Innovation humanitaire : un des premiers laboratoires d’analyse de traitement des boues au Myanmar !

Laboratoire d’analyse près de Sittwe, 2018 ©Veolia

Dans l’action humanitaire et au sein des pratiques EHA[1], le traitement des boues fécales ne peut être contourné au risque de polluer les sols et de favoriser la propagation de maladies. Au Myanmar, l’ONG Solidarités International a mis en place en 2014 une station de traitement des boues. Cependant, par manque d’accès à un laboratoire d’analyses, comme c’est souvent le cas en situation d’urgence, ils n’avaient aucun moyen de mesurer l’efficacité du traitement sinon de façon ponctuelle et partielle et sans une vraie base des données historique. Le procédé était-il efficace ? Quel était le taux d’abattement[2] de la concentration pathogène entre le moment où les boues arrivaient et à l’issue du procédé ? C’est à ces questions qu’a permis de répondre l’installation d’un laboratoire d’analyse sur le terrain, grâce au travail de la Fondation Veolia et de Solidarités International.

 « Pour la première fois, nous avons un système qui nous permet de quantifier l’efficacité de nos traitements. Et il est apparu qu’ils sont très efficaces ! » Aude Lazzarini, responsable du pôle EHA de Solidarités International.

L’installation au Myanmar, une réponse à des besoins colossaux

En 2012, Solidarités International, sur financement du Myanmar Humanitarian Fund (un fonds commun géré par OCHA) dans un premier temps, puis du HARP[3] soutenu par DFID[4], a commencé à mettre en œuvre un projet de gestion des boues fécales près de Sittwe (voir carte), dans le cadre de la crise humanitaire de l’Etat du Rakhine. Il s’agissait alors de gérer les boues fécales de 80 500 personnes. Solidarités International a décidé de les traiter en utilisant certains des principes et technologies des systèmes DEWATS (Decentralised Wastewater Treatments), conçus par l’ONG BORDA (Bremen Overseas Research and Development Association) et habituellement utilisés dans des contextes de développement.  Un système de traitement centralisé, appelé le Sludge Treatment System (STS), a alors été créé. En 2018, le nombre de bénéficiaires a atteint  97 000 personnes vivant dans 14 camps et utilisant 4 000 latrines. Les boues de vidange[5] traitées chaque jour sont aujourd’hui de 38 m3 avec d’importantes variations entre 18 et 56 m3.

Un mauvais traitement de ces boues peut entraîner la contamination des nappes phréatiques et la propagation de maladies aux abords de la zone de rejet. Il est alors devenu nécessaire de mettre en place un véritable système de suivi adapté aux infrastructures locales et aux compétences du personnel : un laboratoire d’analyse sur le terrain.

Ce projet a pu voir le jour grâce au soutien de la Veoliaforce[6] de la Fondation Veolia. Dans l’Etat de Rakhine, les experts Veolia ont donc aidé à la modélisation du laboratoire, fourni et transporté des équipements adéquats et formé le personnel national de l’ONG aux techniques d’analyse.

Comment fonctionne le laboratoire d’analyse et quels sont ses objectifs ?

En partant des latrines, les boues fécales sont mises dans des barils puis amenées par tracteurs jusqu’au centre. Le laboratoire d’analyse a été installé dans une division du centre de traitement (STS), situé à distance des camps. Là, les praticiens de l’assainissement de Solidarités International effectuent des tests pour mesurer l’efficacité du traitement, et savoir si par exemple le taux de nitrates et d’autres agents dangereux ont bien diminué.

Grâce aux premières données collectées par le laboratoire, il a été possible de créer un modèle pour contrôler le rendement du traitement. Les résultats ont permis aussi de fournir d’importantes recommandations pour améliorer l’infrastructure et accroître l’efficacité du centre STS.

Un laboratoire conçu pour le terrain.

Le suivi de l’efficacité du traitement a un impact direct sur les opérations de terrain. Il est en effet possible de réorienter les activités en fonction du diagnostic fournit par le laboratoire. Cela peut même, dans la mesure des moyens présents sur place, amener à redimensionner les infrastructures et modules opérationnels.

Schéma du centre de traitement – le laboratoire se situe au niveau du bureau « office ».

