Liban, quoi de nouveau ?

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Avec l’équipe de Solidarités International à Tripoli. © Solidarités International

Bref journal de bord de ma mission. Lundi 1 juin 2015. Aéroport à Beyrouth, je retrouve Cyril, chef de mission de Solidarités International au Liban. Nous prenons la route pour Tripoli, la grande ville du nord du pays, ou nous réalisons depuis 2013 plusieurs programmes humanitaires pour les réfugiés syriens.

La guerre en Syrie, qui a commencé fin 2011, n’en finit pas et elle a déjà provoqué un véritable désastre parmi la population et provoqué plus de 200.000 morts dont un tiers de combattants. Sur 22 millions d’habitants, 10,8 millions nécessitent une assistance humanitaire dont 7,6 millions de déplacés à l’intérieur de leur pays. En 2015, le nombre de réfugiés syriens atteint 4 millions de personnes contre 200 000 en 2011 ! Parmi eux 1,2 millions syriens ont trouvé refuge au Liban, soit 25 % de la population totale qui compte 4,4 millions de libanais ! Le Liban est ainsi le pays au monde hébergeant la plus forte densité de réfugiés par habitant. Nous longeons la côte en passant la ville de Jounieh. Au volant, Hassan le chauffeur, me demande si je suis déjà venu au Liban. Oui et la première fois c’était en 1980. Hassan me regarde et reprend « A l’époque, j’avais 3 ans et je me souviens de la guerre à l’époque et des bruits d’explosion qui nous faisaient sursauter ». Au Liban, Solidarités International a un bureau à Beyrouth et une base importante à tripoli qui rayonne sur toute la région, depuis Zgarta, El Minieh et Dennié, enfin le Akkar jusqu’à la frontière syrienne. Au moment de ma mission, il y a 8 expatriés et 130 staffs libanais ainsi que des palestiniens installés de longue date. Cyrile, le chef de mission a déjà une longue expérience humanitaire en Haïti, au Darfour et en RDC, de même qu’une grande partie de l’équipe avec Leland, Caroline, Kevin, Lisa, Manon,…. et des staffs expérimentés comme Mohammad et d’autres.

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Avec des réfugiés à Daraya. © Solidarités International

Mardi 2 juin.

Début de matinée au bureau à Tripoli avec un  briefing sécurité et une présentation de nos programmes. Nous partons ensuite sur le terrain dans le district de Deniyeh avec Leland, coordinateur, Pauline, Maan et Hilal. C’est dans le village de Syr que nous rencontrons Hamdo qui est arrivé avec sa famille en mars 2013. Il est originaire de Homs en Syrie où il était entrepreneur. Il a tout perdu là-bas.  Ici, Il a loué  un coin de maison pour s’installer avec sa femme Siba et leurs quatre enfants âgés de  1 à 9 ans.  Il y a aussi sa mère et sa sœur.

Hamdo nous offre un café turc avec son fils Ahmad de 3 ans assis sur ses genoux. On sent qu’il est au bout de ses ressources financières et que l’aide humanitaire qu’il reçoit n’est pas suffisante pour faire vivre sa famille. Comme tous les réfugiés enregistrés au Liban, il s’est engagé à ne pas travailler car les autorités craignent des tensions sociales sur l’emploi et les salaires. Hamdo ne voit pas non plus de retour possible en Syrie où les combats se poursuivent.  Il ne se plaint pas.

Nous reprenons la route de montagne pour rejoindre Daraya. Là, sur une colline perdue, un bâtiment très bas composé d’un long couloir desservant une juxtaposition de pièces. Nous sommes accueillis  par un cordial « marhaba » ou  « soyez les bienvenus » par  celui qui représente les réfugiés,  le « shawish ». Il y a là 59 familles, soit 250 personnes, qui s’entassent dans 41 pièces avec un petit coin cuisine et des toilettes. Les lieux sont méticuleusement rangés.

C’est ce que l’on nomme dans notre jargon, un « collective shelter » et chaque famille paye 20 dollars par mois pour cette pièce unique.  Il paye aussi collectivement 20 dollars pour 4000 litres d’eau livrées par camion-citerne chaque jour. Ces familles qui ont fuient la guerre et ses ravages  viennent de Homs, Idlib, Hama en Syrie et ne voient pas de retour possible actuellement. Devant le bâtiment, il y a le camion d’un commerçant venu leur vendre quelques légumes. On vivote en attendant et on fait quelques photos qui réjouissent tout le monde. Ici, l’hiver prochain  sera rude à 1600 mètres d’altitude avec la neige.

