Covid-19 “ Une réponse humanitaire insuffisante en Afrique”

Une interview d’Augustin Augier, directeur général d’ALIMA.

©ALIMA au Centre hospitalier national et universitaire de Fann à Dakar, Sénégal, John Wessels.

 ALIMA, l’ONG dont tu es le directeur général, est particulièrement active en Afrique de l’ouest et de centre. Quelle est l’état de la pandémie de Covid-19 dans les pays de la région et comment riposter avec efficacité quand on sait que le confinement est difficile et que les infrastructures de santé sont insuffisantes ?

Augustin Augier : L’épidémie est désormais présente dans tous les pays d’Afrique de l’Ouest et Centrale et y avance à des rythmes différents en fonction des pays. A cette date, il y a eu plus de 20 000 cas et le virus est désormais présent en dehors des capitales de la plupart des pays. Pour autant, il est très difficile d’avoir une vision claire de la dynamique épidémique compte tenu des facteurs spécifiques et différenciant de ces pays.

D’un côté certaines caractéristiques permettent d’être raisonnablement optimistes : la démographie ; la possibilité d’une diminution de la virulence de la transmission avec l’augmentation des températures et de l’humidité ; la plus faible densité de population, notamment en zone rurale ; la mise en place de mesures de distanciation sociales plus précocement dans l’épidémie. Sans aucune certitude, tout cela pourrait expliquer que le taux de transmission constaté depuis la première confirmation des cas y est plus faible que dans le reste du monde. On note aussi des spécificités très particulières comme par exemple la très faible proportion de cas sévères et de décès dans certains pays comme le Sénégal, sans qu’on ne puisse l’expliquer pour le moment.

Mais cet optimisme est à tempérer très fortement. D’une part parce que les données de surveillance épidémiologiques sont particulièrement fragiles dans ces pays du fait de la très faible capacité de tests et d’une bien moindre utilisation des services de santé. Enfin, rappelons que si la maladie touche davantage les plus âgés, moins nombreux en Afrique subsaharienne du fait d’une espérance de vie beaucoup plus basse, il n’en demeure pas moins que comme l’a démontré l’étude de Pasteur publiée le 21 avril, toutes les classes d’âge sont touchées par les cas sévères nécessitant une hospitalisation. Certes moins pour les 20 à 30 ans (0,5% des cas) mais cela monte progressivement jusqu’à 2,8% chez les 50 à 60 ans. Ces classes d’âge seront aussi touchées dans les pays les plus fragiles. En France, ils meurent peu car les capacités hospitalières ont pu suivre et les prendre correctement en charge. Mais qu’en sera-t-il dans des pays qui comptent 20 à 30 fois moins de lits d’hôpitaux par habitants et seulement quelques dizaines (voire moins) de lits de réanimation pour des populations de plusieurs dizaines de millions d’habitants ? Selon l’OMS, il y a en moyenne 5 lits de réanimation par million d’habitants en Afrique subsaharienne contre 4000 en Europe !

Au total nous ne savons pas quelle sera l’évolution de cette épidémie dans les pays les plus fragiles notamment en Afrique de l’ouest et centrale, mais nous pouvons raisonnablement penser qu’il sera difficile d’y mesurer la dynamique, la mortalité (les gens meurent souvent à la maison) et que même si l’incidence y sera plus faible, ou en tout cas plus lente à monter, la mortalité touchera probablement plusieurs centaines de milliers de personnes comme le prédit l’OMS.

Dans un contexte d’intervention humanitaire si complexe, que fait concrètement ALIMA sur le terrain actuellement et comment pensez-vous pouvoir augmenter vos capacités ?

ALIMA se concentre sur deux piliers : premièrement renforcer les mesures de prévention et de contrôle des infections dans les 400 structures sanitaires qu’elle appuie (dont une trentaine d’hôpitaux). Cela passe par revoir le circuit des patients pour isoler les cas suspects et réduire les risques d’infections nosocomiales, renforcer la formation du personnel sanitaire et les doter de matériel de protection adéquat pour mieux les protéger.

Deuxième pilier : supporter les ministères de la santé pour ouvrir des lits dédiés à la prise en charge des cas de Covid-19. Dans au moins 6 pays ALIMA va créer un total de 1000 lits d’hospitalisation, avec de l’oxygène et une prise en charge médicale adaptée. Faute de personnels et d’équipements il sera difficile de multiplier significativement les capacités de réanimation donc nous avons décidé de nous concentrer sur les 80% de cas sévères hospitalisés qui n’ont à priori pas besoin de réanimation mais pour lesquels une hospitalisation adaptée peut faire la différence.

Cela représente une mobilisation énorme et inédite des 2000 salariés d’ALIMA sur le terrain. On a d’ailleurs lancé une grande campagne de recrutement de plus de 100 postes expatriés cadres, y compris pour des non médicaux, pour venir en appui des équipes soignantes.

