Tribune libre : Antoine Vaccaro, président du CERPHI, présente l’étude OCDE sur l’impact des fondations dans l’aide au développement

 

L’étude OCDE présentée dans les colonnes de Défis Humanitaires, restituée lors de la conférence du 14 septembre dernier au MEAE, appelle de ma part plusieurs commentaires et réflexions. Tout d’abord félicitons-nous de la réalisation de cette première enquête internationale, qui fait tout de même la part belle aux fondations de la sphère anglo-saxonnes,  pour ne pas dire américaine.

Sur 140 fondations interrogées, seules 6 françaises ont été interrogées et/ou on répondu. Le MEAE va contribuer à combler cette lacune prochainement.

Derrière le statut de fondations, il y a évidemment des réalités diverses et notamment les typologies de fondations.

Si les fondations anglo-saxonnes et américaines sont des fondations de dotation de particuliers, en général milliardaires, les fondations du continent européen mixent des fondations de dotation de particuliers et d‘entreprises et des fondations collectrices re-distributrices et opérationnelles.

Ce qui est un distinguo nécessite d’être signalé car il révèle deux grandes modes de servir l’intérêt général. Une voie individuelle et une voie plus collective…., plus démocratique.

Car ce qui frappe, surtout, dans cette étude, c’est l’extraordinaire concentration et le poids (49 %) que représente à elle seule la fondation Bill et Melinda Gates.

Et comme à l’accoutumée, une forme de loi de Pareto se dégage qui montre qu’une vingtaine de fondations représentent 80 % de cette aide.

Parmi les dix premières, nous trouvons cinq fondations de particuliers (US)  -peut être six avec le Wellcome Trust britannique issu d’une dotation d’un particulier abondé par des titres de la multinationale pharmaceutique fondée par Sir Henry Wellcome-, deux fondations d’entreprise, un collectif de philanthropes et la fondation de la loterie néerlandaise.

Cette structure montre à l’évidence la part prépondérante des fondations créées par des Tycoons planétaires, sur fond de creusement d’inégalités abyssales,  qui font ruisseler leur richesse par l’action philanthropique de leur fondation.

En tant que professionnel dans le secteur philanthropique depuis de nombreuses années, je ne peux que me réjouir de ce renouveau de la philanthropie depuis une quinzaine d’années, mais je ne peux pas, néanmoins, faire fi de la question de cette dérive vers plus de concentration de richesses (10 milliardaires détiennent le même patrimoine que 3,5 milliards de personnes) qui se déverse, fort heureusement, en partie dans la philanthropie pour venir à l’aide de centaines de millions de démunis.

Cette situation n’est pas sans rappeler, la fin du XIXe siècle et le début du XXe, période qui a vu émerger des fondations aussi colossales que celle des Gates comme celles de Carnegie, de Ford, de Rockfeller  ou de Vanderbilt , pour n’en citer que quelques unes.

Cette euphorie philanthropie issue de la deuxième révolution industrielle a été suivie par une Première Guerre mondiale, puis une crise économique qui a engendré un second conflit encore plus meurtrier et la fin de l’ancien monde.

Ces fondations ont accompli des missions estimables : élévation de l’enseignement supérieur aux USA, mais aussi dans de nombreux pays et notamment en Afrique, révolution verte en Inde, promotion de systèmes de protection sociale dans de nombreux pays et même en France via la Fondation Ford et beaucoup d’autres initiatives.

A l’instar de ces fondations, l’action de la fondation Gates est, aujourd’hui, tout à fait essentielle et ses résultats plus que remarquables : réduction du nombre d’enfants mourant de la rougeole, volonté d’éradiquer le paludisme, la poliomyélite…

Toutes ces merveilleuses réalisations des fondations n’ont pas empêché, au siècle dernier,  d’effroyables conflits.

Qu’en sera-t-il dans un  futur proche. Mêmes causes, mêmes effets ?

Ce renouveau de la grande philanthropie, dans cette nouvelle ère d’inégalités, annonce-t-il la guerre, comme les nuages annoncent la pluie ?

 

Par Antoine Vaccaro, président du CERPHI.
(http://www.cerphi.org/)


 

Présentation partielle du rapport de l’OCDE 

Le 4 septembre 2018 s’est tenue une conférence sur « la philanthropie au service du développement : quel rôle pour les fondations ? », organisée en partenariat au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères (MEAE) avec le Centre Français des Fondations (CFF) et l’Organisation de coopération et développement économique (OCDE) dont le siège est à Paris. En cherchant à déterminer l’apport de ces fondations au sein de l’aide publique au développement (APD) via l’étude de leur gestion financière et de leurs comportements opérationnels à l’échelle interne et coopérative, l’OCDE a présenté à cette occasion son rapport sur la philanthropie privée pour le développement, disponible en version intégrale ici.

