvrage publique et une ONG, des partenaires qui ne sont pas forcément habitués à travailler ensemble mais qui apprennent à se connaître et à valoriser leurs expertises respectives. Un autre exemple est celui du projet de formation professionnelle avec IECD au Liban (qui allie des formations courtes qualifiantes et des formations longues diplômantes) pour les jeunes libanais et les réfugiés. On essaie toujours d’avoir des projets qui bénéficient aux communautés locales et aux réfugiés.

La répartition des fonds engagés en 2017 :

 

  • Par bénéficiaires : 33% des fonds ont été alloués aux ONG / OSC et Mouvement de la Croix-Rouge ; 52% aux gouvernements partenaires ; 8% aux banques de développement ; 6% aux organisations régionales ; 1% est resté géré par l’AFD.
  • Par secteur : 40% sécurité alimentaire ; 12% EHA ; 15% Education ; 15% gouvernance et autres.

Grâce à ce fonds, l’AFD est amenée à réfléchir de manière plus poussée sur les déterminants des crises et à travailler plus profondément sur des crises régionales.

En conclusion, je voudrais dire que tout l’enjeu est, dans un contexte d’augmentation annoncée de l’aide publique au développement française, de faire de notre APD un outil efficace de prévention des crises et la réduction des vulnérabilités, et ce sur l’ensemble des géographies concernées, et pas uniquement sur les zones bénéficiaires du fonds MINKA, en déployant des interventions qui contribuent systématiquement à agir sur des facteurs de fragilité et de résilience.

QUESTIONS-REPONSES

 

ALAIN BOINET :

Merci Nelly pour cette présentation précise et détaillée. Nous allons passer maintenant aux questions.

THIERRY MAURICET – Directeur général de PREMIÈRE URGENCE INTERNATIONALE 

Crédits réservés. Avec Thierry Mauricet (en partant de la gauche, deuxième au fond). 

Comment cela fonctionne t’-il ? Ce sont des appels à projet de l’AFD, ou bien les ONG peuvent-elles soumettre des projets à l’Agence ? Par exemple, pour l’initiative Centrafrique qui inclut les réfugiés au Cameroun, est-ce que vous procédez par appel d’offre ou bien les acteurs de terrain peuvent-ils vous proposer un projet rentrant dans le cadre que vous avez défini ?

NELLY RELIAT : Cela dépend du projet, des objectifs, et du contexte, car ce que nous prônons est le choix de la bonne maîtrise d’ouvrage en fonction de ces paramètres. Dans certains contextes, l’Agence peut avoir recours à des maîtrises d’ouvrage publiques et des services techniques qui sont en capacité d’agir sur le terrain visé avec la légitimité nécessaire ; dans d’autres des subventions directes sont allouées à des ONG, avec une expertise spécifique ou une présence particulière dans une zone où n’existe pas d’autre alternative pour intervenir. Lorsque la mise en œuvre des interventions exige le recours à des organisations non gouvernementales, le mode opératoire « par défaut » à l’AFD est celui de la mise en concurrence à travers des appels à projets crises et sorties de crises (« APCC ») : ces appels proposent un cahier des charges et des propositions d’actions indicatives relativement larges, auquel l’organisme non lucratif, ou le consortium peut répondre en restant strictement dans le cadre resserré de ce qui est proposé dans les TDR de l’appel à projet ou en faisant certaines propositions additionnelles ou novatrices. Un appel à projet est publié en principe pour au moins 6 semaines.

THIERRY MAURICET: Simplification administrative. C’est une bonne nouvelle. Mais c’est sans doute une simplification au niveau interne. Qu’en est-il pour les partenaires ? Car j’ai – comme nous tous j’imagine – l’expérience du suivi administratif de nombreux bailleurs institutionnels, et concernant l’agence que vous représentez, vous êtes certainement au top de la palme de la complexité et je n’en vois absolument pas l’intérêt. Vous parliez de flexibilité entre lignes financières etc., mais tout cela ça vous pénalise vous, mais nous aussi on en souffre. Donc, ce souci que vous avez en interne de simplifier et fluidifier, l’avez-vous aussi pour vos partenaires ?

