Appel de Dakar, maladies hydriques signataires

Replacer l’eau et l’assainissement au cœur des stratégies pour
l’élimination du choléra et le contrôle des autres maladies diarrhéiques

Forum de l’Eau, Dakar.

Pendant que le monde garde les yeux rivés sur la pandémie de Covid-19, d’anciens fléaux de santé publique ravagent toujours, dans le silence, des milliers de personnes, principalement dans les pays en développement. C’est le cas du choléra et des autres maladies diarrhéiques en Afrique.

Plusieurs acteurs impliqués dans la lutte contre ces maladies appellent à adopter une stratégie multisectorielle pilotée par des responsables africains et s’appuyant sur l’accès à l’eau et à l’assainissement pour éliminer de façon durable le choléra et mieux contrôler l’ensemble des maladies hydriques.

L’Afrique connaît depuis cinq décennies des vagues successives de choléra, sans parvenir à son élimination.

Alors que le choléra a été éliminé dans plusieurs régions du monde suite à de grands travaux
d’assainissement et à l’amélioration de l’accès à l’eau potable, cette maladie infectieuse transmise par l’ingestion d’eau ou d’aliments souillés par le Vibrio Cholerae demeure l’un des plus importants fléaux de santé publique en Afrique, et ce malgré les efforts nationaux et internationaux pour répondre aux flambées épidémiques successives.

La première poussée des cas de choléra en Afrique a coïncidé avec les crises pétrolière,
socio-économique et climatique des années 1970. Ce sont aussi les années de graves crises
politico-militaires, comme la crise du Biafra. Au total à la fin de 1971, 25 pays d’Afrique avaient notifié à l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) un total de 72 415 cas et 11 389 décès.

Chaque année, le choléra touche 1,3 à 4 millions de personnes à travers le monde, causant entre 21 000 et 143 000 décès rapportés dans près de 70 pays, dont la plupart se trouvent en Afrique subsaharienne. Ces chiffres apparemment élevés sont pourtant largement sous-estimés. D’après l’OMS les cas de choléra officiellement rapportés ne représentent que 5 à 10 % des cas réels.

Depuis ces trente dernières années, favorisé par les conséquences du changement climatique, l’urbanisation accélérée, l’explosion démographique, les troubles socio-politiques et les conséquences des crises socio-économiques successives, le choléra est devenu une maladie ré-émergente en Afrique.

Outre les pays fortement affectés par le choléra comme la République Démocratique du Congo (RDC), le Nigeria, l’Ethiopie, la Somalie, le Mozambique d’après les derniers rapports de l’OMS, d’autres pays font également face à une situation préoccupante. Il s’agit du Kenya, du Cameroun, du Burundi, de la Zambie, de l’Ouganda, du Soudan, du Tchad, du Zimbabwe, du Bénin, du Ghana, du Togo, du Malawi et du Niger.

Pour autant le choléra n’est pas une fatalité. Le choléra doit, en Afrique comme ce fut le cas dans d’autres régions du monde, devenir une maladie du passé.

Le choléra n’est pas le reflet de la pauvreté. S’il est un corollaire des crises socio-économiques, il est aussi la conséquence d’un accès entravé aux services essentiels. Sa persistance dans les pays à ressources limitées découle de stratégies de réponse inadaptées, qui ont relégué l’eau et l’assainissement à l’arrière-plan.

Seule une stratégie multisectorielle pilotée par un leadership local renforcé, permet d’éliminer durablement le choléra. Le choléra n’est pas qu’un sujet médical : c’est par la mobilisation concertée des pouvoirs publics, de bailleurs et des acteurs de terrain qu’une réponse durable peut être apportée. Contrairement à une approche exclusivement médico-centrée, un meilleur accès à l’eau potable et à l’assainissement permet de lutter non seulement contre le choléra mais surtout contre l’ensemble des maladies hydriques.

C’est l’approche prônée et mise en œuvre en République Démocratique Congo depuis 2007,
s’appuyant sur des travaux de recherche épidémiologique portant sur les facteurs de persistance du choléra dans la région des Grands Lacs, la RDC a adopté un Plan Multisectoriel Stratégique d’Élimination du Choléra (PMSEC), impliquant les pouvoirs publics à travers plusieurs secteurs (Ministères du Plan, de l’Hydraulique, de la Santé), la société nationale de distribution d’eau, des universitaires, des fondations, des ONG, des organismes de coopération multilatérale, des entreprises et des experts métiers. La démarche met en exergue la nécessité d’un leadership national et consacre l’approche partenariale. Cohérente avec la feuille de route proposée par l’Organisation mondiale de la santé pour l’élimination du choléra d’ici 2030, cette stratégie inclut un volet sur la réhabilitation et la
mise en place d’infrastructures d’eau potable, indispensables à l’élimination durable des maladies hydriques.

