Générosité en temps de crises

Après plus de 50 heures de live sur la plateforme Twitch, les streamers qui ont participé à Z Event 2021, un marathon de jeu vidéo caritatif, ont récolté un peu plus de 10 millions d’euros pour l’ONG Action contre la faim. Une somme record pour un tel événement © Action Contre la Faim

Les coups de butoir que subissent nos sociétés, depuis deux ans, impactent lourdement la vie de nos concitoyens, malgré toutes les mesures de soutien déployées par les pouvoirs publics.

La crise du Covid, la guerre en Ukraine qui engendre, au-delà des atrocités, une crise énergétique et par voie de conséquence : inflation et érosion du pouvoir d’achat, la générosité des Français a, pour l’heure, résisté et a même connu une légère croissance. Mais le dernier sondage de la Fondation des Apprentis d’Auteuil et le dernier baromètre de France Générosité nous alertent sur quelques sujets d’inquiétudes :

  • Baisse marquée du nombre de nouveaux donateurs

« l’année 2021 marque la continuité du ralentissement engagé depuis 2011. En 10 ans, a vu une baisse de 9 % des nouveaux donateurs »1

  • Baisse de la moyenne des dons des plus grands donateurs, qui compensent en général le décrochage des plus faibles revenus.

« (274€) baisse de 31% par rapport à 2020 (385€) »2

Inquiétudes fondées, tant cette succession de crises n’a pas encore eu, les effets calamiteux attendus : – hyper-inflation, dégradation du pouvoir d’achat et krach boursier. Des conséquences particulièrement sensibles pour les retraités, traditionnels gros bataillons de donateurs.

Les nuages s’amoncellent pour tous les acteurs économiques : entreprises et ménages et singulièrement pour les associations et fondations qui voient le prix du papier et du timbre bondir. Quand on sait que le courrier intervient encore pour deux tiers dans le modèle économique du don aux causes caritatives, on comprend très vite combien l’impact de ces hausses peuvent dégrader ce modèle et combien les frais de collecte peuvent exploser. Cette hausse des dépenses de collecte est bien antérieure aux crises récentes, citées ci-dessus.

La croissance régulière de la générosité des Français est en partie due à des efforts toujours plus intenses pour : assurer la conquête de nouveaux donateurs, remplacer ceux qui font défection ou décèdent, conquérir et/ou transformer les donateurs ponctuels en donateurs réguliers.

Cette hausse des dépenses dévore en partie la croissance de la collecte brute, qui est le principal indicateur mesuré. Il est fort à parier que la tendance de la collecte nette issue de la générosité du public, depuis 10 ans, est étale. Situation qui est masquée par la part des ressources en provenance des fonds institutionnels et des legs. Mais cette situation ne peut perdurer sans affecter les équilibres de gestion de ces organisations qui mettent en balance l’aide apportée aux bénéficiaires au regard des frais de communication, de collecte et de structure.

Si l’élasticité du ressort généreux de la population semble assez résiliente, quelques indicateurs doivent être surveillés avec une grande attention et en particulier l’attrition des prélèvements automatiques chèrement acquis par ces organisations.

« En 2021, 40% des montants des dons reçus par les associations et fondations sont faits par prélèvement automatique (contre 34% en 2012)3. 

Ce basculement des modes de paiement représente une réelle avancée dans la structure des ressources de ces grandes causes. Ce modèle leur assure : régularité, fidélité et stabilité de leur trésorerie. Si les donateurs venaient à arbitrer ou à mettre un terme à ces prélèvements, cela affecterait lourdement et durablement leurs finances, tant leurs choix stratégiques et leurs équilibres budgétaires sont établis à partir de cette modalité de paiement. L’autre souci concerne les middle et grands donateurs, qui ont contribué à tirer la dynamique de la générosité des Français depuis 2003 (Cf loi d’août 2003, dite loi Aillagon).

En effet, à mesure que les ménages aux plus faibles revenus diminuaient le montant de leur don, voire arrêtaient de donner, la grande philanthropie, encouragée par les déductions fiscales et notamment celle liée à l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), puis de l’impôt sur la fortune immobilière (IFI) a compensé ce reflux. Pour rappel, en 2018, dernière année d’ ISF, 14 000 donateurs ont donné plus de 270 millions d’euros, représentant 10 % du montant des dons manuels, pour à peine moins de 0,5 % des contribuables ayant déclaré avoir fait un don. Un retrait de quelques milliers de cette catégorie de donateurs aurait un impact non négligeable sur les ressources, notamment des fondations.