Actuellement, la transportabilité du dispositif demeure complexe. Certains produits chimiques sont en effet difficilement transportables en avion. Cependant, la plupart du matériel et des dispositifs d’analyse sont facilement exportables ou disponible sur le marché local. Solidarités International envisage à moyen-terme de reproduire ce type de laboratoire, en le développant dans plusieurs sites d’interventions humanitaires d’urgence où des stations de traitement des boues sont mises en place.

Dans des contextes où les moyens sont réduits – l’électricité est fournie à l’aide de générateurs, les praticiens n’ont pas forcément de formation scientifique – il fallait créer un outil efficace et simple d’utilisation.

Centre de traitement des boues, Rakhine, Myanmar, 2018 ©Solidarités International

Vers un recyclage écologique des boues à des fins agricoles.

Le laboratoire est actuellement exclusivement tourné vers le suivi de l’action de terrain. Cependant, les praticiens s’interrogent de plus en plus sur la réutilisation des eaux usées et des boues sèches résultant du processus de traitement.

A terme, l’objectif est d’obtenir un traitement d’une telle efficacité qu’il permettrait une réutilisation des extrants à des fins agricoles. Les boues pourraient ainsi servir comme compost pour fertiliser les sols et les effluents liquides[7] pour irriguer les parcelles.

Activités agricoles près de Sittwe, Myanmar, 2013 ©Solidarités International

La gestion des boues : un manque dans les standards humanitaires ?

« Ce type de laboratoire d’analyse devrait être systématiquement mis en œuvre sur le terrain » Alberto Acquistapace, référent EHA de Solidarités International

Dès la phase de conception, un laboratoire permettrait d’avoir une plus grande visibilité sur l’efficacité des actions réalisées. Cependant, régulièrement les budgets alloués par les bailleurs de fonds sont tournés vers l’accès à l’eau potable ou la construction de latrines, et très peu vers le traitement des boues fécales. De manière générale, il y a un manque dans le secteur de l’eau, l’hygiène et l’assainissement en matière de standards clairs sur la gestion des boues. Les objectifs de traitement ne sont par exemple que peu traités dans les standards humanitaires du mouvement Sphère[8], les Sphere Standard.  Cette innovation ouvre donc à plusieurs questionnements :

Quels doivent être les objectifs des procédés de traitement des boues de vidange dans les contextes humanitaires ? Doit-on proposer des normes de rejets pour les boues fécales ? Comment faciliter la prise en compte du traitement des boues en phase de première urgence ? Un passage à l’échelle de la Station de traitement des boues fécales de Sittwe est-il possible ?

« Actuellement, nous avons des indicateurs pour la gestion des boues, mais il nous manque des standards pour comparer et adapter notre action. Il nous faut des standards humanitaires globaux sur le traitement des boues.» Alberto Acquistapace, référent EHA de Solidarités International

Centre de traitement des boues, Rakhine, Myanmar, 2018 ©Solidarités International

Solidarités International a d’ailleurs créé OCTOPUS, une première plateforme collaborative afin d’harmoniser et d’échanger sur les pratiques de gestion des boues (voir l’article sur ce sujet). Il est temps qu’une coopération entre acteurs EHA pour collecter les informations indispensables à l’établissement de standards humanitaires globaux sur le traitement des boues se mette en place !

 

Sarah Boisson, rédactrice pour Défis Humanitaires
Alberto Acquistapace, référent EHA de Solidarités International

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[1] Eau, hygiène et assainissement.

[2] Réduction.

[3] The Humanitarian Assistance and Resilience Programme

[4] UK Government Department for International Development. Il s’agit du département exécutif du gouvernement britannique responsable de l’aide humanitaire et de l’aide au développement au niveau international.

[5] Contenu des fosses septiques et fosses de latrines, dont la vidange, le transport et le traitement.

[6] Il s’agit de l’outil humanitaire par lequel la Fondation Veolia vient en aide en situations d’urgence, en envoyant des experts et du matériel sur le terrain.

[7] Eaux usées résultant du traitement des boues.

[8] Le mouvement Sphère a commencé en 1997 sous l’impulsion d’un groupe de professionnels de l’humanitaire. Il vise à améliorer la qualité du travail humanitaire dans le cadre des interventions en cas de catastrophe. Avec cet objectif à l’esprit, ils ont élaboré une Charte humanitaire et déterminé un ensemble de standards humanitaires à appliquer lors des interventions.

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