« Il faut des équipes mobiles de réaction rapide pour contrer le Covid-19 »

Interview avec Renaud Piarroux, professeur de médecine, chercheur et chef du service de parasitologie à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière.

©Pulvérisation contre le choléra, Solidarités International.

Défis humanitaires : Y aurait-il une spécificité africaine du Covid-19 comme pourraient le laisser croire les courbes qui ne ressemblent ni à celles que nous connaissons en France et en Europe, aux Etats-Unis où en Chine ? L’Afrique serait-elle plus résiliente ? Pourtant l’OMS nous a alerté d’un risque d’hécatombe en Afrique et un de ses représentants déclarait récemment qu’on a vu les chiffres de propagation doubler dans les 4 derniers jours. Qu’en penses-tu ?

Renaud Piarroux : Ce qu’on peut dire sur l’Afrique c’est que la pandémie y a démarré avec un peu de retard et qu’elle se propage plutôt moins vite qu’ailleurs. La propagation d’une maladie dépend de l’environnement, dépend des écosystèmes. Quelle que soit la maladie, il n’y a pas la même propagation dans deux sites différents. Par exemple, pour une maladie à transmission respiratoire, il y aura une énorme propagation là où des personnes sont tassées dans le métro tous les jours. S’il fait froid, le nombre de cas a tendance à augmenter, s’il fait plus chaud, c’est l’inverse. Donc il peut y avoir une courbe un peu différente en Afrique, mais ça ne veut pas dire que les Africains sont moins susceptibles. La bonne nouvelle c’est que la population est plus jeune donc il devrait y avoir moins de formes graves. Mais même si la courbe épidémique monte plus lentement, ça ne veut pas dire qu’elle ne va pas monter haut. En réalité, on ne sait pas comment ça va évoluer. Même si la progression est moins spectaculaire, on n’a pas encore de signe qu’elle soit arrivée à un sommet.  Comme les actions de santé publique sont plus difficiles à mener, on peut quand même rester inquiets.  Sans certitudes, mais on a quand même des raisons d’être inquiets.

J’imagine que dans ce cas-là, la seule chose à faire c’est de renforcer les capacités de prévention et puis les moyens curatifs qui sont très faibles voire quasi-inexistants ?

D’un point de vue curatif on n’a pas grand-chose à proposer ; même si on avait des respirateurs, il faudrait des équipes autour etc. Ce qui a été fait à Paris n’est pas faisable en Afrique, même dans une capitale. S’il n’y a pas grand-chose à proposer sur le plan thérapeutique, par contre, il y a des pistes sur le plan de la prévention. Il ne faut pas proposer de confinement, c’est infaisable dans un pays pauvre, mais il y a des choses qui peuvent être faites comme l’isolement des malades. Cela ne peut se faire sans l’aide aux familles qui se trouvent alors en difficulté parce perte de leur gagne-pain par exemple, et là, il y a des choses à faire pour limiter la casse.

J’avais une question sur le confinement, mais tu viens d’une manière d’y répondre…

Le confinement n’est pas du tout du tout adapté. Dans ce type de situation, il ferait plus de mal que de bien.

Sur le plan économique et social ?

Le confinement marche bien si les gens ne risquent pas de souffrir de la faim, si l’économie a suffisamment de réserves pour pouvoir se permettre d’arrêter le travail. Plus on est dans des économies fragiles, avec des gens qui gagnent leur vie au jour le jour, moins ce genre d’action est tolérable.

Alors toi justement tu as une longue expérience de lutte contre les épidémies, notamment contre le choléra en Haïti ou en RDC. Comment l’expérience des épidémies, de choléra, d’ebola, telles qu’on a pu y faire face, peut-elle être utilisée dans le cas de cette pandémie dans ces pays comme dans ceux qui partagent des conditions comparables de vies à la RDC ou à Haïti ?

Ce qu’on peut utiliser et qui a du sens c’est les visites à domicile, ce qu’on appelle les équipes mobiles d’intervention rapide ; ça a du sens parce que si quelqu’un est signalé comme ayant une forme assez grave de COVID et des problèmes d’accès aux soins, il est utile d’aller voir la famille pour déterminer si elle n’a pas besoin d’aide et puis organiser son isolement en quelque sorte. Pendant une dizaine de jours, il faut s’organiser pour faire en sorte que les malades ne soient pas obligés d’aller travailler, d’être au contact avec les autres etc. Il faudrait faire des programmes comme cela avec un confinement à domicile des personnes contagieuses, mais avec un vrai soutien de la communauté.

