Un bout de nos cœurs afghans a été arraché
Hommage collectif à Hamed Safi (1947 – 2023)

Safi Sahib, le Sage, le Libre, le Tchopendoz, le Chaleureux, l’Inspirant, s’en allé ce 11 janvier dernier. Il s’est éteint dans un hôpital de Melbourne après avoir été diagnostiqué d’un cancer du sang.
Hamed Safi repose en paix au cimetière de Melbourne où les funérailles se sont déroulées et où réside son frère aîné. A Kaboul, ses amis et proches ont organisé un Fatiha ainsi qu’une soirée de lecture du Coran et une distribution de repas pour les plus démunis. Évoquer un Grand Homme au cœur débordant comme Hamed Jan est, par-delà la tristesse, une chose aisée tant, dès l’annonce de sa maladie et de son décès, les paroles de ses amis s’échangeaient d’âme à âme, « la sienne continuant de nous envahir » dira avec justesse l‘un d’entre eux. Je vais essayer de tisser quelques-uns de ces mots volés* et voletants et initier ce travail collectif de broderie de la mémoire à laquelle nous vous invitons. Tisser pour recoudre nos cœurs blessés, pour chanter les aventures colorées de ce personnage dans un patchwork qui saura aussi être décousu – après tout, n’est-ce pas ça la liberté ? – et, surtout, pour nous donner du courage, de l’espoir et de la joie. Et parce qu’il nous a tant raconté de belles épopées, ce conteur hors pair, que c’est à notre tour d’en faire le héros magnifique de nos petites et grandes histoires et de les transmettre à ses fils, Wais et le jeune Omar, et à sa femme, Hafiza.

Nombre de ces histoires pourraient commencer ainsi :
Après que le vent de la Liberté eut toqué à sa porte, Hamed Jan enfourcha son fidèle destrier (au choix, son cheval à la robe splendide, Shamshir, ou son légendaire 4×4) et partit sur les routes, en ayant pris soin d’embarquer quelques-uns de ses nombreux acolytes. Parce que la liberté sans les amis, ça sert à quoi ? Vers quoi ? Vers quelles destinations? Peu importe, sortir de la Ville, dont les portes se fermeraient pour la nuit. Et partir devant : vers le vaste, où les portes de la nuit s’ouvriraient jusqu’à l’aube**.
Respirer le grand air, de face.
La peur de la nuit ? N’importe quel passager ne la sentait plus avec Safi Sahib, l’indestructible, l’éclaireur avec qui, même sur les routes les plus dangereuses et les cols infranchissables, on se sentait en sécurité. Une route d’autant moins longue qu’Hamed Jan, le prolifique, égrenait ses histoires, aventures passées et présentes, et fomentait celles à venir ; toujours riches d’enseignement et pleines d’une sagesse pas toujours sage. Chemins de traverses, cachettes les plus improbables et un bagout ajouté à un sourire qui ouvraient tous les barrages, désarmaient les kalashnikovs et transformaient, la pause venue, le simple thé en un breuvage mystique.
Un passe-muraille malicieux qui, aux check-points tenus par la police ou l’armée gouvernementale afghane, aimait arriver tous feux éteints au risque de surprendre. On sentait alors l’étonnement puis l’inquiétude des policiers ou des militaires face à ce grand gaillard imposant et sûr de lui, certainement soucieux de ne pas s’attirer les foudres d’un chef. Hamed baissait alors sa vitre, un peu seulement, marmonnait de sa voix grave quelques mots en pashtoun et il passait sans vraiment s’arrêter et surtout sans même être contrôlé…
La nuit s’illuminait alors d’un grand éclat de rire !
La peur, les dangers ? Guys, who gives a shit ! (Les gars, qu’est qu’on en a foutre !) aurait-il répondu avec son air matois, autour du feu, retour de son escapade à travers des lignes de front.