D’où la réflexion sur l’opportunité d’une généralisation de l’approche d’élimination dans d’autres pays et de la mise en place d’une coalition internationale pour sa mise en œuvre.

Une coalition internationale placée sous l’égide de l’Union africaine serait la plus apte à porter à l’échelle du continent la démarche multisectorielle d’élimination du choléra telle qu’expérimentée en RDC.

Pour éliminer définitivement le choléra en Afrique et parvenir à un meilleur contrôle des autres maladies diarrhéiques, nous appelons, à l’occasion du 9e Forum mondial de l’eau à Dakar, à changer de paradigme.

En effet, nous avons collectivement des évidences scientifiques et les ressources techniques
nécessaires pour aller au-delà du seul contrôle des épidémies de choléra.

Nous refusons de concevoir cette maladie comme une fatalité pour certains pays africains qui
seraient condamnés à répondre indéfiniment à des épidémies de choléra. Au contraire, nous pensons que celle-ci peut être éliminée en Afrique par l’accès à l’eau et à l’hygiène, comme elle a pu l’être ailleurs dans le monde.

Nous appelons tous les acteurs impliqués dans la lutte contre les maladies infectieuses, l’accès à l’eau, à la santé, et dans la réduction des inégalités, à partager cette ambition.

Nous appelons tous les pays engagés dans la lutte contre le choléra et les maladies hydriques, ainsi que les partenaires techniques et financiers à prendre part à cette initiative.

Nous appelons l’Union Africaine et sa branche sanitaire, le CDC-Afrique, dont le leadership a été mis en exergue dans le combat contre le coronavirus, à prendre la gouvernance de cette coalition. L’Union Africaine s’est, à cette occasion, donné avec succès les moyens de mobiliser partenaires techniques et financiers et d’accompagner les pays. C’est cette capacité de mobilisation des partenaires et d’accompagnement des pays qui est espérée pour d’autres causes de santé publique comme l’élimination du choléra et le contrôle des maladies diarrhéiques.

Enfin, nous attirons l’attention de la communauté internationale sur la nécessité d’adopter une ambition plus grande que celle de limiter les épidémies de choléra. Si nous voulons durablement éliminer cette maladie et véritablement contrôler les maladies hydriques, d’importants investissements pour une stratégie de long terme sont requis. Nous en appelons à la mobilisation des bailleurs internationaux.

Promoteurs de l’Appel

Ibrahim Assane Mayaki, ancien Premier Ministre du Niger, Président de l’Alliance globale de lutte contre le choléra (GAAC), Secrétaire exécutif du NEPAD, Niger

Pierre Lokadi Otete Opetha, Secrétaire général à la Santé Publique, Ministère de la Santé, République démocratique du Congo

Amadou Bocoum, Ambassadeur, Sénégal

Jean-Marie Kayembe Ntumba, Recteur de l’Université de Kinshasa, République démocratique du Congo

Rita Colwell, Professeur émérite, Université du Maryland College Park, Johns Hopkins Bloomberg School of Public Health, Etats-Unis

Jean-Jacques Muyembe, Directeur de l’Institut national de recherche biomédicale, Ministère de la Santé, République démocratique du Congo

Didier Bompangue Nkoko, Responsable du service d’écologie et de contrôle des maladies infectieuses, Faculté de Médecine de l’Université de Kinshasa, République démocratique du Congo

Thierry Vandevelde, Délégué général de la fondation Veolia, France

Amadou Sall, Directeur de l’Institut Pasteur de Dakar, Sénégal (tbc.)

Signataires

Macky Sall, Président de la République du Sénégal, Président de la Conférence des chefs d’Etats et de gouvernements de l’Union africaine

Paul Kagame, Président de la République du Rwanda

Félix Tshisekedi, Président de la République démocratique du Congo

Amadou Diallo, Ambassadeur, Sénégal

Alain Boinet, Président fondateur de Solidarités International, France

Dominique Franco, Conseiller spécial à l’éducation, Institut Pasteur, France

Dennis B. Warner, Conseiller EAH (Eau, Hygiène et Assainissement) et santé environnementale, Millennium Water Alliance, Washington, DC, Etats Unis

Sy Rotter, President, Washington Liaison Office, Etats Unis

John Oldfield, Président directeur général, Accelerate Global, Etats Unis

Pierre-Marie Grondin, Directeur, Programme Solidarité Eau, France

Antarpreet S. Jutla, Professeur associé, Université de Floride (tbc.)

 

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