©Equipe d’intervention ebola, Solidarités International

La santé publique dans ces pays concerne aussi la lutte contre le paludisme, la tuberculose, le sida, la rougeole, le choléra. Quels en sont les risques et comment peut-on autant que possible concilier la lutte le Covid-19 sans délaisser les autres maladies ?

C’est compliqué parce que la tendance, qu’on voit même ici en France, est que si une nouvelle maladie arrive, elle inquiète et mobilise beaucoup et donc le reste est déserté. Comment faire ? On peut au moins rappeler qu’il y a d’autres maladies, qu’il faut continuer à s’en occuper. En plus, il y a beaucoup moins de personnes disponibles pour ces programmes. Même sans confinement, les gens hésitent à sortir, à s’exposer ; les travailleurs sanitaires sont dans le même cas et on peut avoir une carence en personnel pour alimenter les programmes.

Pour les populations les plus vulnérables, en Afrique Subsaharienne, pour les déplacés, les réfugiés au Moyen-Orient, dans le sous-continent indien, quel peut être le rôle des communautés des populations concernées, dans un partenariat avec les équipes de secours qu’elles soient nationales ou internationales ? Est-ce qu’il y a là un atout, un enjeu ?

Il y a un enjeu, celui de remettre en place des solutions de solidarité. Il s’agit d’éviter que les gens se replient sur eux-mêmes et d’éviter aussi la stigmatisation, l’exclusion et toutes les déviances qui souvent accompagnent les épidémies, je pense aux pogroms, à la recherche de boucs-émissaires et autres faits de ce genre.

Donc il faut faire des communautés des alliés, qui développent une protection collective au fond en s’entraidant.

Voilà, il faut que les gens s’entraident. Il faut prôner la solidarité et pas le rejet, le sectarisme ; ça peut être difficile.

©Traitement du virus Ebola, Solidarités International

Et finalement pour conclure cet entretien tu veux ajouter ou préciser quelque chose ?

Simplement, on découvre en France qu’avoir une expérience des épidémies est utile, on tire l’inspiration de ce qu’on a fait en Haïti.  Nos forces de santé publique en particulier ont déserté ce champ des épidémies dans les pays du tiers-monde. A Santé Publique France une partie du personnel est en confinement à domicile. Beaucoup en France se sont désintéressés de la problématique humanitaire. Il s’est créé un fossé entre l’humanitaire d’un côté et la santé publique institutionnelle française de l’autre. Il se trouve qu’aujourd’hui on essaye de le reboucher : MSF rentre dans la coalition de lutte contre le coronavirus à Paris, coalition qui a été portée par l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris, les collectivités locales, des entreprises privées, la Croix Rouge, la Sécurité civiles. D’autres ONG vont j’espère nous rejoindre parce qu’elles ont un savoir-faire et que finalement en luttant contre les épidémies d’Ebola ou de choléra on acquiert des compétences qui se sont perdues ailleurs en France. C’est un bon retour d’expérience.

Justement tu évoquais ce que vous êtes en train de mettre en place à Paris avec les équipes mobiles, tu as fait appel à Jean-Sébastien Molitor, qui est un humanitaire de terrain. Tu peux nous donner quelques exemples qui pourraient nous être utiles, qui illustreraient ce que tu viens de dire.

Les équipes mobiles c’est quelque chose qui n’avait pas été envisagé en France et le gouvernement n’avait pas de plan précis pour sortir du confinement sans déclencher un rebond de l’épidémie, il parlait de faire du dépistage massif, du diagnostic, d’inciter les gens qui sont au contact des malades à se faire dépister. En fait il y a un vrai besoin de personnes qui vont aller vers les patients et les aider à protéger leurs proches. C’est ce qu’on fait tous les jours lorsqu’on est en Haïti ou en RDC et qu’on ne sait plus faire en France. Il y a aussi toute la thématique des foyers de migrants, des roms, des SDF, des populations exclues qui sont souvent plus touchées que les autres par le coronavirus et qui d’un point de vue épidémiologique, peuvent entraîner une persistance de la transmission. Finalement la lutte contre épidémie passe par la prise en compte des personnes les plus vulnérables. Il faut leur permettre de s’en sortir. Les aider. Pour eux, mais aussi pour nous. Parce que sinon on ne sera pas efficaces.

Propos recueillis par Alain Boinet.

Renaud Piarroux

Spécialiste des maladies infectieuses en particulier du choléra et de la médecine tropicale. Professeur à la faculté de médecine de Sorbonne Université. Membre de l’Institut Pierre Louis d’épidémiologie et de santé publique rattaché à l’INSERM et chef du service parasitologie à la Pitié Salpêtrière.

Retrouvez ici un article sur « Choléra. Haïti 20106 2018, histoire d’un désastre » le livre de Renaud Piarroux.

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