
Le questionnement sur la rémunération et les ressources humaines dans le monde associatif de la solidarité internationale revient régulièrement dans les débats et en comparaison avec le marché général de d’emploi. Et ce d’autant que les modèles associatifs de fonctionnement sont très diversifiés et évolutifs. Pour les ONG, ce sujet est véritablement stratégique dans la mesure où les ressources humaines sont au cœur de l’activité associative et solidaire et du fait que la professionnalisation et la croissance de l’action humanitaire et du développement conduisent à une comparaison, si ce n’est une concurrence, des salaires parmi les ONG.
Par définition, cette étude n’aborde pas la spécificité des métiers de vocation humanitaire et développement qui présupposent un engagement fort sur la finalité de l’action qui doit équilibrer savoir être et savoir-faire.
Par ailleurs, soulignons que les salaires en question sont à considérer dans le cadre plus large des rémunérations en France et du niveau de vie qui est très différent et plus élevé que ceux des pays où la solidarité internationale est mise en œuvre.
Dans ce contexte, la Coordination Humanitaire et Développement (CHD) est un collectif français de solidarité international regroupant 55 organisations actives dans les domaines de l’urgence au développement. La CHD a décidé de réaliser cette étude, via un cabinet tiers de confiance : Deloitte, dans le but d’éclairer les ONG sur leurs pratiques salariales actuelles, de les aider à mettre en œuvre des politiques de rémunérations plus efficaces, alignées avec leur culture, leur mode de fonctionnement et leurs objectifs stratégiques tout en assurant une veille concurrentielle au niveau des tendances actuelles et pratiques émergentes (Etude au complet).

L’étude repose sur l’analyse des données transmises par 58 ONG participantes, membres de la CHD et de Coordination Sud. La population considérée dans cette étude regroupe les salariés en CDI et CDD, basés en France ou expatriés (hors Volontaires de Service Civique, Volontaires de Service International, bénévoles, alternants et stagiaires), cela représente 8 557 salariés dont 61% de cadres et 39% de non-cadres.
Les données collectées et analysées dans le cadre de cette étude sont de nature qualitative (pratiques salariales et extra-salariales au sein du panel) et quantitative (données salariales).
Un panel solide composé de 58 ONG permettant d’assurer la représentativité du secteur
La méthodologie
La méthode utilisée par Deloitte pour construire la cartographie des emplois des organisations du panel a été de procéder à un raccordement des emplois à partir des informations propres aux 58 organisations participantes à savoir le statut (non-cadre / cadre), la convention collective et/ou classification interne, le matricule du superviseur / N+1, l’emploi repère et l’intitulé du poste. Sur la base des raccordements effectués pour chaque organisation, Deloitte avec l’appui d’un comité de suivi CHD a permis l’élaboration d’une cartographie globale à « Niveau emploi Deloitte » permettant ainsi une classification des postes en niveaux homogènes afin de réaliser des comparaisons externes dans des enquêtes de rémunération, de construire une classification et de clarifier l’organisation par l’analyse des positionnements relatifs.
L’étude de rémunération 2022 de Deloitte repose sur l’analyse de plus d’un million de données individuelles réparties au sein de plus de 300 entreprises, de tous secteurs d’activité, tailles d’entreprises et localisations géographiques.
Un point sur l’équité interne et la compétitivité externe
Des écarts salariaux Femmes-Hommes moins importants que sur le marché général mais un plafond de verre visible. Au sein du panel ONG, les femmes représentent 65% des effectifs du panel ONG. L’écart salarial global F-H est de 1,5%, en faveur des hommes, contre 3,7% en faveur des hommes sur le marché général. Au-delà des écarts salariaux, on observe une forte représentation des femmes sur les niveaux non-cadres tandis qu’elles sont minoritaires sur les niveaux de cadres dirigeants. De plus, les hommes ont une rémunération totale supérieure de 16,1% par rapport aux femmes.

Analyse de compétitivité par rapport au marché général : une faible progression des rémunérations
Malgré la forte dispersion des salaires à niveau de responsabilité équivalent, nous observons une très faible progression salariale à mesure que l’on évolue dans les niveaux de responsabilité, notamment pour la population des cadres. Le ratio entre les salaires les plus bas et les plus hauts du panel est seulement de 2 en rémunération totale.
De façon générale, les salariés du panel ONG sont rémunérés en deçà des montants médians observés sur le marché général. Le positionnement des rémunérations du panel ONG est en dehors du couloir de compétitivité et ce quelle que soit la population, les filières de métier et quel que soit l’agrégat de rémunération observé.
