Par Alain Boinet.
Quand on observe la situation humanitaire internationale, aujourd’hui, ce qui frappe, c’est l’augmentation des capacités humanitaires et en même temps leur insuffisance face à des besoins croissants rapidement. En effet, nous constatons une augmentation des catastrophes et des populations touchées, des crises complexes durables et des tensions grandissantes dans les relations internationales conduisant beaucoup de pays à chercher à se protéger face à l’insécurité.
Des chiffres qui parlent d’eux-mêmes !
Les chiffres attestent de l’amplification des besoins. Le nombre de réfugiés et de déplacés est passé de 39.5 M en 2006 à 65.6 M en 2016. Les catastrophes naturelles ont touché 124 M de personnes en 2012 et 204 M en 2016. Selon les Nations-Unies (OCHA/BCAH), le nombre de personnes nécessitant des secours s’est accru de 61,7 M en 2012 à 135,7 M cette année.
Et si, selon le « Global humanitarian assistance report 2017 », l’aide humanitaire a augmenté de 16,1 Mds $ en 2012 à 27,3 Mds $ en 2016, il faut surtout retenir, comme cela a été souligné au 1er Sommet Humanitaire Mondial à Istanbul en mai 2016, qu’il faudrait 40 Mds $ pour répondre aux besoins humanitaires des populations en danger, soit un manque de ressources de 40% chaque année !
C’est dans ce contexte que va se tenir la 4ème Conférence Nationale Humanitaire le 22 mars à Paris. Toute la question est de savoir si la nouvelle Stratégie humanitaire de la France sera à la hauteur de ses responsabilités. C’est la question cruciale, car si le quinquennat précédent a réussi à améliorer les cadres de la coopération internationale (Loi d’Orientation et de Programmation, CICID, ….), si le partenariat avec les ONG a progressé modestement à la marge, il a surtout vu l’Aide Publique au Développement constamment diminuer et l’aide humanitaire toujours marginalisée.
Le changement est-il là ?
La nouvelle Stratégie Humanitaire de la République Française (SHRF) sera présentée par Patrice Paoli, directeur du Centre de Crise et de Soutien du Quai d’Orsay, en clôture de la Conférence. Il est donc encore un peu tôt pour évaluer le changement. Mais l’exercice à faire sera bien de comparer la première Stratégie, pour la période 2012-2017, avec la nouvelle stratégie 2018-2022.
En revanche, nous connaissons déjà le cadre général du changement depuis que le Président de la République, Emmanuel Macron, a décidé d’augmenter progressivement l’APD durant le quinquennat de 0,38% du RNB en 2017 à 0,55% en 2022, ce qui représentera une augmentation finale de 6 milliards d’euros. Jean-Yves Le Drian nous a déclaré, lors d’une réunion récente, qu’il fallait considérer cela comme acquis. Nous n’oublierons pas non plus que nous avons proposé au Président de la République que 10% de l’APD soit consacrée à l’aide humanitaire et qu’il a répondu qu’il y était favorable.
Les décisions du CICID présentées le 8 février par le Premier ministre, Edouard Philippe, concernant les crises et l’aide humanitaire nous apportent déjà des décisions concrètes comme l’adoption d’une nouvelle stratégie de réponse aux situations de fragilité.
Par ailleurs, la décision à retenir est l’affectation de 500 ME destinés aux Fonds d’Urgence Humanitaire (FUH), à partir de 2022, contre environ 150 ME en 2017. De plus, le mécanisme appelé « Facilité d’atténuation des vulnérabilités », mis en œuvre par l’AFD passera de 100 à 200 ME en 2020. C’est cette «facilité » qui doit permettre notamment de faciliter le passage entre les situations d’urgence humanitaire et les projets de reconstruction en sortie de crise. Enfin, le Sahel sera l’objet d’une attention et mobilisation particulière.
On peut en déduire que ces décisions impliquent une stratégie qui soit à la hauteur des moyens ainsi mobilisés, mais également de la décision de rejoindre le processus international du « Grand Bargain » qui rassemble une trentaine d’acteurs majeurs (Etats, Agences des Nations-Unies, Coordinations d’ONG) autour de 10 grandes priorités communes. Nous sommes donc déjà engagés dans des changements réels qui vont alimenter la SHRF 2018-2022.
De surcroît, il y a au programme de la CNH des questions qui vont structurer cette stratégie et que nous pouvons déjà présenter ici dans la mesure où les organisations humanitaires membres du GCH (Groupe de Concertation Humanitaire) ont contribué à l’élaboration de ces thèmes qui seront traités par 4 tables rondes.