NELLY RELIAT : Vous avez sans doute raison, étant donné que nous ressentons ce besoin de toujours améliorer nos procédures, de les simplifier tout en garantissant le respect de diligences nécessaires. Nous avons mené plusieurs chantiers en ce sens, et de nouveaux sont en cours. Mais l’Agence n’a peut-être pas encore réussi à suffisamment prendre en compte toutes les dimensions de ces lourdeurs, si telle est votre expérience. Nous souhait est d’être une agence agile, qui opère en partenariat avec les meilleurs acteurs possible pour chaque intervention. Par conséquent, votre retour nous intéresse sur les éléments de nos modes opératoires qui vous semblent des complexifications superflues par rapport aux pratiques des autres bailleurs de développement comparables. Nous sommes ouverts et intéressés à approfondir le dialogue avec vous à cet égard.

GILLES COLLARD –  Directeur général de l’Institut BIOFORCE 

Crédits réservés. Gilles Collard

Une question d’ordre organisationnel. Comment le service est-il organisé ? Y-a-t-il un interlocuteur identifié pour chaque initiative avec qui on peut prendre contact et discuter de nos analyses respectives et des évolutions de contexte ?

NELLY RELIAT : Pour chaque Initiative, le pilotage est assuré par le département géographique, avec l’appui de notre cellule crises et conflits ; cette cellule intervient au sein de l’Agence en appui  des départements géographiques au siège, des agences sur le terrain, et des départements techniques (éducation, agriculture, etc.). Cependant, c’est sur les Initiatives que l’appui de la cellule aux départements géographiques est le plus resserré. Je pourrai partager un organigramme avec les points d’entrée dans notre cellule CCC ; je suis le point d’entrée pour l’Initiative Ga Songo pour la Centrafrique, et on compte un point focal pour chacune des Initiatives : sur l’Initiative SAWA (Moyen-Orient, Syrie), sur TIWARA (Sahel) et sur KOURI (sur le bassin du Lac Tchad).

ALAIN BOINET 

Crédits réservés. Avec Alain Boinet.

On comprend bien l’approche stratégique régionale. L’exemple de la RCA, du Cameroun… Tous les exemples sont justes. Ce sont des mécanismes très lourds, multi-acteurs mais devant aussi être rapides – lorsque c’est nécessaire – comme vous l’avez souligné. Or, on ne met pas en place des gros projets de stratégie régionale, avec beaucoup d’acteurs, dans des délais courts. Comment arrive-t-on à concilier le délai avec le volume ?

NELLY RELIAT : Concilier délai et volume. C’est justement l’évolution que nous tentons de porter au sein de l’AFD : pour agir de manière intelligente dans des zones complexes, en crise, où sont présents une multitude d’acteurs et de groupes aux enjeux divergents, où les possibilités d’attiser des tensions ou d’en créer de nouvelles sont énormes, la dernière des choses à faire c’est agir dans la précipitation. Nous voulons travailler de manière de plus en plus réactive, flexible et rapide, mais sans précipitation contreproductive. C’est pour cette raison que nous développons un dialogue plus nourri avec les acteurs locaux, de terrain. Sur ce point, vous avez aussi un rôle à jouer, car nous essayons de renforcer le dialogue avec les ONG françaises sur le terrain, les OSC locales, les agences des Nations-Unies, les autres ONG internationales et autres… Nous échangeons avec de nombreux intervenants qui nous aident à nourrir notre réflexion, à mieux appréhender dans quoi nous mettons le doigt, et sur quelles actions prioritaires se positionner.

