L’humanitaire face au coronavirus.

©Centre de traitement Ebola, Sierra Leone, Solidarités International.

L‘humanitaire face au coronavirus.

La comparaison est faite, c’est la guerre contre un virus invisible et sans vaccin pour s’en protéger ! C’est tout à la fois une guerre locale, nationale et mondiale qui concerne 7,7 milliards d’êtres humains. C’est l’urgence aujourd’hui et pour les mois à venir.

Elle nous concerne tous et où que nous soyons, à Paris comme à N’djamena, à Rome comme à Kaboul, à New York comme à Dehli, partout. Certains pays sont mieux armés que d’autres pour y répondre. En France on s’attend à une vague de nouveaux cas. Mais nous espérons pouvoir juguler le pire. D’autres pays sont moins prêts à y faire face et dans ceux-là, l’humanitaire doit être avec eux en première ligne.

Cette crise sanitaire est une double crise humanitaire par la désorganisation qu’elle provoque dans la délivrance des secours d’urgence en cours et, simultanément, avec le coronavirus qui va multiplier le nombre des victimes tout en paralysant une part importante des sources de subsistance des populations les plus vulnérables.  Une urgence va ainsi venir en télescoper une autre !

Après une période de sidération, il nous faut maintenant rapidement sortir du flou par une vaste mobilisation humanitaire mondiale dans le but d’endiguer le virus et de sauver autant de vies que possible.

Un virus qui désorganise l’aide humanitaire en cours et qui multiplie les obstacles à l’action.

Il semble déjà loin l’appel des Nations-Unies et d’une centaine d’organisations humanitaires le 4 décembre dernier pour secourir 168 millions de personnes en 2020 avec un budget de 29 milliards de dollars. Il va falloir faire beaucoup plus. Cette pandémie du coronavirus a plusieurs conséquences funestes à identifier afin d’en limiter les effets comme pour mobiliser des réponses alternatives rapides et fortes.

Elle désorganise profondément le dispositif humanitaire en entraînant, selon les pays, le retour des personnels non essentiels et le confinement de tout ou partie des équipes. De plus, les chaînes habituelles d’approvisionnement sont souvent coupées et les frontières fermées à l’entrée de produits indispensables comme les médicaments.

Mais, pour les humanitaires, cette guerre ne ressemble pas à celles qu’ils connaissent. Elle en diffère largement. L’humanitaire c’est agir volontairement afin de sauver des vies dans des pays ou les populations sont menacées par une guerre ou une catastrophe.  Mais, dans le cas présent, l’humanitaire peut-être lui-même porteur du virus et le transmettre sans le savoir ! Mais ça ne sera peut-être bientôt plus vraiment le problème face à la multiplication des malades !

Une urgence sanitaire et humanitaire sans précédent.

L’urgence est mondiale et n’épargnera aucun pays, aucune population. Comme on le voit, même les pays développés peinent à y faire face. Ils devraient y parvenir finalement, non sans pertes en vies humaines et en graves conséquences économiques et sociales. Le réseau associatif se mobilise déjà pour les populations vulnérables les plus marginalisées comme les SDF, les migrants.

La priorité des organisations humanitaires internationales est d’identifier les pays, les territoires et les populations les plus vulnérables au virus. Au risque d’être réducteur, l’Afrique et les concentrations de réfugiés et de déplacés représentent la menace la plus élevée. Mais n’oublions pas l’Inde, le Pakistan, le Bangladesh et d’autres encore.

Le directeur général de l’Organisation Mondiale de la santé (OMS), le docteur Tedros Adhanom Ghebreynus vient de déclarer « l’Afrique doit se préparer au pire ». Espérons que l’OMS montrera l’exemple et sera à la hauteur de ses responsabilités comme chacun des acteurs. Si, aujourd’hui, l’Afrique est le continent le moins touché, le Covid-19 va s’étendre dans les semaines à venir avec une croissance exponentielle du nombre de malades. Les experts de l’OMS redoutent, dans l’hypothèse d’une diffusion massive du virus, une mortalité proche des 10%.

Car l’Afrique est moins bien armée pour au moins trois raisons. D’abord, il sera très difficile de parvenir à freiner la pandémie par le confinement général car l’économie informelle oblige beaucoup d’africains à travailler quotidiennement dans la rue pour se nourrir au jour le jour. La difficulté d’accès à l’eau potable et même à un savon va limiter l’effet de ce geste barrière essentiel. Enfin, le manque d’infrastructures de santé adaptées ne permettra pas d’accueillir tous les cas graves. Pour mémoire, l’Afrique de l’Ouest ne compte que 0,3 lits pour 1000 habitants contre 7 lits pour 1000 dans les hôpitaux en France où il y a cinquante fois plus de médecins !

©Camps de réfugiés Rohingyas à Teknaf au Bangladesh, Solidarités International.

