Chroniques humanitaires : Forum de Dakar, Jean-Yves Le Drian et l’humanitaire, où va le Mali. 

Où va le Mali. 

Difficile à dire. En revanche, l’expérience nous enseigne que toute rupture politique et/ou militaire majeure a des conséquences pour la population et par conséquence pour l’aide humanitaire et ses acteurs, souvent en première ligne sur le terrain ! 

Bénéficiaires à Kidal, Mali ©Solidarités International

L’avenir institutionnel paraît très incertain car on ne voit pas comment la Transition pourrait tenir le calendrier des réformes et des élections annoncées en seulement 9 mois. Or les élections n’auront de sens dans le temps que si les réformes nécessaires sont menées à bien. 

En revanche, il y a une petite musique que nous entendons en provenance des institutions financières qui soutiennent le pays et son gouvernement. Elles doutent de l’efficacité de l’aide et comme le dit Josep Borrell, Haut représentant de l’Union Européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, l’heure des chèques en blanc est terminée. L’aide internationale doit bénéficier à la population malienne partout dans le pays jusqu’au village le plus éloigné de Bamako ! 

Si l’avenir est incertain, en revanche nous pouvons partager une conviction commune, c’est que quel que soit les événements, l’aide humanitaire est plus que jamais indispensable pour les populations en péril dans un contexte général qui ne cesse de se dégrader. Et il n’est pas non plus interdit d’espérer. 

Forum de Dakar

Kick-off meeting préparatoire au 9ème Forum Mondial de l’eau, printemps 2019 ©WorldWaterForum

C’est à Dakar qu’aura lieu en mars 2022 le 9ème Forum Mondial de l’Eau. L’enjeu est de taille. Pour le Sénégal, ça doit être un Forum en rupture dédié à des solutions concrètes répondant aux besoins des populations !  Le sera-t-il vraiment ? 

Quoi de surprenant à cela quand on sait que si le Forum est mondial, celui-ci est le premier qui se tiendra en Afrique subsaharienne, continent ou le manque d’eau potable et d’assainissement est le plus criant avec les conséquences les plus graves en termes de mortalité infantile du fait des maladies hydriques, de pollution, de raréfaction de la ressource, de stress hydrique et de frein au développement. Voilà pourquoi c’est une urgence humanitaire. 

Et puis, on ne peut plus faire comme si nous allions atteindre en 2030 les 17 Objectifs de Développement Durables votés par 193 pays à l’ONU en 2015 et notamment l’objectif 6 d’accès universel à l’eau potable. Nous savons que la trajectoire n’est pas la bonne et, de surcroît, la crise du Covid-19 n’arrange rien et risque de provoquer un coup d’arrêt au développement en Afrique si l’aide, estimée à 300 milliards de dollars par le FMI, n’est pas mobilisée et mise en œuvre.

C’est à Dakar que commence la Conférence de l’ONU sur l’eau qui aura lieu en mars 2023 à New York. 

Par chance, l’atout du Forum de Dakar, c’est que l’année suivante se tiendra aux Nations-Unies à New York en mars 2023 une Conférence inter étatiques sur l’eau. Cette conférence, extrêmement rare dans l’agenda international, sera le moment où des décisions réelles devraient être prises. Au Forum de Dakar d’inspirer et de stimuler cette Conférence des Etats afin qu’elle soit à la hauteur de l’enjeu mondial qui se joue avec l’eau et qu’elle se dote enfin de l’instrument permanent de pilotage et de suivi des objectifs (ODD). 

Assemblée Générale des Nations Unies, Septembre 2020

Parmi les dangers qui guettent le Forum de Dakar dans ce rôle de prescripteur stratégique, j’en vois quelques-uns à déjouer. Compte tenu du nombre de participants et de thématiques, il y a un double risque contradictoire à éviter. 

Le premier serait de diluer les messages et analyses dans une avalanche de propositions et le second serait à l’inverse d’être trop général et pas assez spécifique sur les nombreuses problématiques à l’ordre du jour. Pour cela, nous avons un thème central pour ce Forum, celui de la sécurité de l’eau pour la paix et le développement décliné dans 4 domaines : la sécurité de l’eau et de l’assainissement, l’eau pour le développement rural, la coopération et les outils et moyens. 

Il nous appartient donc de prioriser et concentrer un nombre restreint de messages politiques principaux afin de les adresser au Sommet des Chefs d’Etat présents et aux Nations-Unies tout en déclinant un ensemble de projets concrets spécifiques correspondant aux 25 groupes de travail qui préparent le Forum. 