Pour les non-cadres, nous constatons un positionnement inférieur au marché de -11,9% en salaire fixe et -19,3% en rémunération totale. Pour les cadres, nous observons un positionnement plus dégradé par rapport au marché général de -26,9% en salaire fixe et -35,4% en rémunération totale.
Pour les non-cadres, la filière la mieux positionnée en salaire fixe et en rémunération totale est la filière Ressources Humaines avec des écarts respectifs de -3,7% et de -10,2% par rapport au marché général. A l’inverse, la filière la moins bien positionnée est la filière Communication avec un écart de -16,7% en salaire fixe et -20,6% en rémunération totale.
Pour les cadres, la filière la mieux positionnée en salaire fixe et en rémunération totale est la filière Juridique avec des écarts respectifs de -14,1% et de -22,5% par rapport au marché général. A l’inverse, la filière la moins bien positionnée est la filière Direction Générale avec un écart de -43,4% en salaire fixe et de -52,3% en rémunération totale.
De manière globale, en rémunération totale, la perte de compétitivité est de l’ordre de 7 à 8 points par rapport au positionnement en salaire fixe. Cela est dû à la dynamique de variables individuelles et collectives sur le marché général, qui pose un enjeu certain d’attractivité.
Concernant les périphériques de rémunération : les principaux enjeux identifiés
Environ 2 ONG sur 3 ont pour enjeux principaux l’équité interne des rémunérations (69% des enquêtés), la rétention des collaborateurs et l’attractivité des talents. Plus d’un tiers des ONG (36%) ont également cité la compétitivité externe comme enjeu principal vis-à-vis de leur politique de rétribution et 29% ont identifié un enjeu de communication et de transparence des dispositifs de rémunération.
Plus de 60% des ONG ont mis en place des actions spécifiques pour booster l’attractivité et la rétention des talents notamment suite à la crise COVID. Pour une très grande majorité d’entre elles (78%) il s’agit du dispositif de télétravail. D’autres ont par ailleurs procédé à la révision des grilles salariales, à l’attribution d’augmentations et de primes exceptionnelles ou encore ont cherché à améliorer leur communication interne sur les dispositifs en place.

La gestion des talents et des rémunérations :
- Une classification interne et une grille salariale pour la majorité des ONG …
Concernant le système de classification en place au sein des ONG, plus d’1 ONG sur 2 dispose d’une classification interne quant aux grilles de rémunération, 2/3 des ONG en disposent, moins souvent le cas pour les petites organisations (moins de 10 salariés, avec un budget géré de moins de 2M€).
- Des augmentations versées en 2022 supérieures à 3%
Dans le cadre des négociations annuelles, seulement 11% des ONG disposent d’enveloppes budgétaires spécifiques dédiées aux promotions et aux primes exceptionnelles, aucun budget n’est dédié aux jeunes diplômés ou à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. La majorité des organisations qui disposent de ces budgets spécifiques sont des grandes structures (budget géré supérieur à 30M€ et effectif supérieur à 80 salariés).
- Un niveau de satisfaction des salariés mitigé et un turnover moyen élevé
Seulement 1/3 des ONG mesure de façon formelle, via un questionnaire le plus souvent, la satisfaction de leurs salariés vis-à-vis de la politique de rémunération de l’organisation. La taille de l’organisation n’a à priori pas d’impact sur la mise en place de ces enquêtes.
Au sein des ONG qui mesurent la satisfaction de leurs salariés, la proportion de collaborateurs plutôt satisfaits et celle peu satisfaits sont presque équivalentes.
Concernant le taux de turnover moyen observé sur les trois dernières années, il a tendance à diminuer légèrement même s’il reste assez élevé avec une moyenne de 21%. La taille de la structure joue sur le turnover, qui est largement plus élevé au sein des petites structures (budget géré inférieur à 500K€), jusqu’à 33% en moyenne.
- Le télétravail, largement mis en place au siège, à hauteur de 2j/semaine
Une grande majorité des ONG (84%) ont mis en place un accord ou une charte de télétravail pour leur population Siège avec 2 jours par semaine en moyenne. Elles sont en revanche beaucoup moins nombreuses (21%) à proposer ce type de dispositif à leur population expatriée. Il est à noter cependant une minorité d’ONG (16%) qui propose une formule « à la carte » avec un nombre de jours de télétravail annuel ou mensuel réparti en fonction des besoins du salarié.