Il en sera de même pour les réfugiés et déplacés au Yémen, en Syrie comme à Idlib ou au Liban, au Bangladesh pour les Rohingyas, ou encore au Venezuela ou en Colombie. Ces populations survivent souvent dans la promiscuité et sans structure de santé équipée. La conscience du drame est telle qu’en Afghanistan les talibans ont ouvert les territoires qu’ils contrôlent aux organisations humanitaires pour lutter contre le virus.

Les mesures d’urgence à prendre dès maintenant.

L’ensemble du monde humanitaire et de ses partenaires doit dans l’urgence se mobiliser massivement et efficacement. Demandons l’ouverture partout où cela est indispensable de « corridors humanitaires » pour acheminer des secours de manière sécurisée.

Inutile de perdre son temps à demander la réouverture des frontières, surtout quand celles-ci constituent un des moyens pour endiguer le virus, mais il faut surtout permettre le passage des experts, des matériels, des médicaments et des marchandises indispensables. Et, ce qui est vrai aux frontières extérieures, le sera tout autant au niveau des autorisations de déplacement intérieur.

Si, dans cette lutte contre le virus, la rapidité d’action est une obligation morale et une nécessité opérationnelle, il nous faut aussi se coordonner entre organisations pour optimiser les complémentarités et venir en soutien aux Etats, aux services publics et aux structures locales autant que possible, en particulier quand celles-ci sont les mieux placées pour agir.

Les associations humanitaires répondent à un large spectre des besoins vitaux des populations en danger. Ainsi, elles ont une expérience concrète de lutte contre Ebola et le choléra qui sera fort utile contre le coronavirus, tant dans les mesures préventives par la distribution d’eau et de savon et la sensibilisation à l’hygiène que par la mise en place de centres de traitement confinés! Sur le plan médical, les ONG vont mener des interventions combinant la lutte contre le virus avec d’autres maux comme la malnutrition, le choléra, la rougeole.

De même, l’expérience en matière de transfert monétaire, peut être utilisée largement pour permettre aux populations les plus vulnérables de rester confinées autant que possible en réorganisant des circuits d’approvisionnement sécurisés.

Mais, pour cela, il faut non seulement que les organisations humanitaires se mettent dès maintenant en ordre de bataille mais que leurs capacités ne viennent pas à être freinées si ce n’est entravées. C’est tout l’enjeu du comportement de leurs partenaires qui est en question. Il est essentiel que les Etats, les institutions internationales, les bailleurs soutiennent ces organisations en prenant en compte tous les coûts supports supplémentaires induits par la crise.

Elles auront besoin que les banques assurent les encours relatifs aux programmes mais qu’elles leur apportent également une disponibilité de trésorerie. Ce qui a été fait en France pour les services publics et les entreprises, « quoi qu’il coûte », doit l’être tout autant pour le secteur humanitaire. Il convient de préserver les capacités d’action des organisations humanitaires qui représentent en fait un véritable service public international de secours au moment où d’innombrables vies sont à sauver.

Conclusion toute provisoire.

Passons en mode urgence continue. Déjà les directeurs des missions des ONG humanitaires se coordonnent en France. Coordination Sud a mis en place une cellule d’urgence à Paris et VOICE a fait des propositions de mesures exceptionnelles à la Commission Européenne avec ECHO. Les contacts se multiplient avec l’ONU et ses agences.

Face à cette crise complexe de grande ampleur, il va falloir s’adapter et répondre de manière massive tout en ciblant l’aide au cas par cas.

Le répit est bien court pour l’Afrique et pour les réfugiés et déplacés. D’ores et déjà il faut prévoir un pont aérien et maritime transportant experts, médicaments, matériels de santé et marchandises en quantité vers les ports, les aéroports et des centres logistiques de transit.

Une coordination digne de ce nom doit être mise en place aux niveaux requis, ici et là-bas. Il nous faudra aussi s’occuper sérieusement des humanitaires atteints par le virus. Les sièges des organisations humanitaires doivent tenir le coup en télé travail en s’adaptant au fur et à mesure à cette urgence exceptionnelle.

Pour cela, on a besoin de tous, des donateurs jusqu’aux Etats et aux organisations internationales, à l’armée même avec ses moyens et aux 570.000 humanitaires aujourd’hui encore déployés dans le monde.

C’est Antoine de Saint-Exupéry qui nous dit dans son livre Pilote de guerre : «  Chacun est responsable de tous. Chacun est seul responsable. Chacun est seul responsable de tous ».

Et puis, chaque jour aussi, que chacune et chacun prenne soin de lui, de ses proches et des plus fragiles. Soutenons les soignants tout en nous mobilisant partout contre ce virus qui fait le malheur de tous.

Alain Boinet.

©Mozambique, avion affrété par le Centre de Crise et de Soutien du Quai d’Orsay, Solidarités International.

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