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Dessin des enfants de la famille de Hamdo et Siba. © Solidarités International

Mercredi 3 juin. Quand on regarde une carte de l’implantation des réfugiés syriens au Liban, c’est impressionnant car il y en a absolument partout, disséminés soit dans des campements informels, soit dans des bâtiments divers qui vont du garage à l’immeuble en construction. Les autorités libanaises ne veulent pas de regroupement des réfugiés, traumatisées qu’elles sont par le souvenir des camps de réfugiés palestiniens durant la guerre civile à partir de 1975. Aujourd’hui, nous nous rendons dans de nouveaux camps, au nord de Tripoli, dans les districts de Minieh et du Akkar, le long de la frontière syrienne. Sur la route, à Nahr el Bared, nous longeons le camp de réfugiés palestinien qui est devenu une ville qui regroupe 45 000 habitants. Mohammad qui est avec nous et qui travaille depuis 12 ans dans l’humanitaire est l’un d’eux. Réfugié, il sait ce que c’est ! Le campement informel de Mqaiteaa est fait de 37 abris qui abritent 173 réfugiés. Un abri est fait d’un grand cadre de bois rectangulaire posé sur une dalle de ciment et recouvert d’une bâche plastique imperméable. Comme il fait chaud, les pants de toile sont relevés pour faire courant d’air et il y a des grillages très fins contre les moustiques qui foisonnent parfois et qui transmettent le paludisme. Les latrines sont collectives, il y en a 12 avec juste à côté 11 lavabos alimentés en eau par 8 petits réservoirs. On a même réussi à faire venir l’eau dans les tentes avec un robinet pour la toilette et l’électricité est branchée de manière aléatoire sur le réseau local. C’est du provisoire qui dure pour eux depuis maintenant 3 ans et sans que ces familles sachent quand elles reverront leur pays, leur ville ou village pour reprendre leurs activités. Où est l’espoir à Mqaiteaa ! On vit au jour le jour…en espérant un jour le retour. Mais, il y aussi de belle rencontre. Avec notre équipe, il y Rayanne, jeune libanaise qui parle français et anglais à la perfection. Une vielle femme pleine d’entrain nous salue en posant sa main sur sa tête en disant en guise d’accueil une belle formule de politesse, « Ala rassi ». Elle a 4 enfants, 3 filles et un fils perdu dans les combats. D’un âge avancé, cette femme est rayonnante. Au moment où nous la saluons en partant, elle dit affectueusement à Rayanne « que dieu te donne un mari ». Pour améliorer l’ordinaire, elle a deux poules qui sont installées sous un réservoir d’eau et qui lui donnent régulièrement des œufs. Sur la route du retour vers Tripoli, nous faisons halte à Dar el Amar dans le district de Minieh. Là, nous découvrons des familles qui ont aménagés des appartements dans des garages. Ce n’est pas mal. Simplement, ils s’entassent et il n’y a aucune fenêtre. Je découvre un couple de personnes âgées, lui à 96 ans et elle 83. Ils ont fuient Homs il y a 3 ans et ils sont là avec leur fille, son mari et leurs enfants. Leur petit fils, 8 ans se tient près d’eux. Le frère ainé, 26 ans, est mort. Ce vieux monsieur très inquiet nous demande des médicaments, mais nous n’en n’avons aucun et ce n’est pas dans nos compétences. Rien de pire dans l’humanitaire que de ne pouvoir soulager et secourir. A l’issue d’une longue existence, ce couple âgé a échoué là, attendant des médicaments pour le cœur qui risque bien de flancher à Dar el Amar, loin de chez eux !

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Fillettes réfugiées dans le site de Mqaiteaa. © Solidarités International

