L’humanitaire doit mieux faire

Distribution de nourriture dans un camp de déplacés de Banki, État de Borno, nord-est du Nigeria. @Unicef Norway

Si l’humanitaire ce sont d’abord les besoins vitaux de population en danger qui rencontrent des convictions pour y répondre et des capacités pour agir, ce sont donc aussi des financements. Or, cette année, si les besoins sont estimés à 50 milliards de dollars, les derniers budgets de l’aide humanitaire internationale ont été de 33 milliards de dollars selon les chiffres officiels de l’OCDE connus en 2021 ! Le financement est bien la priorité globale de l’aide humanitaire internationale.

A la veille du Forum Humanitaire Européen, Dominic Crowley, président de VOICE, nous déclarait : « L’Union Européenne, avec ses Etats membres, était traditionnellement le plus grand donateur d’aide humanitaire. Bien que figurant toujours parmi les donateurs les plus importants (FTS, UNOCHA), depuis 2021, les Etats-Unis sont désormais le plus grand donateur individuel. Plus inquiétant encore, seul deux Etats membres de l’UE (sur 27) figurent parmi les dix premiers donateurs humanitaires mondiaux ».

De son coté, Jean-Louis de Brouwer, bon connaisseur de la Commission Européenne et d’ECHO, déclarait dans un entretien à notre revue : « La Commission, comme d’autres, est inquiète non seulement du fait de l’écart croissant entre les besoins et les ressources mais aussi face à l’inégalité dans la prise en charge de l’aide humanitaire. Les chiffres sont clairs : l’aide humanitaire mondiale repose sur un nombre limité de bailleurs de fonds, toujours les mêmes. Il s’agit donc à la fois de dégager de nouvelles sources de financement et d’élargir la communauté de bailleurs autour d’un nouveau discours sur l’aide humanitaire ».

Dans un article récent publié dans Défis Humanitaires, Cyprien Fabre, chef de l’unité « crises et fragilités » de l’OCDE, nous indiquait que l’Aide Publique au Développement (APD) a été au total de 211 milliards de dollars en 2021 et que la part de l’humanitaire a été de 33 milliards de dollars, soit 15 % du total. « Entre 2010 et 2020, l’APD totale des membres du Comité d’Aide au Développement (CAD) de l’OCDE a augmenté de 33%, tandis que leur APD humanitaire a augmenté de 73% sur la même période » ajoute-t-il. Cette tendance traduit bien les évolutions de l’aide internationale pour répondre aux besoins des populations vulnérables entre humanitaire et développement, à la fois complémentaires et distincts.

Rapport d’activité 2022 du Centre de Crise et de Soutien

Si la France est l’un des principaux contributeurs dans le monde en matière d’APD, elle est en revanche le pays qui donne le moins à l’humanitaire au sein de l’OCDE avec un petit 1% alors que l’Allemagne et la Grande Bretagne lui consacre 15% et les Etats-Unis 31% de l’APD ! Pour être complet, il faut préciser que la France est engagée dans processus de rattrapage.

Le budget humanitaire à triplé pour passer à 500 millions d’euros entre 2018 et 2022 et il vient à nouveau de pratiquement doubler en ce début 2023 pour atteindre presque un milliard d’euros entre ses différentes composantes (FUH, AAP, NUOI) dont probablement 250 à 300 millions d’euros cette année pour les urgences humanitaires, avec les ONG principalement.

Pour nous projeter dans l’avenir en sachant d’où nous sommes partis, rappelons-nous que nous venons de très loin. J’ai sous les yeux le rapport du Centre de Crise du Quai d’Orsay, inauguré le 2 juillet 2008 par Bernard Kouchner, où l’on peut lire pour l’année 2009 : « Le montant annuel des subventions accordées varie selon les années entre 4 et 9 millions d’euros ». Face à cette anomalie, c’est le rapport dit « Boinet-Miribel » sur l’aide humanitaire de la France,  remis en mars 2010 et suivie par huit années d’un plaidoyer constant, avec le soutien et l’engagement des différents directeurs du CDCS, que l’on a pu parvenir au dispositif que nous connaissons aujourd’hui. Cela peut nous inspirer pour la suite.

Au ministère de l’Europe et des Affaires Etrangères, c’est le Centre de Crise et de Soutien qui est en charge de l’humanitaire dans le cadre d’une stratégie Humanitaire de la République Française (SHRP), en lien avec les ONG membres du Groupe de Concertation Humanitaire (GCH). Le CDCS, qui a fait la preuve de ses capacités à mettre en œuvre ces moyens supplémentaires est manifestement prêt à faire plus en 2023 et au-delà.

Jean-Yves Le Drian, à la conférence nationale humanitaire 2021.

Les prochains mois seront cruciaux pour l’aide humanitaire française. Le Comité Interministériel de la Coopération Internationale et du Développement (CICID) se réunira en mai ou juin pour décider notamment de l’augmentation de l’APD dont les ONG demandent qu’elle atteigne 0,7% de notre PNB. C’est le moment ou jamais de décider d’affecter au moins 15% de l’APD à l’aide humanitaire, voire 20% et plus, comme le font déja les Irlandais, les Danois, les Suisses ou les Etats-Unis, afin que la France soit à la hauteur de ses responsabilités dans le monde.

Rappelons que dans son intervention lors de la 5ème Conférence Nationale Humanitaire en décembre 2020, le Président de la République, Emmanuel Macron, avait lui-même évoqué un nécessaire rattrapage du budget humanitaire qui reste encore à compléter durant ce quinquennat.

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Alain Boinet.
Président de Défis Humanitaires.