Des difficultés pour recruter les expatriés, la rémunération questionnée …
Pour rappel, 45% des ONG du panel emploient des expatriés. Les expatriés représentent environ 18% des salariés (20% des non-cadres et 16% des cadres) d’après les ONG du panel.
2 ONG sur 3 rencontrent des difficultés pour recruter les expatriés, principalement en raison du manque d’attractivité des packages de rémunération. De plus, il apparaît que la durée moyenne d’expatriation est un peu plus longue pour les cadres que pour les non-cadres.
Ainsi, cette étude a pour vocation d’observer les pratiques, tendances récurrentes et émergentes dans les domaines de la rémunération et des avantages sociaux associés.
Des constats et axes de réflexion ont été mis en exergue qui permettent de faire évoluer ces pratiques et qui concernent toutes les structures, quelle que soit leur taille.
Afin d’assurer la continuité de l’étude, la CHD propose un accompagnement aux organisations sur ces aspects de nature qualitative (pratiques salariales et extra-salariales) et quantitative (données salariales) pour les 58 organisations qui ont participé à l’étude ainsi qu’aux organisations qui souhaitent participer à des sessions de travail, de renforcement des capacités et de mutualisation des pratiques entre acteurs de la solidarité internationale. Ces sessions d’échanges seront animées par un expert et permettront de répondre aux enjeux actuels liés aux ressources humaines (De quelles compétences a-t-on besoin pour assurer le fonctionnement présent et à venir de l’association ? Où et comment va-t-on aller chercher ces compétences ? Comment va-t-on les développer, les rétribuer et les inciter à s’investir pleinement au sein de l’association ? ainsi que bien d’autres).
En parallèle, la CHD se mobilisera auprès des pouvoirs publics lors de réunions de plaidoyer et de présentation des axes stratégiques de l’étude afin de faire valoir la cause des ressources humaines et notamment afin de demander une hausse des coûts supports dans les projets terrain financés par les bailleurs de fonds publics.
De plus, cette étude est un outil de communication indéniable pour le secteur de la solidarité internationale. Elle donne aux associations, une visibilité sur les pratiques du secteur, leur permettant de se comparer notamment aux autres organisations et plus généralement au marché général. Elle informe les salariés des conditions salariales et extra-salariales, lorsque ces derniers ont une image plus dépréciée de leur pack de rémunération que ce qu’elle ne l’est réellement. L’étude permet une plus grande transparence vis-à-vis du grand public et des bénévoles, en effet, le secteur pourra prendre la parole de manière proactive et ne sera plus dans une démarche de réactions aux attaques.
Cette étude, enfin, répond à l’enjeu pour les organisations de professionnaliser les filières métiers et d’attirer les meilleurs talents au service des causes des organismes (notamment ceux faisant appel à la générosité du public).
Alexia Tafanelli
Retrouvez l’étude ici : Étude sur les pratiques salariales et les avantages sociaux des organisations de solidarité internationale.
Pour bénéficier de la totalité du rapport, nous vous invitons à contacter Alexia Tafanelli, secrétaire exécutive de la CH (alexia.tafanelli@c-hd.org / 07 56 84 85 13).
La CHD, une coordination d’organisations de terrain.
La CHD, regroupe une cinquantaine d’organisations françaises de solidarité internationale, c’est l’un des principaux collectifs d’ONG, qui réunit des organisations menant de nombreux projets humanitaires, de développement dans le monde. La dynamique de la CHD vise à regrouper, mobiliser et faire reconnaître les acteurs de terrain pour peser sur les décisions collectives auprès de Coordination SUD en termes de plaidoyer auprès des décideurs publics. La CHD plaide sans relâche pour une aide publique au développement transitant par les ONG à la hauteur des besoins auxquels nous faisons face. Elle plaide également pour le droit à l’initiative des ONG, principe essentiel qui consiste à faire accepter leurs modes d’interventions sur le terrain, très souvent source d’innovation.
La CHD s’articule autour de ses 4 groupes de travail thématiques, un groupe autour de la Formation et Insertion professionnelle (FIP), un groupe autour du principe d’ONG support, un groupe Enfance, un groupe Appui aux structures de Santé.
Alexia TAFANELLI, secrétaire exécutive de la CHD
Diplômée en affaires politiques et internationales de Queen Mary University of London, Alexia a débuté sa carrière dans les organisations, Solidarités International et Save the Children sur des postes de programmes et de plaidoyer. Elle a assuré en 2021 la coordination du groupe Enfance et elle est depuis la Secrétaire Exécutive de la Coordination Humanitaire et Développement.
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