Jusqu’à présent, malgré toutes les déclarations, en France le partenariat entre les pouvoirs publics et les ONG était le plus faible des pays membres de l’OCDE, un record et une anomalie ! Après des années et des années de plaidoyer, le gouvernement vient enfin de s’engager dans la bonne voie en mobilisant des moyens financiers significatifs pour l’action humanitaire et la reconstruction en sortie de crise dans le cadre d’une nouvelle stratégie.

Lors de la 4ème Conférence Nationale Humanitaire (CNH-22 mars 2018), le ministre, Jean-Yves Le Drian, a présenté la nouvelle Stratégie Humanitaire de la République Française qui, avec ses 3 axes principaux, sera dotée d’un budget d’aide bilatérale de 500 millions d’euros d’ici 2022 au lieu de 150 à ce jour. De plus, dans le cadre du Nexus humanitaire-développement, l’Agence Française de Développement (AFD) verra son budget passer de 100 à 200 millions d’euros dès 2020.
Promesses ou réalités ?
Alors, comme certains, nous pourrions penser que ces promesses n’engagent à rien ! Pourtant, cette mesure s’inscrit dans la décision du Président de la République de porter l’Aide Publique au Développement à 0,55% du RNB d’ici 2022. Et Jean-Yves Le Drian a affirmé devant le Groupe de Concertation Humanitaire (GCH) que cet engagement sera tenu ! Dont acte. A nous d’être vigilants et constructifs tout au long de ce quinquennat.
D’autant plus que nous avons encore des propositions sérieuses à faire valoir. Si ce montant de 500 millions d’euros pour l’aide bilatérale doit être atteint en 2022, il devrait progresser proportionnellement à l’augmentation annuelle de l’APD qui doit passer par étape de 0,44 à 0,55% du RNB. Ainsi, dès 2018, ce budget devrait logiquement augmenter ! Et il y a urgence au Sahel, en RCA, au Bangladesh et au Myanmar, en Syrie, sans même parler de la reconstruction en Irak.
La France devrait rejoindre le peloton de tête, mais elle a encore du chemin à faire !
Ceci étant dit, si l’on additionne les fonds supplémentaires annoncés, soit 350 ME et les fonds déjà mobilisés qui représentent 585 millions de dollars (ONG, organisations internationales, aide alimentaire), on atteint au total environ un milliards de dollars plaçant alors la France, par rapport au budget 2016, non plus au 10ème rang mondial mais au 4ème et au 2ème rang européen.
Cependant, nous avons encore deux objectifs majeurs qui restent toujours à concrétiser. D’une part, les pays de l’OCDE consacrent en moyenne 12% de leur APD à l’action humanitaire. En France, c’est aujourd’hui moins de 2% qui devraient donc progressivement passer à 6% en 2022. Malgré l’effort réel, on est encore loin du compte ! D’autre part, humanitaires et développeurs demandent avec Coordination Sud et la CHD que la part d’APD mise en œuvre par les ONG soit porté à un milliard en 2022 ! Notre feuille de route est toute tracée pour le quinquennat qui commence !
Alors, réussie ou pas cette 4ème CNH ?
Pour avoir vécu, depuis novembre 2011, les 3 précédentes conférences et pour en attendre beaucoup comme chacun le sait, je crois que cette 4ème CNH a été réussie. Qu’il s’agisse de la rencontre avec les parlementaires, de la conférence de presse des ONG, du programme avec les 4 tables rondes, de la diversité et de la qualité des intervenants, de l’engagement personnel du ministre et du Centre de Crise et de Soutien avec la Mission pour l’Action Humanitaire, de l’organisation générale, de la participation nombreuse et d’une très bonne organisation, tout est venu soutenir une Stratégie 2018-2022 plus ambitieuse et dotée de ressources financières significatives.
Je ne vais pas ici en faire un compte-rendu exhaustif, juste un tour d’horizon rapide de points saillants. Impossible aussi de citer tous les intervenants qui ne m’en voudront pas.
Lors de la session inaugurale, Jean-Yves le Drian a souligné trois mutations et risques que représentent les bouleversements démographiques et climatiques, la fragilité de nombreux Etats, les violations du droit international, les risques de retour des conflits interétatiques et, enfin, la dissémination de la violence. Et de conclure en déclarant que pour l’humanitaire « La France veut se situer à l’avant-garde, avec un cap et des moyens ».
Président de Coordination Sud, Philippe Jahshan, a constaté que « la France revient dans le jeu » tout en appelant à la protection des humanitaires et à un dialogue entre le ministère, les ONG et l’AFD pour mieux coordonner l’humanitaire, la reconstruction et le développement.
Les financements en tension.
Modérée par François Grunewald, cette table ronde a entendu Ursula Mueller, sous-secrétaire générale des Nations-Unies aux affaires humanitaires, rappeler que l’ONU avait besoin de 24,4 milliards de dollars cette année pour 93,6 millions de personnes. Monique Pariat, directrice générale d’ECHO, a souligné que s’il y avait plus d’argent, il fallait mieux l’utiliser et être plus efficace, redevable, innovant. C’est ainsi que Cyrille Pierre (MEAE/DGM) a annoncé la mise en place en France d’un Observatoire des coûts de l’aide afin de savoir ce qui revient finalement aux destinataires. Enfin, d’après moi, il nous fallait d’abord remettre les personnes en danger au centre, en mobilisant plus et mieux l’argent afin qu’aucune de ces populations ne soit oubliée.