©ALIMA

Quelles sont selon toi les synergies possibles et souhaitables avec les services publics de ces pays et entre les ONG entre elles ?

Dans toute épidémie il y a deux axes principaux de travail : diminuer la transmission et réduire la mortalité. Sur le premier axe, un confinement total, mesure qui semble jusqu’ici être la plus efficace, ne semble pas adaptée dans les pays, ou tout du moins les quartiers, les plus fragiles. Il faut que les ONGs et les services publics y concentrent des politiques de soutien financier, par la distribution de cash, pour y faciliter les mesures de distanciation sociales. Une bonne coordination entre acteurs étatiques et non étatiques doit permettre à la fois de cibler les populations et quartiers les plus touchés et de mettre en oeuvre, à une échelle significative ce type de programme.

L’Afrique a par chance un temps de retard par rapport à la pandémie en Europe et aux Etats-Unis. Trouves-tu que ce temps est vraiment mis à profit pour se préparer à la propagation du virus et la mobilisation des acteurs et des capacités est-elle à la hauteur ?

Malheureusement la mobilisation générale semble largement insuffisante. Quand on voit que le premier plan de réponse humanitaire global Covid-19, plus assimilable en réalisé à un plan de refinancement des agences Nations Unies, ne totalisait que 2Mds$ on se rend bien compte que l’ampleur de la tâche y était largement sous-estimée. Une revue est en cours, espérons que cette fois ci elle sera à la hauteur.

Pour autant, heureusement, on sent une forte mobilisation sur le terrain de l’ensemble des sociétés. D’une manière générale, j’aurais tendance à dire que dans cette crise, la réponse humanitaire est significativement en dessous des besoins et largement à la traîne des réponses locales.

Comment les organisations humanitaires, notamment en France, peuvent-elles faire pour acheminer des experts et du fret dans les pays d’Afrique les plus menacés ?

C’est un des problèmes majeurs auquel font face tous les acteurs humanitaires. La fermeture de l’aviation commerciale a significativement réduit les capacités de déploiement des acteurs humanitaires. Au-delà de la réflexion que cela doit induire sur la nécessité de repenser notre modèle en renforçant davantage la localisation, y compris du leadership humanitaire, cela pose des problèmes immédiats. Des solutions sont en cours de déploiement, notamment avec l’établissement d’un système aérien global pour les humanitaires pilotés par WFP/UNHAS, mais que c’est long ! Alors que rarement le temps n’aura été si important pour se préparer et limiter l’épidémie, on constate, avec beaucoup de frustration, la lenteur de la mise en place de ces solutions. Individuellement tout le monde semble d’accord sur la nécessité de la mise en place de ce « pont aérien sanitaire », d’ailleurs prévu dans HRP global depuis fin mars, et pourtant pour le moment aucune solution sérieuse n’est en place. La tâche est certes difficile mais quand on voit les efforts d’imagination et de décision rapide qu’ont su déployer les pays les plus développés pour se protéger de façon inédite contre ce virus on a peine à accepter qu’il faille plus de 5 semaines pour mettre en place quelques dizaines d’avions régionaux, en priorité pour les pays les plus fragiles, qui sont, pour la plupart, ouvertement demandeurs de cette solution. Heureusement d’ici là, les ONGs françaises se coordonnent entre elles, sous l’impulsion notamment des directeurs des opérations de Solidarités International et Première Urgence International, pour trouver des solutions avec le Centre de Crise et de Soutien et la Commission européenne.  Mais les solutions proposées restent encore largement insuffisantes.

Veux-tu ajouter un mot pour conclure ?

Au-delà de l’effort humanitaire urgent indispensable, cette crise révèle, une fois de plus, certaines absurdités des inégalités de notre monde contemporain. Quand on prend par exemple la question du matériel de protection des personnels soignants ou encore les tests, on constate qu’aucun mécanisme n’empêche les pays les plus riches, de se constituer des stocks pour plusieurs mois alors que des pays entiers n’en ont que quelques dizaines de milliers. Les égoïsmes nationaux ne sont pas nouveaux mais il est étonnant de voir qu’on ne cherche même pas à construire des mécanismes de distribution plus juste, en fonction des besoins et non des moyens, de ces items essentiels en temps de crise alors même qu’on sait, qu’au-delà de l’impératif humanitaire, laisser le virus circuler sur un continent entier est la certitude de le voir revenir ailleurs. La solidarité est avant tout un impératif moral, mais espérons que cette crise permette à certains de comprendre que face à leurs égoïsmes nationaux c’est aussi un impératif sanitaire.

Augustin Augier

Diplômé d’une école de commerce, Augustin Augier a commencé sa carrière professionnelle dans le conseil en fusion-acquisition puis à l’Assemblée Nationale au sein d’un groupe parlementaire. En 2005, il part trois ans dans des fonctions de coordination de projet sur des terrains en conflit, avec une ONG médicale internationale. En 2009, il fait partie des membres fondateurs d’ALIMA dont il est actuellement le directeur général.

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