Si elle ne représente aujourd’hui que 5 % de l’APD, développer la philanthropie privée est une opportunité de colmater le fossé grandissant entre les besoins humanitaires et de développement et les moyens mobilisés y répondre. Les limites des apports de sources publiques sont déjà atteintes, tandis que ceux issus des fondations ont une marge de progression encore inexploitée.

L’étude porte sur 143 fondations internationales pour un budget total de 24 milliards USD sur la période 2013-2015. Sur l’ensemble de structures étudiées, 17 % viennent d’Europe et 74 % des fonds proviennent des USA, en grande partie grâce à la fondation BMGF, active principalement dans les domaines de la santé et de la santé reproductive, qui compte pour 49 % des fonds totaux. Les lecteurs doivent analyser les données de l’étude en considérant que, par sa taille, BMGF influence grandement les résultats.

La répartition géographique des apports philanthropiques.

Sur les 143 fondations participantes à l’étude, les pays recevant le plus de dons sont, par ordre d’importance, l’Afrique, l’Asie, l’Amérique latine, l’Europe et l’Océanie. Les apports mondiaux et non-ventilés, qui correspondent à des flux à destination de plusieurs régions, sont les plus communs, à hauteur de 45 % du total. Les apports à destination de l’Europe sont captés à 59 % par la Turquie, 10e pays du classement des pays receveurs en termes de montant reçu.

A un niveau plus local, l’Inde est le premier pays receveur d’aides philanthropiques en valeur réelle, en captant 7 % du total des flux. Une large part de ces flux provient de la fondation Bill & Melinda Gates, de Tata Trusts, de la Fondation IKEA, de la Fondation DELL et du CIFF. Lorsqu’on s’intéresse aux 20 premiers pays receveurs d’aides philanthropiques, on constate deux tendances : 11 sont situés en Afrique subsaharienne et la majeure partie des éléments du classement appartiennent aux groupes des pays à revenu intermédiaire (PRI).

En effet, 67 % des flux totaux sont à destination de PRI, tranches supérieures et inférieures comprises. Ainsi, alors que 41 % des APD ventilables par pays sont dirigées vers les pays les moins avancés, ces PMA ne reçoivent que 28 % des fonds des fondations. Cet écart se retrouve au niveau des pays fragiles puisque quand l’APD leur dédie 52 % de ses aides, les fondations ne s’y consacrent qu’à 38 %. Les contextes légaux, fiscaux et sécuritaires de ces pays ne sont pas généralement pas favorables à l’action philanthropique privée, expliquant ces difficultés à financer des activités humanitaires ou de développement au sein de ces pays.

 

Les secteurs financés par les fondations.

Si la mobilisation en faveur des activités de la santé et de la santé reproductive peut paraître écrasante, il convient de nuancer ces tendances. En effet, elle est largement due aux apports de la Fondation Bill & Melinda Gates qui compte pour 72 % des apports du secteur, tandis que les autres fondations couvrent un panel plus important de domaines d’activités. Néanmoins, la santé reste la priorité numéro un et les actions liées aux services locaux et aux infrastructures comptent pour 74 % des aides, contre 26 % à destination des activités dans la production.

Le secteur humanitaire, quant à lui, ne concentre que 700 millions d’euros, soit moins de 3 % des financements des 143 fondations participantes. C’est un secteur davantage couvert par l’APD, qui y consacre 9 % de ses fonds.

 

Les modes de financement

Conséquence de la crise financière, les apports de l’APD aux ONG ont subi de fortes restrictions. Les financements en provenance des fondations privées ont d’une manière générale comblé ce vide en devenant des partenaires de première importance, en termes de financement mais à travers l’accès à leur réseau, le suivi des programmes, la mise à disposition de biens et de services… Le rapport dénote que cette tendance est particulièrement forte dans le domaine des droits humains et de la justice. Ainsi, 90 % des fondations de l’étude ont soutenu des ONG, à hauteur de 50 % des flux.

Une tendance à la diversification des soutiens est néanmoins observable, résultant en une plus grande concurrence dans l’attribution des fonds pour les ONG. Autre difficulté, une large part des ONG financées sont internationales, au détriment des structures locales.

Durant la période de l’étude, la moitié des flux philanthropiques privés a transité vers ou à travers des ONG, la société civile, le PPP, les réseaux et le secteur privés à but non lucratif. Ils étaient principalement à destination des pays de l’OCDE. Seuls 11 % de ces fonds étaient des contributions au budget central, soit des fonds à usage non restreints utilisés selon les choix de l’organisme destinataire.

 

Cliquez ici pour accéder au rapport complet de l’OCDE.

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