Le droit international humanitaire en péril en Syrie, au Yémen, au Myanmar,….
C’est Régis Savioz, représentant du CICR à Paris, qui a piloté cette table ronde dans laquelle Françoise Boucher Saulnier de MSF a dénoncé la « criminalisation des secours » en constatant la disparition d’un espace civil de protection des populations en Syrie où, de février à mars, 25 centres médicaux ont été délibérément bombardés ! Pascal Bongard de l’Appel de Genève a constaté un rejet des normes du DIH en Syrie et une prolifération de groupes armés. Dans ce contexte, Alexis Lamek du MEAE (NUOI) a rappelé les initiatives de la France auprès du Conseil de Sécurité de l’ONU pour la protection des personnes humanitaires et de santé.
Humanitaire et développement, on avance ou pas ?
Amal Abou El Ghayt a bien modéré cette table ronde consacrée à ce que l’on appelle aujourd’hui le nexus humanitaire-développement qui a été redécouvert au 1er Sommet Humanitaire Mondial en mai 2016 à Istanbul. Après qu’elle ait rappelé que nous étions confrontés aujourd’hui à 13 crises sévères et 16 Opérations de Maintien de la Paix, Franck Bouquet a montré comment la Banque Mondiale s’inscrivait dorénavant dans cette dynamique. Olivier Ray, qui a longtemps dirigé à l’AFD la Cellule Crise et Conflit avec laquelle nous avons beaucoup travaillé pour définir une doctrine, a bien souligné l’interconnexion des crises et la nécessité de la coordination, des analyses communes, de l’action en réseau en évitant surtout la confusion des rôles afin que chacun fasse son travail. C’est Véronique Andrieux d’ACF qui a justement appelé à ne pas tout mélanger et à dissocier l’agenda politico-militaire de l’agenda humanitaire. Francesca Di Mauro, qui dirige le Fonds Békou en RCA pour la Commission Européenne, considère qu’il faut utiliser tous les instruments disponibles pour régler les crises ! Ahunna Eziakonwa-Onochie, coordinatrice des Nations-Unies en Ethiopie s’inquiète de l’industrialisation de l’aide et plaide pour la dignité et la capacité de chacun à s’en sortir. Mais, finalement, que devient le Nexus qui semble avoir disparu des 10 priorités du Grand Bargain pour être remplacé par le « new way of working » ? Pour indispensable qu’il soit, le Nexus ne nous dispense surtout pas d’améliorer la réponse d’urgence qui connaît bien des faiblesses.
La localisation, alternative ou complémentarité.
Ancien directeur général d’ECHO, Claus Sorensen a animé la table ronde sur la localisation. William Affif a précisé que le PAM a 869 partenaires dont 139 organisations internationales et 730 locales et nationales pour lutter contre la faim. Pour David Fisher de la FICR, la question est de savoir quand allons-nous financer les acteurs locaux et nationaux. Et Degan Ali, du réseau NEAR, de s’alarmer des limites, des contraintes, des lenteurs et de la nécessité de financer le renforcement des capacités nationales de réponse aux crises. Pour Alexandre Giraud, Solidarités International, si la localisation n’est pas nouvelle, le renforcement des capacités des acteurs locaux est essentiel de même que l’adaptation à chaque situation en inscrivant le partenariat dans le temps et le respect des principes humanitaires.
La Stratégie Humanitaire de la République Française.
En fin de journée, Patrice Paoli, directeur du Centre de Crise et de Soutien du Quai d’Orsay a présenté la nouvelle Stratégie Humanitaire avec ses trois axes principaux : 1- La promotion et le renforcement du respect du droit international humanitaire. 2- Des moyens financiers accrus. 3- Une action humanitaire dans le cadre du traitement des crises.
Si l’on compare cette Stratégie pour la période 2018-2022 par rapport à la précédente qui était la première pour la période 2012-2017, on mesure bien le chemin parcouru et les progrès réalisés. J’aimerais préciser que si cette Stratégie est bien celle de l’Etat, celui-ci nous a invité à y contribuer autant que nous le souhaitions et nous y retrouvons beaucoup de ce que nous y avons apporté. Comme disait quelqu’un, l’Etat n’est pas une ONG et il appartiendra à celles-ci qui ont leur propre stratégie de définir le partenariat qu’elles veulent avoir dans le respect de leurs principes selon les lieux, la temporalité et la nature de crises. La CNH a été clôturée par Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’Etat aux affaires étrangères.
Enfin.
J’aimerais aussi ajouter, pour être lucide et honnête, que si des humanitaires et des Coordinations ont joué un rôle majeur dans ce saut quantitatif et qualitatif de la part des pouvoirs publics, l’implication constante du Centre de Crise et de Soutien, de sa Mission pour l’Action Humanitaire, ont été déterminantes pour réaliser ces progrès. ET pour couper court à tout mauvais procès d’intention, je dirai qu’il est tout à fait possible d’être un humanitaire impartial et indépendant tout en étant partenaire des institutions et que notre responsabilité est aussi de les inspirer et de les influencer pour améliorer l’aide aux populations et personnes en péril que nous ne pourrons pas seuls tous secourir.
Alain Boinet.
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