Jeudi 4 juin. Intervenir auprès de réfugiés dispersés est un défi logistique permanent. La mission de Solidarités International au Liban compte 130 personnes dont 8 expatriés. Nous n’avons pas moins de 40 véhicules pour assurer notre présence auprès des réfugiés disséminés dans environ 700 sites dans la seule région de Tripoli. Nous identifions les réfugiés les plus vulnérables afin d’adapter au mieux l’aide à chaque type de situation. Nous leur apportons principalement de l’eau potable, des latrines, des kits d’hygiène tout en assurant le drainage des sites. Nous apportons également des matériaux pour les abris et nous soutenons les comités de réfugiés pour la bonne gestion de l’eau, de l’assainissement et des abris. Enfin, dans le cadre d’un consortium avec d’autres ONG, à l’échelle de tout le Liban, et sur la base d’une évaluation précise et documentée, nous assurons dans le nord du Liban la distribution aux plus vulnérables de cartes de crédit finançant en moyenne 175 dollars par personne de la famille tous les 6 mois. Nous réalisons ces 4 programmes en partenariat étroit avec ECHO, pour la commission européenne, l’UNICEF et la coopération britannique avec DFID. Cela représente au total environ 10 millions d’euros en 2015. Avant de quitter Tripoli, nous faisons une photo de groupe devant les bureaux et plusieurs libanais me demandent de faire des photos avec eux. Plus tard, Caroline, administratrice de la mission, me dira que pour eux, cette visite est un symbole fort de notre engagement et une reconnaissance de leur action. De retour à Beyrouth dans la journée, nous avons une réunion à l’UNICEF avec Olivier. Nous nous sommes déjà rencontrés à Goma en République Démocratique du Congo et l’UNICEF est un partenaire majeur pour Solidarités International dans le domaine de l’eau, de l’hygiène et de l’assainissement. Nous évoquons la suite de notre partenariat et Olivier précise qu’il n’y a pas de raison pour eux de travailler avec une ONG internationale si une entreprise locale peut faire le même travail au même prix, sauf si nous apportons une plus-value dans le domaine social par une implication des populations. C’est précisément ce que Cyril et Kevin sont en train de préparer avec un gros programme de reconstruction en eau et assainissement pour une durée de 3 ans avec une municipalité libanaise. L’humanitaire c’est beaucoup plus que des produits, des services et des infrastructures.

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Famille syrienne réfugiée dans leur pièce unique, Darraya. © Solidarités International

Vendredi 5 juin. Dans l’avion pour Paris, je pense à nos conversations sur l’avenir de notre mission au Liban. Celle-ci sera naturellement amenée à évoluer, notamment en matière de gestion des installations que nous avons mise en place dans les sites de réfugiés. Combien d’années cela va-t-il durer ? Quel sera le coût de la maintenance et quelle structure sera nécessaire pour l’assurer ? Les financements internationaux resteront-ils suffisants ? Le nombre des réfugiés augmentera t’-il ou pas ? La règle est simple, nous devrons faire la différence et selon la règle de ne pas nous substituer mais, au contraire, de rechercher complémentarité, synergie et plus-value. Mais l’application en est souvent plus aléatoire car nous devrons aussi tenir compte de la stabilité politique et sociale qui est nécessaire. Dans l’avion du retour vers Paris, je lis « L’Orient-le jour », quotidien libanais en langue française. Ce 5 juin, le journal fait état d’un blocage au sein du gouvernement sur la question des nominations à la tête des Forces de Sécurité Intérieures et de l’armée. Tout cela est en lien direct avec la délicate situation de la localité d’Ersal dans le nord-est du Liban, près de la frontière syrienne. Là, des rebelles syriens contrôlent ce morceau de territoire libanais et les leaders politiques libanais s’opposent sur les mesures de sécurité à prendre et sur le rôle de l’armée. En attendant, le Hezbollah libanais a engagée des opérations militaires contre les djihadistes syriens à Ersal ! C’est toute la complexité de la situation et nous connaissons une situation de tension similaire à Tripoli même entre les quartiers de Jabal Mohsen et de Bab el-Tebbané qui pour l’instant sont calmes.

C’est tout l’enjeu de l’aide humanitaire d’urgence qui dépend directement du conflit et qui doit faire face aux besoins vitaux des populations affectées par celui-ci. Il s’agit donc d’anticiper autant que possible ce qui pourrait se produire ici en fonction de la guerre en Syrie et de ses répercussions au Liban même. La bonne nouvelle, c’est que les réfugiés syriens peuvent être accueillis dans un pays en paix qui les reçoit avec l’aide de la communauté internationale et des organisations humanitaires. Et, pour l’instant, malgré les tensions, la paix est bien là. Je me souviens qu’en 1980, alors que je venais voir deux amies humanitaires dans un orphelinat, je m’étais rendu à la lisière de la grande place des Martyrs à Beyrouth. Tout était détruit et c’était une ligne de front des combats qui ont duré des années. Aujourd’hui, tout a été reconstruit depuis longtemps de manière impressionnante et la ville foisonne d’activités. C’est un bel exemple d’espoir et de reconstruction à méditer. Je pense à toute l’équipe de Solidarités International au Liban qui fait un travail formidable avec un esprit collectif très positif que nous devons soutenir pour secourir les réfugiés syriens et aider le Liban pour cela. On m’a fait promettre de revenir au Liban, alors je reviendrai au pays des cèdres.

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