Quelle mission pour les humanitaires ?

Par Alain Boinet.
Certains déclarent que la guerre est finie en Syrie et que Bachar el-Assad l’a gagnée ! La décision de Donald Trump le 18 décembre de retirer immédiatement les troupes américaines de Syrie semblait bien le laisser entendre.
Si ce n’est pas faux, ce n’est pourtant pas si simple. D’abord parce que la région d’Idlib reste aux mains des djihadistes les plus radicaux de Hayat Tahrir Al-Cham qui viennent de l’emporter face aux groupes dits modérés soutenus par la Turquie.
Ensuite, parce que tout le nord-est contrôlé par les kurdes et leurs alliés du FDS (Front Démocratique Syrien) avec les Unités de Protection du Peuple (YPG). Que vont-ils devenir après avoir gagné, avec l’appui de la Coalition occidentale, la guerre contre Daech, de Kobané à Rakka et Deir ez-Zor au prix de lourdes pertes en vies humaines ?
Après avoir donné l’impression de les abandonner, au risque de voir la Turquie envahir le nord de la Syrie, Donald Trump s’est brusquement ravisé début janvier, et la France n’y est pas pour rien. Il a ainsi déclaré que les Etats-Unis protégeraient leurs alliés kurdes et qu’ils « ravageraient économiquement la Turquie » si celle-ci s’attaquait à eux pour « les ensevelir dans leur tranchée », comme l’a menacé le président turc Erdogan.
Alors, que vont devenir les kurdes de Syrie, ceux que l’on désigne à Paris et à Washington comme nos alliés ? Au fond, la chance pourrait les servir, comme cela a été le cas à l’issue de la première guerre du Golfe en 1991-1992 quand Saddam Hussain s’attaqua aux kurdes d’Irak et que le Conseil de Sécurité des Nations-Unies pris la résolution 688 les protégeant. Les kurdes de Syrie pourront-ils demain bénéficier d’un statut comparable aux kurdes d’Irak avec un territoire, le Rojava, bénéficiant d’une certaine autonomie dans le cadre syrien ?
Et après ?
Mais, que va devenir la Syrie exsangue après 8 ans d’une guerre qui a ravagé le pays et ses populations et quelle pourra être l’action des humanitaires à l’avenir ? Les chiffres parlent d’eux-mêmes.
Sur une population de 22,5 millions d’habitants, le nombre de morts s’élève à 400.000 aujourd’hui, dont sans doute deux tiers de combattants. Les besoins humanitaires sont immenses. Les Nations-Unies estiment que 13 millions de syriens ont besoin d’aide, que 6,3 millions d’entre eux sont déplacés dans leur pays et que 5,6 millions d’autres sont réfugiés dans les pays limitrophes dont 3,5 millions en Turquie, plus d’un millions au Liban, 670.000 en Jordanie. Cela signifie que plus de la moitié de la population syrienne a quitté son foyer, que beaucoup espèrent bien retrouver.

C’est une solution politique inclusive qui permettra le retour des syriens chez eux et la reconstruction du pays. Le coût est estimé à plus de 300 milliards de dollars, ce qui représente cinq fois le PIB syrien de 2010. Qui va payer la reconstruction ? Car si la Russie et l’Iran l’emportent avec Bachar el-Assad, ils ne seront pas en mesure de payer toute l’addition. L’argent se trouve plutôt du côté des pays occidentaux et des pays de Golfe. La solution politique devra en tenir le plus grand compte pour rendre possible la reconstruction et le retour durable des déplacés et réfugiés.
Il faudra un processus adapté avec des soutiens à court, moyen et long terme. Selon certains experts, la reprise pourrait prendre 20 ans avec une croissance annuelle du PIB de 4,5% !
Beaucoup de questions s’imposent aux humanitaires.
S’il est certain que la Syrie aura besoin d’une aide internationale massive pour se reconstruire, est-ce que les autorités de Damas seront pragmatiques ou, au contraire, feront-elles comme Saddam Hussein en 1991-1992 qui déclara non grata toutes les ONG qui étaient intervenues sans son autorisation pour apporter une aide d’urgence aux populations kurdes au nord de l’Irak ?
La question se pose pour les ONG qui sont intervenues dans les zones non contrôlées par Damas et sans son accord. Mais, ce sera aussi le cas pour les acteurs humanitaires basés à Damas. Auront-ils enfin la possibilité de déployer les secours nécessaires sans un contrôle tatillon et des conditions draconiennes paralysant ou entravant le déploiement de l’aide humanitaire et, ultérieurement, les efforts de la reconstruction ?
Encore faudrait-il que les déplacés et les réfugiés, dont beaucoup sont des opposants au régime de Bachar el-Assad, puissent rentrer librement et en toute sécurité. Rappelons que 74% de la population syrienne est sunnite pour 10% d’Alaouites, 2,5% de Chiites, 10% de Chrétiens. Cette condition devrait figurer dans la solution politique d’un accord de paix garantie par les principaux pays protagonistes sous l’égide des Nations-Unies.
Une multitude d’autres questions vont se poser aux humanitaires. Que vont devenir ceux d’entre eux qui apportent déjà des secours au nord-est de la Syrie, à Alep et ailleurs ? Comment s’organisera le retour des déplacés et réfugiés ? Où et comment pourront-ils se réinstaller durablement ? Comment tout cela sera-t-il concerté et coordonné ? Comment les humanitaires parviendront-ils à se faire accepter par les populations divisées par une longue et cruelle guerre civile ? Quelles sont les capacités que les humanitaires sauront mobiliser et déployer entre l’aide d’urgence et la reconstruction des petites et moyennes infrastructures ? Pourront-ils recruter librement des syriens et quelles responsabilités pourront-ils leur déléguer en raison du niveau élevé de compétences de ceux-ci ? Les questions ne manquent pas et il est déjà temps de les soulever.
La guerre est-elle déjà finie ?
Même si l’on semble s’acheminer vers la fin du conflit, celui-ci se poursuit ici et là. Les risques collatéraux d’une nouvelle flambée de violences sont réels. Face à une forte implantation politique et militaire iranienne, faîte pour durer, Israël multiplie ses frappes aériennes et les revendique maintenant publiquement. Le président Erdogan n’a pas dit son dernier mot et la frontière turco-syrienne est hautement inflammable. Le Liban, terre d’accueil de plus d’un million de réfugiés syriens, est paralysé par l’absence de gouvernement depuis les élections de mai 2018. Daech garde des capacités d’action terroriste déstabilisatrice et les kurdes syriens ne veulent pas laisser passer leur chance. La paix reste encore à faire, une paix juste et durable.
La paix reste encore à faire, une paix juste et durable.
Alain Boinet.
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