Au sein de nos projets, nous exigeons maintenant qu’il y ait une réflexion sur le phasage des activités. Nous ne pouvons plus nous permettre d’attendre 5 ans avant que quoique ce soit sorte de terre sur un projet de développement dans une zone en crise ou fragile. Pour à la fois répondre aux besoins de plus court-terme des populations, et favoriser rapidement l’appropriation pour la durabilité du projet, nos équipes techniques doivent désormais réfléchir aux options de phasage des interventions, en prévoyant d’allier des actions de court-terme et de moyen-terme, au-delà des actions plus structurantes qui constituent le cœur du projet.

Par ailleurs, un chantier de réflexion est en cours pour identifier des mécanismes permettant d’aller plus vite. Par exemple, pré-qualifier des organisations dans certaines zones, afin de raccourcir certaines étapes du processus d’instruction de nos projets.

ALAIN BOINET : Comment est-ce que cela fonctionne entre les acteurs qui sont déjà sur place (notamment les acteurs de l’urgence : les acteurs humanitaires internationaux, les acteurs locaux, les missions des Nations-Unies, le CICR etc.) et les nouveaux acteurs ?

NELLY RELIAT : Avec les acteurs locaux, je dirais que nous avons deux volets principaux.

Le premier est de les considérer comme des partenaires dans le cadre d’un dialogue plus nourri ; il s’agit de beaucoup plus les consulter, par rapport à ce qui pouvait être fait précédemment dans les zones en crises et fragiles. Ce n’est pas un réflexe à l’AFD. Les interlocuteurs traditionnels de l’Agence sont historiquement les ministères centraux, les services étatiques déconcentrés et décentralisés, et assez peu les acteurs non-étatiques sur place. Nous souhaitons désormais entretenir un dialogue qui inclut la diversité d’acteurs locaux en présence, notamment non étatiques, pour une analyse partagée de la situation, voire une définition commune des changements visés. Au-delà des autorités locales, la société civile et les ONG déployées sur le terrain – au contact quotidien des populations, en interaction avec des groupes armés -, disposent d’une analyse très fine des dynamiques locales. Leur vision des enjeux est très précieuse.

Le second élément concerne la diversification de nos partenariats opérationnels. Il s’agit donc de mobiliser les OSC et acteurs non étatiques plus fréquemment comme partenaires de mise en œuvre, en identifiant ceux qui sont capables d’agir à la fois dans le temps court et le temps long, d’accomplir un travail de renforcement des capacités et d’accompagnement des maîtrises d’ouvrage publiques. Ce qu’on veut c’est trouver des modalités opératoires qui permettent aux ONG de travailler avec nous sur des mandats de développement. Dans ces contextes, l’AFD peut d’ailleurs se retrouver dans certains cas à jouer un rôle de médiateur entre une autorité publique et une ONG, lorsqu’existe une méfiance réciproque, et que l’habitude de collaboration n’a pas encore été établie… Sur la Centrafrique, tous les nouveaux projets octroyés en 2017 par l’AFD ont été alloués à des ONG françaises, avec un mandat qui inclut le renforcement des capacités de différents services techniques étatiques.

ALAIN BOINET: Enfin, une dernière question concernant le Fonds paix et résilience. La paix par rapport à la guerre, c’est généralement ou une solution militaire ou une solution politique. Or, les acteurs humanitaires qui interviennent dans des situations dangereuses (notamment pour leurs membres, expatriés et nationaux) ne tiennent pas à être intégrés dans des agendas politiques qui pourraient les mettre en risque et perturber leur action strictement humanitaire. Alors, comment concilier ces programmes qui sont nécessaires – passer de l’urgence à la reconstruction, développement avec des solutions politiques – sans que les humanitaires ne soient exposés par des mandats qui ne sont pas les leurs, qui peuvent être bons ou ne pas être bons et qui peuvent aussi échouer car cela se produit parfois.

