Entretien avec Eric Gazeau – Résonances humanitaires

Eric Gazeau est le directeur général de l’ONG Résonances Humanitaires. 

DÉFIS HUMANITAIRES : Eric Gazeau, comment est née Résonances Humanitaires que vous avez créée ?

ERIC GAZEAU : Je me souviens encore du déclic. Ce fut à l’occasion d’une Conférence à l’auditorium Saint Germain des prés à  Paris en 2002. Le thème de ce débat public portait sur “les dérives chez les acteurs de l’aide humanitaire internationale”. En tribune, étaient présents un certain nombre de responsables d’ONG. Si divers sujets liés à l’instrumentalisation de l’humanitaire ont été évoqués, il n’y pas eu un mot sur la précarité vécue par un grand nombre de personnes  dans ce milieu. Les problèmes que pouvaient rencontrer certains humanitaires notamment lorsqu’il s’agissait de retrouver un job en France étaient à l’époque passés sous silence. Il y avait un déni sur la question de la gestion des parcours des humanitaires, en retour de mission. C’est ce manque de considération d’une problématique qui nous paraissait récurrente, qui a déclenché l’envie de créer l’association Résonances Humanitaires (RH). Ce besoin pressenti de créer un dispositif comme RH fut conforté par une enquête consultable encore aujourd’hui sur le site web de l’association.

DÉFIS HUMANITAIRES  : Les problèmes sont aujourd’hui différents du fait de la professionnalisation des ONG, notamment sur le plan de la gestion des ressources humaines. La plupart des ONG organise en effet des préparations au départ. Le débriefing retour de mission est rentré dans les réflexes management.  Le soutien psy n’est plus tabou. De manière générale, la gestion des parcours au sein des grandes ONG s’est bien professionnalisée. Alors le mandat de Résonances Humanitaires est-il toujours d’actualité ?

ERIC GAZEAU : Oui, bien sûr il y a des progrès dans tous les domaines cités. N’oublions pas également que le contrat de volontaire de la solidarité internationale a évolué et, que  son encadrement législatif a été voté en 2005. Cette loi a contribué à réduire certains facteurs de risques que Résonances Humanitaires avait à l’époque signalés. Néanmoins, le besoin d’un espace bienveillant et confidentiel dédié à l’accompagnement professionnel des humanitaires en retour de mission, comme RH, persiste.

Le turnover des ressources humaines reste important et, il n’est pas toujours facile de rebondir ou de valoriser professionnellement un engagement de plusieurs années en ONG, surtout lorsque l’on envisage de se réancrer quelque-part.

J’en veux pour exemple ces citations emblématiques de la difficulté qu’ont beaucoup d’humanitaires à gérer leur parcours professionnel :

« Tu as entendu ce qui se passe là-bas, ça urge, il nous manque un log admin. Est-ce que l’on peut compter sur toi ? C’est une mission de 6 mois.  Réfléchis et donne-nous ta réponse d’ici la semaine prochaine. » (chargé de recrutement au siège parisien d’une ONG).

Ou encore ces propos entendus à RH : « Je cherche à m’ancrer quelque part mais où aller ? Si je reprends un boulot en France, je risque de m’ennuyer. Si je repars en mission, je risque de me décaler de plus en plus du marché du travail en France. Je ressens le besoin de passer à autre chose mais quoi faire qui ait du sens ? Un poste en siège d’ONG pourquoi pas ? Mais il y en a peu et est-ce que je serais pris ? Est-ce que j’ose une reconversion ? J’ai l’impression que ça ne sera pas facile tant les clichés sur le marché de l’emploi ont la vie dure sur les profils humanitaires et puis, je ne connais pas bien le secteur privé. »

Le besoin d’une prise de recul en retour de mission reste et restera nécessaire, soit pour prendre la décision d’un nouvel engagement humanitaire en toute connaissance de cause, soit pour réfléchir et travailler sur un projet de repositionnement professionnel.

DÉFIS HUMANITAIRES : Si vous deviez présenter une photo de vos activités, quelles sont les informations que vous afficheriez en priorité ?

ERIC GAZEAU : Depuis presque 16 ans, les humanitaires peuvent trouver à RH une palette de services et de ressources leurs permettant une aide au discernement par rapport à leur engagement. Ces personnes peuvent bénéficier du réseau d’humanitaires qui sont passés par RH (plus de 2000 à ce jour). Avec RH, on peut élargir ses recherches,  réfléchir à son évolution professionnelle et si besoin amorcer une reconversion.

Le fait que chaque année plus de 200 personnes frappent à la porte de l’association pour bénéficier de ses services nous encourage à continuer de développer nos services.

L’impact de l’activité au quotidien de RH dans le monde du travail en France n’a pas échappé aux ONG qui soutiennent de plus en plus l’association Résonances Humanitaires dans son développement. A ce jour, plus de 12 ONG soutiennent RH – considérée à ce titre aujourd’hui comme une ONG support (Groupe de réflexion CHD). Chaque année, 75% des personnes en période de transition professionnelle identifient et concrétisent leur nouveau projet en moins de 8 mois, grâce aussi à une équipe de 80 bénévoles réguliers.

DÉFIS HUMANITAIRES : Comment voyez-vous les enjeux et perspectives des ressources humaines dans le monde humanitaire pour les années à venir ?

ERIC GAZEAU : Comment maintenir la flamme de l’engagement humanitaire de terrain alors que les questions de sécurité limitent de plus en plus notre latitude d’intervention ?

Cela doit nous amener à repenser l’humanitaire plus seulement sur un axe Nord-Sud mais sur un axe Sud-Sud.  Cela doit donc nous pousser à réorganiser la gestion des ressources humaines des ONG afin qu’elles gèrent aussi bien les personnes recrutées sur les terrains d’intervention que dans les pays donateurs (décentralisation avec ouverture de bureaux régionaux, hausse des transferts du personnel local vers des postes expatriés, augmentation des contrats « consultance », etc). Ces questions auront inévitablement des incidences sur les activités que propose Résonances Humanitaires.

A l’heure de la transformation digitale, les opérations humanitaires peuvent dorénavant s’appréhender à distance tant pour le recrutement, le management des opérations, le suivi, les debriefings. Dans ces circonstances, l’enjeu pour les humanitaires est de faire face  à une pression grandissante pour plus d’efficacité. Il s’agit donc  de préserver leurs valeurs d’engagement mais aussi leur équilibre. Cette tendance légitime le développement de Résonances Humanitaires.

Quant aux perspectives, je pense – à la lumière de notre poste d’observation à RH – que le monde des associations de solidarité internationale sera perçu de plus en plus comme un vivier de professionnels porteurs de valeurs humanistes et de compétences transversales et managériales tout terrain. Il est de ce fait fondamental que les entreprises à vocation sociale ou non puissent avoir accès à ce type de candidature. Résonances Humanitaires a un rôle important à jouer pour relever ces défis. Son impact sera aussi à la mesure des moyens qui lui seront accordés.

Eric Gazeau

Lire la biographie d’E. Gazeau. 

Résonances Humanitaires. 

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