Les axes principaux de la Stratégie humanitaire.
- Le Droit International Humanitaire.
La première table ronde portera sur le Droit International Humanitaire (DIH). Les 196 Etats signataires des Conventions de Genève se sont engagés à les respecter et à les faire respecter et c’est ce que nous pouvons attendre de la France au Yémen, en Syrie et au Conseil de Sécurité des Nations-Unies où elle plaide pour une réforme limitant le droit de veto dans les cas de crime de masse constatés par l’ONU.
Les autres aspects à souligner sont la nécessité de permettre effectivement l’accès des secours aux populations en danger comme on le voit en Syrie à la Ghouta, à Afrin ou encore au Yémen. De même que la protection des personnels humanitaires et de santé est à reconnaître et concrétiser. Enfin, la question de la diffusion et de la formation au Droit International Humanitaire demeure une exigence pour progresser dans cette voie.
- Les financements.
La seconde table ronde portera sur les financements. Comme on l’a vu, les financements humanitaires internationaux ont beaucoup augmenté, mais demeurent insuffisants. Comment alors optimiser l’emploi des ressources existantes, comment augmenter les budgets, quel pourrait-être le rôle du privé, des fondations, des entreprises, de financements innovants ? Où en est le Grand Bargain en matière d’harmonisation et de simplification des procédures pour réduire les coûts administratifs et libérer des énergies ? Et quelle sera la valeur ajoutée de la France ?
- Le nexus urgence – développement.
La troisième table ronde portera sur ce que l’on nomme désormais le nexus urgence-développement à la place du lien urgence-reconstruction-développement. Pour mémoire, les humanitaires plaident pour cette articulation depuis au moins la fin de la guerre en Bosnie Herzégovine en 1995 et il aura fallu attendre le Sommet Humanitaire Mondial de mai 2016 pour que la communauté internationale s’en empare ! Tout reste à faire pour assurer une continuité de l’aide entre les situations de crise, de stabilisation et reconstruction puis de reprise du développement. Et cette priorité du Grand Bargain nous semble trop peu avancée.
Et puis, n’oublions surtout pas que l’aide humanitaire ne parvient pas à répondre à toutes les urgences et que nous devons la renforcer dans ce but. Ensuite, faisons attention à la confusion des genres. Les humanitaires ne sont ni responsables ni compétents pour faire la paix, même si leur action peut y concourir. Enfin, la théorie du « new way of working » relève de la responsabilité des Etats et de l’ONU alors que les ONG humanitaires sont guidées dans leur action par les principes d’indépendance au service de l’impartialité afin de secourir toutes les populations en danger sur la seule base de leurs besoins vitaux. Cela n’exonère pas les ONG de considérer le bien-fondé de la stabilisation, de la réconciliation et de la paix pour les populations concernées.
- La localisation de l’aide.
La quatrième table ronde est dédiée à ce que l’on nomme la localisation qui désigne les acteurs locaux ou nationaux de l’aide. Ces acteurs sont non seulement légitimes mais ce sont aussi des opérateurs de proximité dans le temps et cela est extrêmement utile et précieux. N’oublions jamais non plus qu’ils sont chez eux ! Leur implication devrait permettre une aide améliorée.
Pour être effective, il faudra bien définir une typologie de la diversité de ces acteurs locaux et nationaux, de leurs capacités selon les contextes pour définir comment les renforcer utilement entre aide directe et indirecte. Les questions relatives aux principes humanitaires ainsi qu’à la bonne gestion et à la redevabilité devront bien être prises en compte. Et le principe selon lequel il faut être aussi local que possible et international que nécessaire doit toujours être contextualisé dans l’espace et dans le temps en termes de complémentarité.
Conclusion
Comme nous le voyons, les enjeux humanitaires sont sérieux. Alors, durant cette 4ème édition de la CNH, allons-nous connaître un changement quantitatif et qualitatif avec la nouvelle Stratégie Humanitaire de la République Française ? Quelle mise en valeur de cette Conférence et de cette Stratégie sera faîte par le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères et quel en sera le retentissement dans l’écosystème humanitaire ? Autant de sujets sur lesquels nous reviendrons prochainement pour en faire l’analyse et le bilan.
La 4ème CNH a lieu jeudi 22 mars. Vous pourrez la suivre sur les réseaux sociaux et nous posterons une vidéo faisant le point en direct avant le week-end.
Lire ici le programme de la CNH.
Une réflexion au sujet de « Quels enjeux pour la CNH face aux crises humanitaires ? »
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