NELLY RELIAT : Sur la relation politique-militaire. Je ne dirais pas que la paix est nécessairement un objet uniquement militaire ou politique. Les acteurs de développement n’ont-ils pas justement un rôle à jouer en prévention, en relèvement post crise et en consolidation de la paix ? C’est tout le discours que nous portons en réalité : nous sommes aussi un acteur de paix. Mais pour cela nos interventions doivent être bien conçues. Dans des contextes de crises et conflits, chaque communauté a un rôle à jouer, dans le respect de son mandat : l’AFD doit aussi intervenir dans ces contextes sur son mandat de développement, interagir avec des acteurs militaires, travailler avec les opérateurs humanitaires, tandis que les diplomates jouent leur rôle sur le volet politique. Il n’y a pas d’autre choix que d’interagir voire de travailler ensemble. Ce n’est pas l’AFD et les agences de développement qui peuvent résoudre seules la crise au Sahel. En revanche, la clé se trouve dans une réponse collective et articulée – pour cela il convient d’agir ensemble, de dialoguer –, tout en respectant les mandats et les espaces des uns et des autres ;  il n’est pas nécessaire  de nouer des partenariats opérationnels avec ces intervenants, mais il est indispensable d’être beaucoup plus en interaction avec toutes ces communautés professionnelles intervenant en zone de crises ou conflits, dans l’intérêt collectif et pour éviter des stratégies contreproductives.

MATTHIEU DE BENAZE –  Responsable des projets internationaux de SOS VILLAGES D’ENFANTS France :

Crédits réservées. Avec Mathieu de Benaze.

Bonjour, je vous remercie de votre présentation. Je suis membre de la commission COFRI de Coordination Sud qui rassemble des ONG qui sont en partenariat avec l’AFD, et je pense qu’on avait besoin qu’il y ait une clarification de ce fonds. Il y avait jusqu’ici un certain flou, on ne savait pas bien ce qu’il y avait derrière, maintenant c’est un peu plus clair et ça le sera, je pense, de plus en plus à l’avenir. J’avais une question sur les mécanismes de concertation avec les ONG françaises, pour prendre en compte leurs analyses de terrain. J’ai bien compris, suite à votre présentation, qu’il y avait une prise en compte de l’analyse des acteurs locaux, ce qui est essentiel. Mais ne faudrait-il pas systématiser, s’obliger à cette concertation (en lien avec Coordination Sud, la CHD) ? – à laquelle on est habitués par ailleurs, avec la DPO au ministère des Affaires étrangères ou avec l’AFD dans le cadre du plan Sahel.

NELLY RELIAT : Concernant les mécanismes de concertation avec les ONG au niveau de Paris, j’aurais dû le préciser tout à l’heure, il avait été décidé l’an dernier d’avoir un interlocuteur / point focal au niveau de Coordination Sud sur chacune des Initiatives afin de maintenir cet échange. Si le dialogue n’a pas été très nourri de part et d’autre initialement – de notre côté du fait du coût de la mise en place du mécanisme du Fonds Minka – plusieurs réunions de consultation ont eu lieu, sur les différentes Initiatives et sur Minka. Au niveau local, j’ai pu en faire le constat sur le terrain, par exemple en Centrafrique où le dialogue a été très bon avec des analyses nourries des ONGs présentes sur le terrain. Au niveau du siège, les réunions formelles régulières avec C-Sud continueront pour entretenir cet échange systématique.

XAVIER BOUTIN, Fondateur et directeur de l’NSTITUT EUROPEEN DE COOPERATION ET DE DEVELOPPEMENT et co-président de la CHD :

Crédits réservés. Avec Xavier Boutin.

Je souhaite apporter des précisions car je participe à ce dialogue : en effet, je suis référent avec Coordination Sud sur l’initiative SAWA – région du Moyen-Orient – avec Thierry Benlahsen de Solidarités International. Dans le cadre de SAWA, il y a eu beaucoup de réunions, un travail qui a été assez nourri, et une réunion d’information se prépare d’ailleurs à Beyrouth. Tout cela est coordonné par Jean-Luc Galbrun de Coordination Sud et les ONG concernées peuvent y participer si elles le souhaitent.