Et puis surtout, à côté des Chefs d’Etat, des ministres et des agences gouvernementales, des collectivités locales, des entreprises, des institutions internationales et des ONG, nous avons le plus grand besoin de représentants des populations et des acteurs locaux pour être dans les réalités des solutions concrètes. 

Nous participerons au Forum de Dakar dans cet esprit et ces objectifs avec Solidarités International, le Partenariat Français Pour l’Eau et tous nos partenaires, en particulier africains. 

Jean Yves Le Drian et l’humanitaire. 

Lors de la 5ème Conférence Nationale Humanitaire le 17 décembre 2020 à Paris, à l’issue d’une longue préparation avec l’Elysée, le ministère de l’Europe et des affaires étrangères et son Centre de Crise et de Soutien et les ONG humanitaires en France, le Président de la République Emmanuel Macron, a pris plusieurs engagements humanitaires d’importance. 

Six mois plus tard, lors d’une réunion du Groupe de Concertation Humanitaire (GCH) le 25 juin, le ministre, Jean-Yves Le Drian, a tenu à informer les ONG humanitaire de l’avancement de ses engagements. Ceux-là intéressent les humanitaires au-delà du territoire français, dans la mesure où certaines de ces décisions auront des prolongements au sein de l’Union Européenne et des Nations-Unies et à terme, comme nous l’espérons, au niveau international. 

Selon Jean-Yves Le Drian, la solidarité internationale est plus nécessaire et plus menacée que jamais. Et pour reprendre sa formule, la vie internationale est en voie de brutalisation. 

Le ministre Jean-Yves Le Drian à la tribune de la 4ème CNH le 22 mai 2018.

C’est dans ce contexte, qu’il a confirmé que la France atteindrait bien son objectif de 0,55 % de son RNB en 2022 consacré à l’aide publique au développement avec une trajectoire inscrite dans la loi d’atteindre ensuite 0,7%. De même, le budget de l’aide humanitaire atteindra 500 millions d’euros l’année prochaine. 

Face aux difficultés grandissante de transferts bancaires pour les ONG compte tenu des lois anti terroristes, le ministre nous a annoncé un accès bancaire plus aisé « là où c’est nécessaire » et il a évoqué une expérimentation prochaine dans le cadre du réseau diplomatique. Mais, selon les ONG humanitaires, le mécanisme « EBO » mis en place à ce propos l’a été très récemment et il demandera du temps. Et le « mécanisme de provision » institué par le Quai d’Orsay, s’il démontre une réelle volonté de trouver des solutions, reste réduit à ce stade. 

Une première, la lettre du Premier Ministre, Jean Castex, pour l’humanitaire.

Mais le plus inattendu, c’est l’annonce de la lettre adressée par le Premier Ministre, Jean Castex, au ministre des Affaires étrangères et au ministre de l’Economie et des finances. Cette lettre précise que pour la France il n’y aura : « Pas de criblage, y compris pour la remise de fonds pour les organisations humanitaires comme pour les opérateurs de l’Etat ». 

Des critères sont en cours de définition pour délimiter l’espace humanitaire considéré et ils donneront lieu à une « doctrine ». Mais là encore, l’Agence Française de Développement (AFD) ne veut pas transiger sur le criblage des bénéficiaires et la décision favorable du Sénat dans le cadre de la Loi de programmation développement (LOP-DSIM) a été remise en cause depuis par l’Assemblée Nationale. La conséquence pour les populations dans les zones de crise, c’est que nous ne pourrons pas mettre en œuvre avec l’AFD de programmes d’aide dans le cadre du nexus humanitaire – développement, rien moins que cela ! 

Il y a une autre lettre importante, c’est la circulaire du Garde des sceaux aux procureurs contre la pénalisation de l’aide humanitaire dans les zones de crise et la spécificité et le respect du Droit International Humanitaire (DIH). Ainsi, pour lutter contre l’impunité des agressions dont sont victimes les humanitaires, une procédure judiciaire serait systématiquement ouverte en visant la plus haute qualification pénale. 

Jean-Yves Le Drian nous a informé qu’il porterait ces questions à l’ONU lors d’une réunion du Conseil de Sécurité le 16 juillet. Une démarche identique sera menée en vue de la présidence française de l’Union Européenne à partir du mois de janvier 2022. 

Pour conclure, au moins provisoirement, nous pouvons dire que s’il y a une volonté manifeste du Ministre et du Centre ce Crise et de Soutien, rien n’est encore vraiment fait. Les humanitaires et Coordination Sud doivent encore agir de concert pour faire aboutir ces mesures essentielles à la mise en œuvre de l’aide humanitaire pour accéder sans entraves supplémentaires aux populations en danger. Nous en reparlerons le mois prochain dans la prochaine édition de Défis Humanitaires. 

Alain Boinet.