C’est ainsi qu’un jour Hamed m’appelle et me dit « Je suis en route vers Bamyan puis Kahmard, tu dis au staff que j’arrive avec deux amis, Christian et Fred, demain ». Et il rajoute, à la perception de mes trois secondes d’hésitation et de silence surpris : « Tu sais Solidarités c’est ma maison ! ».
Ce n’était pas une injonction, ce n’était pas un dû, c’était une évidence translucide.
Et devant cette évidence, je ne lui répondais pas : « Tu sais Hamed, c’est compliqué, on a des consignes de sécurité, etc. », le baratin habituel, mais « Laisse-moi juste le temps, dans ta grande mansuétude, d’avertir Owen, le responsable terrain». Nul doute que le débarquement d’Hamed et de ses troupes aura été un des plus moments les plus forts d’Owen, qui venait juste d’arriver. Un vrai accueil à l’Afghane que seuls pouvaient lui faire Hamed et ses comparses.
Première règle de l’Afghan Club : On ne refuse pas une demande d’Hamed Safi.Deuxième règle de l’Afghan Club : Hamed Safi ne fait pas de demande, il énonce des vérités.
Et c’était bien une évidence translucide.
Hamed était à la maison chez Sol parce qu’il a fait de l’Afghanistan une maison pour des générations d’expatriés, et ce, quels que soient les circonstances et les dangers. Il n’était pas « de la maison » comme on dit mais il a été la maison, la mehman khana, celle qui nous a abrités et enveloppés, qui nous a fait nous sentir chez nous. La maison protectrice quand, par exemple, grâce à ses antennes, il prévint Alain, de ne pas se rendre dans une réunion clanique au stade de Kaboul qui dégénéra en bataille rangée.
L’Âme de la maison Solidaire aussi ; grâce à lui nous connaissions l’Histoire de nos prédécesseurs.
Car Hamed Jan, l’espiègle, le malin, mettait toujours sa débrouillardise au service de ses amis. C’était ce qui lui a permis de traverser des décennies de chaos sans se corrompre, avec une probité absolue et en gardant intègre cette liberté qu’il nous partageait. Et c’est bien sa générosité qui nous a ouvert tant de portes en Afghanistan et permis de garder nos yeux solidaires ouverts. Toutes celles et ceux d’entre nous qui ont eu l’immense chance d’aller en Afghanistan se sont demandés un jour ou l’autre pourquoi nous étions si attachés à un pays aussi éloigné de ce nous sommes ou que nous croyons être. Un mystère aussi insondable que ceux de l’Amour ou de l’Amitié.
Mais si quelqu’un doit bien incarner une réponse à cette question, c’est bien Hamed Safi.

Son départ marque la fin d’une époque, d’un monde presque. Celui de l’Afghanistan heureux, quasi insouciant, qui n’existe plus que dans notre mémoire.
Mais comme pour tout philosophe, l’important est que sa pensée perdure.
Car oui, Hamed était un philosophe à sa manière avec des valeurs tel que le respect (surtout avec les petits, les pauvres, les faibles d’ailleurs), la politesse, la dignité, le refus de l’abaissement – surtout pour l’argent ou les honneurs – et enfin d’une lucidité à toute épreuve, cristalline presque dérangeante. Convoquer son éthique soufie, se demander comment Hamed aurait agi dans telle ou telle situation est une aide précieuse qu’il nous offre encore.
Que son âme continue de nous envahir et que ses belles aventures ne cessent d’irriguer le suc de la Vie !
Safar Ba khair Hamed !
Yara
* J’ai emprunté des mots ou des paragraphes à Ziggy, Christian, Guillaume, Alex, Fredo, Alain, Georges, Hamida, Fatma, Anne, Hamed, Olivier, Owen et compagnie.
** Sayd Bahodine Majrouh, Le Voyageur de Minuit, Editions Phébus, 1989.
Pour revenir au tissage de notre tapisserie :
Avec l’aide de ses amis les plus proches, nous vous invitons à évoquer – sous la forme écrite que vous souhaitez, une pensée, un de vos souvenirs ou une des histoires que vous avez vécu ou entendu d’Hamed en dari, français ou anglais. Un témoignage vidéo ou audio est, bien sûr, aussi le bienvenu ainsi que des photographies d’Hamed. Nous nous proposons ensuite de les compiler et de les traduire pour les offrir en premier lieu à son fils et à sa famille.Nous avons créé à ce propos une adresse spécifique où vous pouvez nous les envoyer : tributetosafisahib@protonmail.com. Nous ne manquerons pas de vous faire parvenir la tapisserie finale. |
Cagnotte pour aider Hafiza et Omar
La situation est très complexe pour la famille d’Hamed en Australie. Arrivés depuis seulement 2 ans en Australie, Hafiza et Omar font face au quotidien dans un pays qui leur reste étranger et sans l’aide d’Hamed. Par ailleurs, ils ont déjà été obligés de quitter l’appartement qu’ils occupaient tous trois car c’était un logement réservé aux seniors. Une proche de la famille, Hamida Aman, a décidé de créer un cagnotte pour les aider à reprendre leur souffle et un envol après le décès d’Hamed et notamment permettre les études d’Omar : https://www.leetchi.com/c/hamed-jan-safi Merci de participer si vous le souhaitez et/ou de partager l’information avec les amis d’Hamed Jan. Ils étaient nombreux mais nous n’avons pas tous les contacts. |
Témoignage de Said-Homayoun Madjrouh
“Avec la triste nouvelle du départ de notre ami Hamed Safi je me rends compte que non seulement je perds un ami de plus, un frère et un partenaire de longue date dans les combats que nous avons menés pour l’Afghanistan. Ce cher pays perd encore un autre de ces fils et un talent! Il nous manquera et manquera surtout pour tous les gens qu’il aidé. La gentillesse , la droiture et la fidélité d’Hamed Safi à ses valeurs et au pays restera un souvenir cher et une source de fierté pour nous et sa famille.” |
Vous devez vous connecter pour laisser un commentaire.