MATHIEU DE BENAZE : Enfin, une remarque supplémentaire. J’ai bien compris la promotion de l’approche inclusive et l’attention particulière que vous portez aux femmes, aux filles et aux jeunes. Nous sommes une quinzaine d’ONG (de la CHD et d’autres qui ne sont pas membres) à défendre les droits de l’enfant, à travers la convention internationale des droits de l’enfant. Ce texte contient un principe fondamental qui est la prise en compte de la vie des enfants. Ce serait donc bien de rajouter les enfants, en plus des filles, des femmes et des jeunes. Je pense qu’il est important dans ces contextes de réellement s’obliger à respecter les engagements auxquels la France est partie.

NELLY RELIAT : Vous avez raison, c’est central et peut être insuffisamment explicité dans nos présentations. Les enfants sont bien les bénéficiaires prioritaires de plusieurs de nos programmes (notamment en santé, nutrition, éducation, protection des filles – maintien à l’école et lutte contre les grossesses précoces…) et plusieurs projets visent spécifiquement les jeunes. Nous pouvons envisager d’organiser une réunion plus spécifique à ce sujet avec vous, pour partager les leçons apprises du terrain et les points d’attention que vous souhaiteriez porter à la connaissance de nos équipes projets.

ERIC GAZEAU – Fondateur et directeur de RÉSONANCES HUMANITAIRES

Crédits réservés. Avec Eric Gazeau.

Bonjour, Résonances Humanitaires c’est la gestion des parcours d’engagement et l’aide au retour de mission. Ma question est liée à ce que je fais, vous avez parlé d’un chantier « ressources humaines » il me semble. Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur les objectifs et l’avancement de ce chantier ?

NELLY RELIAT : Je ne peux pas donner de détails à ce stade car ce chantier n’a pas atterri pour l’instant. La réflexion concerne la mise en place de dispositifs spécifiques, dans le cadre d’une revue du statut du personnel, de manière à valoriser au sein de l’AFD une expérience professionnelle en zone de crises et conflits. Les agents font généralement carrière à l’AFD, et jusqu’à présent une nomination dans un pays instable ne fait pas l’objet de promotions spécifiques ou d’aménagements comparables aux pratiques d’autres bailleurs agences de développement. La Banque Mondiale a déjà mené des réflexions comparables.

ERIC GAZEAU : A Résonances Humanitaires on a des éléments de réponse. Pendant 3 ou 4 ans on a travaillé avec la direction des personnels contractuels du MEAE et ces problématiques étaient plus ou moins traitées via Résonances Humanitaires. Donc s’il y a une réflexion RH (ressources humaines) sur la gestion des parcours des gens amenés à travailler dans les situations de crises à l’AFD, n’hésitez pas à nous solliciter. Résonances Humanitaires travaille depuis 16 ans sur la valorisation de parcours de personnes qui sont expatriées dans des cadres humanitaires ou de solidarité internationale.

ALAIN BOINET: Merci Eric. Ce que je suggère gentiment dans ce cas-là, c’est que l’AFD vienne recruter à travers Résonances Humanitaires les gens qui ont la culture et l’expérience des situations de risque, et qui acceptent donc de prendre des risques car ce sont des humanitaires d’urgence.