Distributions de coupons pour familles déplacées par les combats en République Démocratique du Congo. Ces coupons peuvent ensuite être échangés auprès des commerçants en fonction des besoins prioritaires des familles. @SOLIDARITES INTERNATIONAL

Alors quelles recommandations peut-on formuler face à tous ces paramètres et inconnues ?

Avant de répondre à cette question rappelons que l’essor de la philanthropie, en France a débuté au milieu des années 70, en plein choc pétrolier, début d’une crise qui mettra des centaines de milliers de Français au chômage et verra surgir, durablement, une inflation à deux chiffres. Et pourtant des campagnes de marketing direct, par mailing, franchissaient gaillardement des taux de retour de 10 %. Des organisations comme la Fondation de France, l’ARC, MSF, Unicef, enregistraient des taux de croissance à deux chiffres.

Il est vrai que les taux de livret d’épargne fluctuaient entre 7 et 8 % et que des bons de caisse à terme, à 6 mois, fluctuaient entre 12 à 17 % d’intérêts annuels. Les plus initiés comprendront.

Cette croissance ne cessera pas et permettra de développer un secteur philanthropique robuste. Aucune des crises survenues depuis ces années, krach boursier de 1897, explosion de la première bulle internet, crises des surprimes, crise de la dette grecque, Covid, etc. n’auront eu raison de la vigueur de la générosité des Français.

Pour illustration, la générosité US a été multipliée par 6 en 40 ans, passant de 84 milliards de $ à plus de 470 $. Il en a été de même pour la France qui est passée de 1 à 8,5 milliards d’€. Et ce même phénomène a été constaté dans tous les pays occidentaux. Mais la crise à laquelle nous sommes confrontés ,qui va vraisemblablement s’aggraver est d’une autre nature et les réponses du secteur philanthropique doivent être à la hauteur de ce défi et passe par un retour absolu aux fondamentaux :

  • la cause,
  • le message,
  • le fichier… le fichier… le fichier et le relationnel avec ses donateurs.

La fidélisation n’a jamais été aussi cruciale et l’entretien d’une communication conversationnelle avec les donateurs a souvent été un point de faiblesse dans l’économie générale du don. Les études anthropologiques du don, dans toutes sortes de sociétés et de tous temps mettent en évidence l’obligation pour « faire société », de donner, recevoir et rendre. Les associations et fondations seraient bien raisonnables d’en apprécier toute la puissance.

Le don aux organisations caritatives est une composante essentielle de l’intervention de la société civile au service de l’intérêt général. Une alchimie subtile qui repose sur l’admiration, la confiance et le souci du bien commun. En temps de multiples crises, cette alchimie doit être savamment entretenue au risque de voir se détourner les donateurs de ce qui représente le meilleur de nous-mêmes.

Antoine Vaccaro

Président de Force For Good

 

 

 

 

 

10 articles presse à lire sur notre Baromètre de la générosité 2021 (francegenerosites.org)

2 3ème édition du Baromètre réalisé par Ipsos pour Apprentis d’Auteuil (calameo.com)

Baromètre de la générosité 2021 – France générosités – mai 2022 (francegenerosites.org)

 

Antoine Vaccaro

Antoine Vaccaro est titulaire d’un doctorat en science des organisations – Gestion des économies non-marchandes, Paris-Dauphine, 1985.

Après un parcours professionnel dans de grandes organisations non gouvernementales et groupe de communication : Fondation de France, Médecins du Monde, TBWA ; il préside le CerPhi (Centre d’étude et de recherche sur la philanthropie) Force For Good et le Fund-raising Lab. Il assume diverses fonctions bénévoles au sein d’associations et de fondations et est également co-Fondateur de plusieurs organismes professionnels promouvant le financement privé des causes d’intérêt général : Association Française des fundraisers, Comité de la charte de déontologie des organismes faisant appel à la générosité publique, Euconsult, La chaire de Philanthropie de l’Essec, 2011.

Il a publié divers ouvrages et articles sur la philanthropie et le fund-raising.