Nous allons devoir conclure car nous sommes pris par le temps. Je voudrais juste souligner une leçon qu’il nous faut tirer comme j’ai pu le constater récemment. Il y a eu ces derniers mois des faiblesses dans le dialogue entre les ONG et l’AFD dans ce domaine. Si on peut comprendre les difficultés liées à la mise en œuvre d’une nouvelle stratégie et de nouveaux outils, ne perdons surtout pas de vue d’une part que le partenariat est le vecteur opérationnel de cette stratégie, qu’il y a un gros enjeu de réussite de celle-ci pour les populations en danger concernées par ces programmes et, enfin, qu’il est décisif de démontrer aux décideurs politiques l’efficacité de ce nouveau dispositif. L’AFD et ses partenaires ont intérêt à ce que ça marche. Le succès de ce Fonds Minka est essentiel.

Enfin, je voudrais rajouter un mot sur la question du fameux nexus, du lien urgence-reconstruction-développement. Ce n’est pas nouveau, depuis la fin de la guerre de Bosnie-Herzégovine, fin 1995 – vous m’avez déjà entendu le dire – le sujet était sur la table. On s’est battu depuis 1995 pour que cela soit mis en place dans le cadre de la reconstruction de la Bosnie. On a juste attendu un peu plus de 20 ans : il y a eu beaucoup de rapports, colloques et autres pour que les outils soient mis en place. Il y a eu des responsables au sein de l’AFD, comme Jean-Bernard Véron, Olivier Ray, Charles Tellier puis aujourd’hui Nelly Reliat, Benjamin Neumann et les autres qui sont dans cette démarche et cette dynamique avec le soutien du directeur général, Rémy Rioux.

Cela a changé car il y a eu la nécessité du terrain. Je me souviens avoir entendu Pascal Canfin, lorsqu’il était ministre de la Coopération et du Développement International dire en rentrant de Bangui, après l’opération Serval, que l’AFD n’était pas en mesure de décaisser dans les temps. On ne pouvait pas faire de programmes de reconstruction post-crises car l’AFD n’avait pas les outils pour cela. Mais, j’ai entendu déclarer par un autre directeur de l’agence, en 2011, que tout allait bien. Les politiques ont pris conscience au Mali, en RCA, au Moyen-Orient et ailleurs de cette lacune. Des humanitaires, des ONG comme Solidarités International, le Groupe URD,  plaidaient en ce sens. Enfin, il y a eu une prise de conscience de la communauté internationale lors du Grand Bargain et du 1er Sommet Humanitaire Mondial en mai 2016. Si on échoue dans la prise en compte de la sortie de ces crises, qu’est-ce qu’il se passera ? C’est le conflit sans fin et  l’effet domino. On n’est pas sorti du Sahel, on n’est pas sorti de l’Afghanistan, on n’est pas sorti de la Somalie et on n’est pas encore sorti d’Irak et de Syrie, car si on ne sait pas encore ce que nous réserve la suite, il n’est pas interdit de l’envisager pour éviter le pire.

On est d’accord sur le fait que la solution est globale, que tous les acteurs doivent s’y mettre. Cependant, il faut bien voir que l’acteur principal c’est les populations locales. C’est la solution politique pour ces populations. Si elles n’adhèrent pas à tous les processus – politiquement, ethniquement, religieusement –, on peut leurs donner tout le développement qu’elles veulent, ça ne sera sans doute pas suffisant. Mais, à l’inverse, c’est une des conditions de la réussite.

Ma conclusion n’a ici qu’un seul but, tirer ensemble des leçons des situations et de l’expérience passées pour mieux répondre à notre mission humanitaire. Le Fonds Minka existe, à nous avec l’AFD d’en faire une solution efficace.

Nous remercions chaleureusement Nelly Reliat de la Cellule Crise et Conflit de l’AFD pour sa présentation.  Nous remercions tous les participants pour leur présence aujourd’hui et pour l’action humanitaire et de développement que vous réalisez.

 

POUR ALLER PLUS LOIN 

[1] “United Nations; World Bank. 2018. Pathways for Peace : Inclusive Approaches to Preventing Violent Conflict. Washington, DC: World Bank. © World Bank. https://openknowledge.worldbank.org/handle/10986/28337 License: CC BY 3.0 IGO.”